L'île (Robert Merle)
Sur les bons conseils de Chloé, je suis donc allé découvrir cette histoire qui repart des bases historiques connues (la mutinerie du Bounty et ses suites) pour imaginer l'installation des mutins sur une île isolée du pacifique, en cohabitation avec les tahitiens ayant bien voulu les accompagner - et ce qui y arriva.
La simplicité assumée du roman, au départ, fait un peu peur ; une simplicité qui n'est pas seulement celle de sa structure, limpide, sans louvoiements ou détours. Mais simplicité aussi d'un auteur qui, à la manière du comportement tahitien qu'il décrit, ne se prive pas pour fondre en amour sur ceux dont il parle. Pas de pudeur. En quelques lignes, le petit mousse dont le meurtre sert de point de départ à tout le récit est déjà un ange, l'innocence et l'enfance à lui tout seul, un réceptacle à l'amour gourmand de l'auteur et de ses personnages. Tout le roman est ainsi, dans un élan d'affection indissocié pour les hommes et les femmes, à contempler les visages, les attitudes, la douceur, l'intelligence même chez les persos les plus abjects, à l'affut du moindre motif d'émerveillement. C'est le premier regard : enveloppant, aimant, humaniste à en crever, qui emboite curieusement le pas à l'idéalisation sans retenue des tahitiens (toute l'imagerie dont on sait sans doute déjà, à l'époque, qu'elle est aussi un mythe) pour en faire l'objet de toutes les fascinations.
Cependant, et c'est ce mélange qui est vraiment réussi, il n'y a aucune niaiserie. C'est d'ailleurs le sujet même du bouquin : le deuil du pacifisme, la mise à genoux de cette notion, tout en douceur et en délicatesse. Je pensais que le livre serait une sorte de découpe : 1/3 de paradis, 2/3 d'horreur qui s'abat sur tous, dans le mouvement d'une grande désillusion qui prend les persos de court. Or tout reste constamment mêlé : il n'y a pas de basculement à proprement parler, de moment où le regard de l'écrivain deviendrait soudain noir, de relâchage dans la capacité des personnages à réfléchir et anticiper les situations, même lorsqu'ils sont impuissants. Jusqu'au bout, des scènes tendres et douces nous accueillent régulièrement. Il y a vraiment une prouesse à souligner, qui est celle de l'équilibre parfait inter-chapitres, cette gestion idéale du rythme qui donne l'impression d'une glissade tout à fait régulière, logique, tenue - tout au plus est-on un moment surpris par le bloc des trois derniers chapitres, où soudain le récit s'immobilise.
On se sent parfois un peu trop dans les rails attendus, le roman frise le risque d'être trop "gentil" (trop idéaliste, malgré sa rigueur, malgré l'horreur qu'il décrit dans les faits), mais ça ne flanche jamais réellement. L'aura des tahitiennes, personnages d'abord doux et effacés prenant petit à petit une ampleur démesurée de déesses protectrices, suffit à ne jamais se lasser de la douceur enveloppante qui caractérise le roman. La force de personnages extrêmement réussis (Purcell, superbe héros, mais aussi des plus secondaires comme White ou Mehani) achève de faire de ce bouquin une très belle réussite, qui laisse à chaque bout de lecture une sorte d'impression douce et spleeneuse, maternelle et mélancolique.
Voilà, peace and loooove.
Et évitez de lire les quelques pages qui précèdent le roman, elles dévoilent toute l'histoire, fin comprise.