Ce que j'ai bien aimé dans le livre de Faye c'est l'emboitement de plusieurs niveaux de lecture, qui donne une impression de malaise intéressant: que sommes nous en train de lire? Le plus externe est à la limite de la littérature jeunesse, avec un ton à la fois pédagogique et élégiaque qui peut être utile, car il essaye de s'adresser à ceux qui n'ont pas connu l'époque sans être trop simpliste, mais qui malgré tout se coule parfois trop facilement dans des images assez stéréotypées. Cependant, les fins de chapitres laissent souvent apparaitre en contrepoint un ton beaucoup plus brutal et incisif (souvent c'est au moment du basculement du jour dans la nuit et dans la description d'une insomnie collective), où la psychologie des personnes est cernée de façon brève mais très fine par une mélancolie qui se méfie des métaphores, qui m'a rappellé parfois "A la Courbe du Fleuve" de Naipaul .
Et tous les genres musicaux sont cités,
, sauf le hip-hop, qui est brièvement connoté négativement comme une posture dans le milieu d'expatriés relativement aisés où il vivait ; et je trouve intéresssant que l'auteur fasse une sorte d'aveu d'une fausse conscience sous une forme apparemment lisse. Le livre souffre peut-être d'être trop autobiographique pour un roman, on sent parfois une dramatisation de l'histoire familiale pour en renforer l'impact du témoignage sur l'époque, mais qui met finalement les difficultés familiale et la solitude de l'adolescent en concurrence avec le génocide . Indépendamment des aspects littéraires, une de ses qualités est de trouver un bon compromis entre précision historique et vue générale, en montrant ce qui fait du Burundi un problème à la fois en miroir de la situation rwandaise et spécifique, en insistant sur le fait que (mais ce n'était pas du tout le cas au Rwanda, où il y avait d'un côté une dictature qui voulait se maintenir à tout prix et de l'autre une résistance tutsie appuyée par un pays rival qui avait des ambitions de puissance régionale), la guerre a fait suite à une tentative d'ouverture démocratique qui aurait pu aboutir (et souvent malheureusement, l'échec d'un processus démocratique inhibe ensuite la société civile d'autant plus longtemps qu'il avait été avancé et structuré, un historien aussi "classique" et littéraire - mais par ailleurs très intéressant par sa philosophie de l'histoire- que Michelet l'avait bien senti à propos de la révolution française). Il y a aussi des points de vue intéressants sur la condition métisse (mais pas donné sous une forme théorique, je crois que c'est volontaire, Faye doit savoir qu'elle est centrale dans l'approche universitaire du post-colonialisme), qui est rélié à la fois à une famille de coopérants en rapport néo-colonial avec son milieu du côté du père et à al structure familiale du pays par la mère , condition souvent rattachée à la bourgeoisie urbaine en Afrique, mais quand-même réléguée dans l'ombre et traitée avec paternalisme par le côté européen (finalement la mère est un beau personnage ,
), ainsi que que sur les diasporas et phénomènes de migrations à différentes échelles, impliquant des personnes de plus en plus menacées à mesure que les distances rétrecissent et cela à 3 niveaux entre l'Europe et l'Afrique d'abord ; le Rwanda et le Burundi ensuite ; puis finalement entre Bujumbura et Bukavu au Congo.
Maintenant il est clair, pour parler de quelqu'un qui a simultanément tout et rien à voir avec ce livre, que Sony Labou Tansi était un écrivain autrement plus fort tant au plan de l'invention littéraire que politique.