Les 100 premières pages des Communistes d'Aragon (livre mal-aimé et introuvable, une brique de 1200 pages), consacrées à la période entre la chute de Barcelone et la signature des accords Ribbentrop-Molotov telle qu'elle a été vécue en France, sont vraiment bien et résonnent profondément avec notre présent politique. L'ambiguïté des politiques et opinions pacifistes à gauche et à droite y est fort bien décrite, sans manichéisme. Livre aussi assez étonnant par rapport à l'orthodoxie du PCF au moment où la SFIO passe à gauche du PC après le pacte Ribbentrop-Molotov, même si Aragon l'a réécrit en 1966, au moment de Blanche ou l'Oubli ou son rapport au parti était marqué par le le désarroi (le livre est cependant à l'origine de l'affaire Paul Nizan, dont il fait disparaitre le personnage en 1966*). Ce qui ne gâche rien du plaisir de lecture, outre un style parfois fulgurant, c'est qu'il poursuit le cycle du Monde Réel et fait le lien entre Aurélien, qui décrit de l'intérieur une crise de la grande bourgeoisie (mais ici par un très beau personnage féminin, Cécile Wisner, qui synthétise à la fois Aurélien et Bérénice) et une fibre plus populiste lorsqu'il décrit le monde ouvrier (d'ailleurs pas unanimement communiste). Ça enfonce les Chemins de la Liberté de Sartre. Aragon est en fait plus hégélien que marxiste: il s'applique à cerner un esprit agissant au présent, une ideologie et une vérité tendancielle dont le destin est de devenir une seule conscience, plutôt que des déterminismes sociaux objectifs mais qui relèvent encore du passé et de la séparation.
Assez étonnant qu'un tel livre ait été commencé alors que la guerre était encore en cours, aucun écrivain ne serait capable de faire cela de nos jours.
La où Mélenchon dit
Tu sais ce que c'est un Estonien, t'en as déjà vu un Aragon fait dire à un communiste mal remis de 14-18 la même chose à propos de Staline (enfin non :c'est une interrogation qu'il réprime justement lors d'une engueulade politique face à un homme qui n'est que que sympathisant communiste, position que le narrateur envie, jalousie qui trouble le discours indirect à la Flaubert, et qui lui fait reproche de l'absence d'homme de la trempe de Staline au PCF. Retors ou en tout cas habile, impossible de distinguer clairement qui incarne le radicalisme ou au contraire la modération voire un regret
)
* dont on peut supposer qu'elle est liée en partie à une jalousie professionnelle peu reluisante, Paul Nizan était le chroniqueur politique le plus en vue de l'Humanité jusqu'à sa démission, tandis qu'Aragon était responsable de
Ce Soir, un journal , mois orthodoxe, plus populaire, mais aussi plus surveillé)