Une fable dystopique sur une dictature africaine dirigée par un guide-providentiel, affrontant un opposant, Martial, ne cessant tous deux de mourir et de revivre dans une guerre continuant et se transformant entre les époques, les villes, paysages, et les courants politiques
, écrite en 1979. Du mal à rentrer dans les 30 premières pages (c'est un monde où il faut s'immerger, à la manière des saga de S.F., même si dans le même temps la référence au réel reste nette: on peut y reconnaître des allusions à l'Ouganda d'Amin Dada, la sécession katangaise, la guerre au sud du Cameroun et ensuite les camps de concentration du régime d'Ahidjo, l'"authenticité" de Mobutu et la réinvention de la langue et de l'état civil, la dictature en partie marxistes du Congo-Brazzaville), mais la suite confirme le génie de Sony Labou Tansi : style brillant, hyper-formaliste et en même temps politiquement percutant, mélant un cynisme extrêmement drôle et une compassion désepérée pour le prochain. Plutôt proche de Pierre Guyotat, voire Bradbury et même "Ubik" ou "le Maître du Haut-Chateau" de Philip K. Dick que de Orwell. Pas sans rappeler l'ambiance d'"Il est difficile d'être un dieu" non plus et certains aspects de la poésie de Brecht (Sony Labou Tansi était de son vivant plus connu pour son théâtre que ses romans). J'en parle mal en essayant de positionner le livre par rapport à d'autres écrivains mais c'est un livre dense et marquant (et en même temps extrêmement carré et bref), qui reste en tête après sa lecture, et qui aide à penser le monde actuel et à pouvoir en parler.