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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 13 Mai 2012, 11:14 
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Tu donnes envie. Quand j'aurais l'humeur à la lecture à nouveau, j'y penserais.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 22 Mai 2012, 21:23 
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A la lumière d'hiver (Philippe Jaccottet)
[Leçons - Chants d'en bas - A la lumière d'hiver] + Pensées sous les nuages

C'est la première fois que je lis de la poésie en prose. Je suis allé voir ça parce que j'ai vu par hasard que c'était tombé au programme du bac L, ça m'intriguait un peu de savoir à quoi pouvait ressembler un poète contemporain...

En fait l'absence de vers n'est pas la plus grosse barrière : le texte reste fluide et léger, délicatement évocateur, très chantant... Même si je ne peux m'empêcher de remarquer que les moments les plus forts sont ceux où la rime revient sans prévenir, comme pour marquer le coup. Non, la plus grosse difficulté réside dans l'allusion constante, dans le risque à la première lecture de simplement se laisser porter par la musique des mots en lâchant l'affaire, sans comprendre (ou même sentir) ce dont on parle. C'est impossible à lire sans une lecture concentrée (pas pénible et laborieuse, mais vraiment uniquement concentrée au texte, sans bruit autour), et généralement une fois la page finie, un deuxième ou troisième passage s'impose pour vraiment profiter de l'ensemble. Parce que la grande puissance ici est l'évocation de sensations, le texte se construisant uniquement à partir d'elle. Par exemple :
Citation:
On dirait qu'il se cache, avec effroi, dans la lumière de l'aurore
comme au fond d'une roseraie ;
il y respire un tel parfum
qu'il lui semble, à la suite, échapper aux barreaux de brume.

Le "comme au fond d'une roseraie", par la façon dont il est imbriqué avec le reste, trimballe déjà avec lui tellement de choses : un petit creux d'espace à l'intimité protectrice, l'ombre et la fraicheur quand il fait plus chaud alentours, l'excès de parfum... A chaque nouvel élément qu'amène l'écriture, l'esprit doit jongler inconsciemment avec toutes ces images embarquées, et si le texte n'est jamais "lourd", indigeste, il est souvent dur de ne pas perdre le fil.


Même si la figuration nette d'un décor est toujours tenue à distance, la plupart des poèmes évoque l'espace protégé d'une maison en campagne, et les marches à pieds solitaires dans la nature alentours, avec un trait d'union assez régulier vers le cosmique (galaxies, météores...). Mais ce qui hante la totalité des textes, c'est la peur profonde de la vieillesse, de la dégradation de l'esprit et du corps, du désenchantement (l'impression qu'être poète est vanité), de la sensation de son inutilité. Chants d'en bas, de très loin le plus facile à lire (on lorgne parfois plus vers le texte musical/élégant que vers une véritable poésie), explore la chose en profondeur, avec parfois des percées très violentes, comme ce petit encart qui vient en post-scriptum en dernière page de cette partie, in extremis, alors qu'on pensait les angoisses apaisées, et le poète réconcilié avec lui-même :
Citation:
(Je t'arracherais bien la langue, quelquefois,
sentencieux phraseur. Mais regarde-toi donc
dans le miroir brandi par les sorcières : bouche
d'or, source longtemps si fière de tes sonores
prodiges, tu n'est déjà plus qu’égout baveux.)

Ça donne parfois envie de voir à quoi ressemblerait chez lui une poésie d'avant l'angoisse, d'avant la remise en question, mais les quelques extraits qu'on peut en trouver dans ce recueil laissent finalement penser que c'est dans ce registre inquiet qu'il est le meilleur.


Moi je suis plutôt très séduit au final, même si j'ai l'impression que c'est qu'une petite porte vers beaucoup d'autres choses. Mais c'est un bon premier contact. Une dernière, pour le plaisir :
Citation:
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images
raides comme du fer en travers de sa vie,
n'attendez plus qu'il chante avec ces clous dans la gorge.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 23 Mai 2012, 15:53 
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Tente de lire du Yves Bonnefoy (L'arrière-pays, les planches courbes), ça se rapproche un peu de ce que j'ai pu lire de Jaccottet. Mais si tu cherches de l'angoisse et des images terribles faut aller voir ailleurs.
De mon côté j'avais surtout découvert Jaccottet à travers ces traductions de l'homme sans qualités et les poèmes d'Holderlin.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 23 Mai 2012, 18:11 
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C'est pas ma dernière lecture , mais si vous ne connaissez pas ....courrez y vite!
: Le démon de Selby.
ou comment démontrer que l'american dream ne fonctionne pas au delà des apparences, un récit qui choqua les très puritains américains...savoureux!


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 23 Mai 2012, 19:01 
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Jack Griffin a écrit:
Tente de lire du Yves Bonnefoy (L'arrière-pays, les planches courbes), ça se rapproche un peu de ce que j'ai pu lire de Jaccottet. Mais si tu cherches de l'angoisse et des images terribles faut aller voir ailleurs.

Bonnefoy, un pote m'a conseillé le même hier ! Ca me va très bien si c'est moins inquiet, c'est juste que Jaccottet, en particulier, je le trouve meilleur sur ce plan-là (enfin seulement avec ce recueil dans les mains).

Mais ce sera pas pour toute suite, je suis parti sur Damasio là, les foruméens qui ont vu la vierge dans ce topic m'ont convaincu !


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 30 Mai 2012, 23:35 
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La Horde du Contrevent (Alain Damasio)

Sur vos conseils, je me suis donc jeté dans ce gros pavé qui, après 20 premières pages qui tiennent de l'équilibrisme (ne perdez pas le marque-page...), devient un livre hyper-prenant, passionnant, addictif.

Le plus étonnant c'est qu'il y a finalement beaucoup de défauts qu'on pourrait reprocher à Damasio. Objectivement, ça fuit de partout. Il y a déjà une certaine "naïveté", comme un versant ado de la SF, par l'utilisation de beaucoup de choses qui sonnent parfois un peu gadget, poudre aux yeux : la numérotation inversée, les jeux de sigles finalement pas si profondément articulés à l'écriture (même si y a de jolies rencontres, notamment les morts), les sauts de points de vue inutiles une fois sur deux, le style fou et trop fier, la philosophie parfois ras-du-plancher (le passage où Sov lit deux aphorismes hyper bateaux dans la tour, qui ont -je cite- "une telle puissance", j'étais limite embarrassé)...


Tout cela tient cependant parce que le système général est bien plus puissant que les parties qui le composent : je veux dire que c'est l'articulation de tous les éléments qui créent l'épique, et pas les éléments eux-mêmes. C'est l'ambition énorme qui sauve le livre, et le rend formidable. On pourrait prendre l'exemple des personnages : en soi ils sont un peu fabriqués, caricaturaux (ce sont beaucoup de personnalités clichés : le buté violent, l'experte charismatique, les frères blagueurs...), mais le livre passe son temps à nous les décrire par le regard d'un autre, souvent transi, admiratif, attaché. On tombe moins amoureux de ces personnages que de leurs façon d'être ensemble, que de la horde en elle-même (Caracole lui-même me laisse de marbre, par exemple, mais devient désarmant via l'amitié que lui porte Sov, et le regard que ce dernier porte sur lui). On guette ainsi chaque dialogue, chaque interaction, chaque confrontation, ça se recueille comme du nectar.

Je me souviens précisément de mon passage préféré, une explosion d'émotion : une discussion banale perdue dans un coin de chapitre, au soir, entre quelques hordiers plus âgés déjà dans leurs couchages, après une journée épuisante jusqu'au os, des personnages si différents (le troubadour fou, la scientifique des vents...) qui néanmoins se parlent, qui discutent d'un sujet un peu grave allongés près du feu, en s'inquiétant de parler trop fort, ne voulant pas faire peur aux jeunes qui dorment plus loin. C'est rien, c'est un détail, et c'est orgasmique. Tout ce qui touche la vie au jour le jour de cette horde, leur cohésion, leur amour commun, les moments où ils luttent comme les moments où ils soufflent, est du pain béni.

Du coup je trouve le livre trop court. J'adore le sens des ellipses de Damasio : parfois, à force de nous faire craindre un évènement à venir, il n'a soudain plus besoin de nous le décrire une fois qu'il advient - et d'un coup on saute six mois, on nous apprend après quelques paragraphes que certains sont morts depuis... Cette façon d'envoyer une partie des évènements fondamentaux "hors-champ" rythme le roman de manière très efficace, très particulière, ça tient en haleine. Mais il y a une couille dans la gestion générale, dans le sens où à part le tout début, le final, et le long passage aquatique, on ne suit finalement la Horde que lors de ses pauses et arrêts. J'aurais aimé plus de contrage, plus de mouvement, et moins l'impression d'une suite de villes-étapes alignées.


Je trouve également que le roman se prend vraiment les pieds dans le tapis vers la fin. Pas la toute fin (quoiqu'on pense de son originalité, il y avait vraiment mille moyens d'y arriver de manière puissante, élégante, émouvante), mais vraiment les deux derniers chapitres qui se délitent en digressions mystico-philosophiques épuisantes.

Jusqu'à ce point, ça tenait. Car au-delà d'un univers décrit en toute économie (et tant mieux, vraiment : pas de complaisance dans la fabrication de ce monde, c'est très suggestif), Damasio a un point fort, qui atténue très efficacement la variété un peu bordélique des idées : le fait de tout relier au vent. C'est la cohérence du livre, une sorte de fil rouge scientifique qui happe et justifie jusqu'aux inventions les plus absurdes. C'est aussi un moyen de ramener les éléments de magie et la foi à une justification rationnelle, tout en douceur. Je trouve ça très bien géré, à quelques décalages près, mais sur la fin la mécanique se grippe : Damasio dégueule d'un coup beaucoup trop sans savoir le gérer, sans savoir lubrifier et faire accepter la venue de toutes ces idées dans son univers. On dirait qu'il invente au fur et à mesure, qu'il décide selon son bon loisir, et non que les choses découlent logiquement de l'univers créé (franchement parfois, dans les dernières pages, je me croyais chez Werber). Je pense notamment
au gamin dont accouche Orishi, qui est annoncé telle page, naît trois pages plus loin, est décrit à peine un paragraphe, disparaît une page sur deux dans la suite, survit à tout de manière très commode... et sert finalement à que dalle.

Au final, on peut dire que le vrai échec du bouquin concerne
tout ce qui a trait aux "vifs" : ça part trop en couille, pas assez d'économie pour le coup, et c'est une manière de faire "survivre" les morts de manière très inélégante (qu'on la laisse tranquille, notre émotion lorsqu'on voit un personnage aimé partir !), et là encore pour rien du tout au final.

Disons, pour être plus concret, que j'aurais aimé que les "révélations" du bouquins arrivent de manière aussi douce et progressive, aussi fertiles pour la suite, mais surtout aussi évidentes, que
la révélation de la vraie nature de Caracole.



Bref, je ressors d'une lecture étourdie, j'ai vraiment adoré (j'ai pas lâché le livre de la semaine), marqué par des passages magnifiques (le doux-amer terrible du passage à Camp Boban...) et un festin de personnages, ou du moins d’interactions entre personnages. Mais malgré sa prétention légitime à se poser comme LE grand livre fantastique français contemporain, je trouve Damasio rattrapé par l'aspect le plus immature de son écriture dans les cents dernières pages, qui me laissent un certain goût d'inachevé.

Ah oui, et aussi : l’adaptation sera forcément un massacre.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 31 Mai 2012, 08:36 
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Sinon j'entends tes reproches mais qui n'en sont pas vraiment pour moi même si je conçois l'aspect un peu puéril de l'ensemble (que ce soit le texte même ou quelques idées ici ou là).
Mais la fin moi je l'ai trouvé géniale, elle m'a bouleversé, je la trouve au contraire très bien gérée. Après effectivement
les vifs restent un peu obscurs et on a du mal à comprendre vraiment leur système. C'est quelque chose dont le livre aurait finalement pu presque totalement se passer
mais ça n'affaiblit pas l'ensemble pour moi.
Bref, j'en garde un souvenir ému et je sais que je le relirai dans peu de temps.

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Dernière édition par Art Core le 31 Mai 2012, 09:10, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 31 Mai 2012, 09:03 
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Effectivement, pour les vifs. L'exemple le plus flagrant c'est pour les deux ailiers :

> L'un des deux meurt : son frère se retrouve seul.
Solution 1 - Il devient à moitié fou et se met à parler à son frère défunt dans le vide
Solution 2 - Il a le vif de son frère en lui, et c'est pour ça qu'il dialogue avec lui.

> Un chrone le dédouble :
Solution 1 - Horst dédoublé se réinvente son frère chez son clone, de manière belle mais aussi un peu malaisante
Solution 2 - Le vif du frère prend possession du corps dédoublé.

Dans les deux cas, la solution 1, qui se passe du vif, est de loin la plus intéressante et la plus émouvante. Et c'est d'ailleurs celle que le livre adopte avant de tempérer ça en ramenant le vif dans l'histoire. C'est d'autant plus bizarre que ce vif, à la base, semble métaphoriser l'âme tout en douceur, sans y toucher - puis finalement ça devient le sujet d'étude principal, crûment, et j'ai un peu du mal à saisir cet acharnement : il aurait justement gagné à rester une notion obscure, implicite, à peine évoquée (comme c'est le cas pour l'autochrone qu'est Caracole).


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Juin 2012, 08:52 
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Tom a écrit:
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L’Été meurtrier (Sébastien Japrisot)

Wooouf. C'est du lourd.
Je connaissais en fait pas du tout le film : ni de photo, ni de pitch, ni même qu'Adjani jouait dedans : juste le titre. J'ai choppé le bouquin au hasard parce que je savais que le Jeunet était tiré de Japrisot, et que ça augurait une intrigue à tiroirs virtuose.

Le bouquin est un pied énorme, qui a vraiment une qualité géniale : celle de ne pas faire "sentir" l'énigme policière. Pas avant les trente dernières pages en tout cas. Jusque là, tout ce qui pourrait relever de cette intrigue est tellement intimement lié aux personnages, à leurs sentiments, à leur intériorité, à des scènes quotidiennes et touchantes qui n'ont pas directement à voir avec la question... qu'on suit en fait une enquête policière presque sans s'en rendre compte. Ça c'est vraiment très fort, ça évite au récit d'être sec, d'être une pure énigme, c'est toujours émouvant.


Ensuite, il y a la multiplicité des points de vue (un à chacune des six parties), et je suis aussi enthousiaste que déçu. La bonne surprise, c'est que ça sort des schémas habituels : ce n'est pas un même évènement vu par plusieurs yeux, et les nouveaux témoignages ne viennent finalement qu'assez rarement retourner un évènement (façon : vous pensiez qu'il s'est passé ça, en fait c'est tout autre chose). Japrisot parvient au contraire, à la première personne, à raconter cette histoire à peu près dans l'ordre, en sautant d'un personnage à l'autre : en nous faisant ainsi passer d'un rythme à l'autre, d'une façon de voir le monde à l'autre, explorant largement le spectre de sa gamme émotionnelle tout en suivant un même fil narratif. Et c'est vraiment kiffant.

Il y a toutes les traces de ce qui pourrait rendre le procédé insupportable (les tics de langage propres à chacun jusqu'à l'imitation du mal-parlé, les surnoms donnés à tout le monde, le lien fait entre le narrateur et le lecteur), mais bizarrement ce n'est jamais lourd. Le bouquin parvient vraiment à bien nous faire partager l'univers intérieur de chacun. Là où je suis un poil déçu, c'est par le fait que le procédé ne soit pas mené à bout. Après trois chapitres (et une parenthèse, "l'acte d'accusation", qui est moins un autre point de vue utile qu'un flash-back informatif), on revient vers les personnages précédemment abandonnés. Vu le récit, on voit mal comment il pourrait en être autrement, mais j'aurais adoré continuer à suivre l'intrigue via la tête d'autres personnages, voir par d'autres yeux et d'autres ressentis. Il y a ainsi des protagonistes mystérieux qui restent lointains, et quelque part d'autant plus "désirables" humainement : Mickey par exemple, le deuxième frère, personnage seulement effleuré mais en or massif, si bien décrit et cerné, si lumineux.


Le récit à la première personne permet de toute façon de très belles choses en soi, et notamment une structure en digressions constantes, qui sont comme autant de mini-poches de récit alternes qui n'ont aucun devenir. Ce sont juste des petits morceaux humains. On plonge ainsi dans le plaisir à faire partie de cette fratrie, de ce village, de cet âge, de cette saison, de ce décor. Un exemple, qui n'a rien à voir avec l'intrigue, dès le début, à la sortie du cinéma un soir d'été :
Citation:
En général, il y avait Bou-Bou avec nous et on ramassait un tas de jeunes sur la route, qui montaient à l'arrière avec les vélomoteurs et tout le bazar.
Une fois on s'est compté, il y avait presque tout le monde, de la ville au col. Onze kilomètres. Je les ai lâchés, un par un, dans la lumière des phares, devant des chemins de terre obscurs, des maisons endormies. Quand ils laissaient une bonne amie qui allait plus haut, il fallait presser le mouvement, ils n'en finissaient plus de se quitter. Mickey me disait : "Laisse faire". Arrivé au village, c'était le dortoir. Je n'ai pas réveillé Mickey, ni Bou-Bou, je suis allé à l'arrière avec la lampe électrique. ils étaient assis sur une seule ligne, le dos contre la ridelle, bien sages, la tête de chacun ou de chacune appuyée sur l'épaule de son voisin, ça m'a fait pensé à la guerre, je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de la lampe torche, j'ai dû voir ça dans un film, et en même temps je me sentais heureux. Ils avaient tellement l'air de ce qu'ils étaient, des gosses en plein sommeil, j'ai éteins, je ne les ai pas réveillé non plus.


Et le livre n'est qu'une succession de moments de ce genre, en conglomérat sans queue ni tête, qui à force finissent par faire intrigue d'eux-même, avec une élégance totale. On s'y attache, ça crée une certaine dépendance, et Japrisot le sait : tout comme l'insouciance des jeunes va devoir s'éteindre, cette structure libre ne dure pas. En effet, lors du dernier tiers du livre, sur un même personnage, l'écriture se fixe : chaque élément commence à avoir son utilité, la chronologie stricte reprend peu à peu ses droits. Le récit, déjà très dense, devient alors proprement étouffant. On suffoque, on semble pris dans la canicule, dans cette trajectoire désormais terriblement linéaire et ce point de vue unique qui ne nous laisse plus d'air. L'addiction de l'intrigue (qui n'est pas tant lié à une énigme qu'à un "qu'est-ce qu'il va se passer à présent") vient rajouter à l'oppression, et plusieurs fois il a fallu faire des pauses à la lecture.

S'il ne fallait peut-être reprocher qu'une chose à cette dernière partie, c'est peut-être d'être le moment où ressort un peu trop sèchement le côté policier, le seul moment où l'enquête devient parfois sa propre fin. Pour le reste, je ne sais pas si Japrisot est considéré comme de la grande littérature. Il y a sans doute trop d'élans grotesques, des trucs inutilement forcés,
la fille qui boit sa mère au sein par exemple, ce genre de conneries,
mais globalement j'ai trouvé ça absolument génial.


Et j'ai pas, mais alors PAS DU TOUT envie de voir le film. Voir un Becker poser ses grosses pattes là-dessus avec Adjani et Souchon... Brrrr.


Et bien lu en deux jours, ça faisait longtemps que j'avais pas été happé par un roman comme ça. C'est assez virtuose parce qu'effectivement ce qui tient en haleine n'est pas le récit policier mais bien plus le mystère qui se dégage des personnages et que cette alternance de points de vue dissipe au fur et à mesure d'une manière assez génial.

Sinon d'accord avec toi Tom sur tes quelques réserves (on aurait aimé plus de variétés dans les points de vue). Surtout que ce qui est très beau c'est qu'un personnage apparaît totalement secondaire, un peu simplet et que soudain en le faisant s'exprimer à haute voix, lui donne une folle humanité et une profondeur insoupçonnée (Cognata surtout). C'est ce qui m'a le plus touché dans ce livre, l'impression que le fait-divers ne prend jamais le pas sur les hommes qui le composent et que Japrisot ne juge jamais ou ne rabaisse pas. Dommage également que la partie policière finale fasse presque un peu grossière, un peu trop condensée en fin de récit comme une digression presque dispensable.

Et puis il y a cette ambiance moite et sensuelle qui parcourt le livre et le rend étouffant, angoissant parce que pèse dessus tout le poids de la fatalité. Vraiment un excellent livre, un grand livre même.

J'ai revu sur Youtube des extraits du film de Becker et effectivement juste après la lecture ça fait un peu mal. Entre Adjani qui joue comme une pute décérébrée (il y a un peu de ça dans le personnage d'Elle mais ça va quand même plus loin) et Souchon qui joue le grand dadais un peu benêt, les personnage perdent énormément je trouve. Dire qu'Adjani a eu un César pour ce film.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Juin 2012, 08:58 
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Art Core a écrit:
J'ai revu sur Youtube des extraits du film de Becker et effectivement juste après la lecture ça fait un peu mal. Entre Adjani qui joue comme une pute décérébrée (il y a un peu de ça dans le personnage d'Elle mais ça va quand même plus loin) et Souchon qui joue le grand dadais un peu benêt, les personnage perdent énormément je trouve. Dire qu'Adjani a eu un César pour ce film.


C'est qu'on la voit à poil quand même :)

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Juin 2012, 09:01 
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Art Core a écrit:
J'ai revu sur Youtube des extraits du film de Becker et effectivement juste après la lecture ça fait un peu mal. Entre Adjani qui joue comme une pute décérébrée (il y a un peu de ça dans le personnage d'Elle mais ça va quand même plus loin) et Souchon qui joue le grand dadais un peu benêt, les personnage perdent énormément je trouve. Dire qu'Adjani a eu un César pour ce film.

AH !
Moi ce qui m'a tué c'est d'apprendre que Japrisot avait précisément écrit le personnage avec Adjani en tête, et que l'adaptation ressemblait à ce qu'il pouvait imaginer. Mais de toute façon les écrivains sont toujours complètement à côté de la plaque quand il s'agit de l'adaptation ciné de leurs bouquins, ils ont aucune objectivité (et des goûts de chiotte)...


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Juin 2012, 09:04 
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Oui d'ailleurs Japrisot a aussi eu un César de la meilleur adaptation alors qu'effectivement il a appauvrit son propre boulot (la fin est changée et tout, c'est plus pareil).

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Juin 2012, 22:05 
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Les Clochards célestes du fameux Kerouac, donc.

Bon. C'est un chouia long malgré le faible nombre de pages... Et ça a bien vieilli (not in a good way), le trip "montagne/alcool/drogues/bouddhisme"... Ça m'a un peu gonflée, globalement.

Et la traduction est un peu lourde.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 09 Juin 2012, 18:17 
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L'Histoire de Pi / Life of Pi (Yann Martel)


Surpris de voir que le livre est finalement plus étrange que son pitch (= après un naufrage, un jeune ado se retrouve seul sur un canot de sauvetage avec un tigre). Le traitement n'est ni fabulesque, ni angoissé, mais "léger" : Martel gambade d'idée en observations, d'impressions en réflexions, notamment à travers cette première partie qui retrace en pointillés l'enfance du jeune homme à l'intérieur d'un zoo. Par la succession de micro-chapitres, l'ensemble prend ainsi plutôt l'aspect d'un collier de souvenirs (l'écoulement du temps est extrêmement variable, aléatoire), semblant vouloir éviter les effets de structure trop clairs (hormis celui, criant, qui découpe le livre en trois).

Cette liberté permet une lecture parfois délicieuse, parce que le livre a des approches toujours nouvelles, surprenantes. Je pense par exemple à l'anthropomorphisme que l'esprit de l'ado suggère sur tout ce qu'il croise (j'ai explosé de rire sur le "oui monsieur désire ?", vous verrez en lisant). Le roman a paraît-il nécessité des recherches énormes sur le comportement animal et la culture indienne, mais la façon très libre dont Martel y pioche fait qu'au final on n'en ressent jamais le poids. Cependant, cet éparpillement fragilise aussi souvent l'ensemble. Si le portrait généreux de la religion vue à hauteur d'enfant est plutôt belle, la naïveté et le quasi-prosélytisme entourant la foi (ou même les zoos, défendus becs et ongles) sont un peu irritants. De même, lorsqu'il sort du strict réalisme, notamment vers la fin du voyage, Martel semble souvent se permettre un peu tout et n'importe quoi.

C'est un peu la grosse faiblesse du livre, ce revirement : pendant un long moment, la force de cette histoire tient à son ultra-réalisme. C'est une folie qui reste plausible, c'est ce qui y est extraordinaire - ce à quoi on nous prépare très bien en passant par la figure de l'histoire vraie, et de la rencontre avec cet homme. Lorsque le roman abandonne brusquement ce réalisme, le lecteur se sent un peu décontenancé, comme trahi. Cet effet de slalom se justifie au final de manière irréprochable, dans un avant-dernier chapitre absolument bouleversant, terrible, qui fait comme par magie retomber l'intégralité du roman sur ses pattes. Mais entre temps le roman aura quand même avancé de manière un peu flottante, inégale et parfois ennuyeuse, pas toujours apte à relancer l'intérêt hors du noyau palpitant (la première semaine à bord, et le moyen à trouver pour survivre) qui fait, avec la toute fin, le plus beau du bouquin.

Je suis très curieux de voir le film, ça va être passionnant (parce qu'à première vue c'est inadaptable, y a un véritable travail à faire, ça lance un vrai défi).


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 10 Juin 2012, 23:56 
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L'étranger (Albert Camus)


J'ai pas été transcendé comme j'ai déjà pu l'entendre autour de moi, mais j'ai bien aimé ce roman absent, à l'humanisme calme et presque "logique" (dépassionné, non affecté). Le livre dégage un parfum d'évidence immédiat, l'admirable simplicité de la plume de Camus s'avérant rapidement nécessaire (besoin de cette honnêteté, de toute absence de fioritures) ; cette pureté ne fait peut-être défaut qu'au tout dernier chapitre, où le style se fait un peu moins prosaïque. Il y a un effet d'adhésion (voire d'admiration) très fort pour ce personnage qui observe et avale tout comme une éponge, sans distinction, pour ses réponses d'une littéralité désarmante. Le procès en deviendrait presque réjouissant.

Pas bouleversé, mais une grande impression d'équilibre, à commencer par celui de la taille du roman, court et pas une ligne de trop, parfaitement au clair avec ce qu'il a exactement à nous faire partager avant de refermer sa dernière page.


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