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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 14:32 
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Justement j'avais adoré Rebecca, j'avais peur que ce soit très arlequin, et du haut de ce que je peux en juger (soit pas grand chose), j'avais trouvé ça super bien écrit, un délice à lire.

Bonne idée pour Brontë, en plus j'ai pas vu les films adaptés de ses livres, donc je peux foncer sur les plus connus.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 14:40 
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Si je ne me trompe pas, Emily Brontë n'a écrit que Les Hauts de Hurlevent
Côté films, je n'ai vu que la version avec Merle Obéron et Laurence Olivier, aussi sombre, glauque et désespérée que le livre, un vrai délice !

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 14:43 
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Ah je m'emmêle, je pensais que c'est elle qui avait écrit Jane Eyre...


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 14:53 
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Après vérification, c'est sa soeur, Charlotte Brontë, qui a écrit Jane Eyre

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 15:51 
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noisette 7 a écrit:
Dans la même veine, tu peux essayer Les Hauts de Hurlevent d' Emily Brontë

Ouais, c'est à peu près autant dans la même veine que Les Chroniques de Narnia est dans la même veine qu'Ulysse de James Joyce.

Elles sont trois sœurs Brontë : Emily, qui n'a écrit que Les Hauts de Hurlevent, Charlotte, la plus prolifique, et Anne.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 21 Avr 2012, 16:17 
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Dans la même veine, je pensais surtout aux aventures intérieures, aux tempêtes d'interprétation de regard, de signes etc... pour reprendre les expressions de Tom.
Pour le reste, je suis d'accord que ce n'est pas tout à fait le même genre d'histoire et que la morbidité passionnée et passionnelle d'Emily Brontë n'est en rien comparable à la cathédrale de raisonnements et de stratégies de Charlotte.

Très belle analyse, Tom.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 23 Avr 2012, 22:12 
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L’Été meurtrier (Sébastien Japrisot)

Wooouf. C'est du lourd.
Je connaissais en fait pas du tout le film : ni de photo, ni de pitch, ni même qu'Adjani jouait dedans : juste le titre. J'ai choppé le bouquin au hasard parce que je savais que le Jeunet était tiré de Japrisot, et que ça augurait une intrigue à tiroirs virtuose.

Le bouquin est un pied énorme, qui a vraiment une qualité géniale : celle de ne pas faire "sentir" l'énigme policière. Pas avant les trente dernières pages en tout cas. Jusque là, tout ce qui pourrait relever de cette intrigue est tellement intimement lié aux personnages, à leurs sentiments, à leur intériorité, à des scènes quotidiennes et touchantes qui n'ont pas directement à voir avec la question... qu'on suit en fait une enquête policière presque sans s'en rendre compte. Ça c'est vraiment très fort, ça évite au récit d'être sec, d'être une pure énigme, c'est toujours émouvant.


Ensuite, il y a la multiplicité des points de vue (un à chacune des six parties), et je suis aussi enthousiaste que déçu. La bonne surprise, c'est que ça sort des schémas habituels : ce n'est pas un même évènement vu par plusieurs yeux, et les nouveaux témoignages ne viennent finalement qu'assez rarement retourner un évènement (façon : vous pensiez qu'il s'est passé ça, en fait c'est tout autre chose). Japrisot parvient au contraire, à la première personne, à raconter cette histoire à peu près dans l'ordre, en sautant d'un personnage à l'autre : en nous faisant ainsi passer d'un rythme à l'autre, d'une façon de voir le monde à l'autre, explorant largement le spectre de sa gamme émotionnelle tout en suivant un même fil narratif. Et c'est vraiment kiffant.

Il y a toutes les traces de ce qui pourrait rendre le procédé insupportable (les tics de langage propres à chacun jusqu'à l'imitation du mal-parlé, les surnoms donnés à tout le monde, le lien fait entre le narrateur et le lecteur), mais bizarrement ce n'est jamais lourd. Le bouquin parvient vraiment à bien nous faire partager l'univers intérieur de chacun. Là où je suis un poil déçu, c'est par le fait que le procédé ne soit pas mené à bout. Après trois chapitres (et une parenthèse, "l'acte d'accusation", qui est moins un autre point de vue utile qu'un flash-back informatif), on revient vers les personnages précédemment abandonnés. Vu le récit, on voit mal comment il pourrait en être autrement, mais j'aurais adoré continuer à suivre l'intrigue via la tête d'autres personnages, voir par d'autres yeux et d'autres ressentis. Il y a ainsi des protagonistes mystérieux qui restent lointains, et quelque part d'autant plus "désirables" humainement : Mickey par exemple, le deuxième frère, personnage seulement effleuré mais en or massif, si bien décrit et cerné, si lumineux.


Le récit à la première personne permet de toute façon de très belles choses en soi, et notamment une structure en digressions constantes, qui sont comme autant de mini-poches de récit alternes qui n'ont aucun devenir. Ce sont juste des petits morceaux humains. On plonge ainsi dans le plaisir à faire partie de cette fratrie, de ce village, de cet âge, de cette saison, de ce décor. Un exemple, qui n'a rien à voir avec l'intrigue, dès le début, à la sortie du cinéma un soir d'été :
Citation:
En général, il y avait Bou-Bou avec nous et on ramassait un tas de jeunes sur la route, qui montaient à l'arrière avec les vélomoteurs et tout le bazar.
Une fois on s'est compté, il y avait presque tout le monde, de la ville au col. Onze kilomètres. Je les ai lâchés, un par un, dans la lumière des phares, devant des chemins de terre obscurs, des maisons endormies. Quand ils laissaient une bonne amie qui allait plus haut, il fallait presser le mouvement, ils n'en finissaient plus de se quitter. Mickey me disait : "Laisse faire". Arrivé au village, c'était le dortoir. Je n'ai pas réveillé Mickey, ni Bou-Bou, je suis allé à l'arrière avec la lampe électrique. ils étaient assis sur une seule ligne, le dos contre la ridelle, bien sages, la tête de chacun ou de chacune appuyée sur l'épaule de son voisin, ça m'a fait pensé à la guerre, je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de la lampe torche, j'ai dû voir ça dans un film, et en même temps je me sentais heureux. Ils avaient tellement l'air de ce qu'ils étaient, des gosses en plein sommeil, j'ai éteins, je ne les ai pas réveillé non plus.


Et le livre n'est qu'une succession de moments de ce genre, en conglomérat sans queue ni tête, qui à force finissent par faire intrigue d'eux-même, avec une élégance totale. On s'y attache, ça crée une certaine dépendance, et Japrisot le sait : tout comme l'insouciance des jeunes va devoir s'éteindre, cette structure libre ne dure pas. En effet, lors du dernier tiers du livre, sur un même personnage, l'écriture se fixe : chaque élément commence à avoir son utilité, la chronologie stricte reprend peu à peu ses droits. Le récit, déjà très dense, devient alors proprement étouffant. On suffoque, on semble pris dans la canicule, dans cette trajectoire désormais terriblement linéaire et ce point de vue unique qui ne nous laisse plus d'air. L'addiction de l'intrigue (qui n'est pas tant lié à une énigme qu'à un "qu'est-ce qu'il va se passer à présent") vient rajouter à l'oppression, et plusieurs fois il a fallu faire des pauses à la lecture.

S'il ne fallait peut-être reprocher qu'une chose à cette dernière partie, c'est peut-être d'être le moment où ressort un peu trop sèchement le côté policier, le seul moment où l'enquête devient parfois sa propre fin. Pour le reste, je ne sais pas si Japrisot est considéré comme de la grande littérature. Il y a sans doute trop d'élans grotesques, des trucs inutilement forcés,
la fille qui boit sa mère au sein par exemple, ce genre de conneries,
mais globalement j'ai trouvé ça absolument génial.


Et j'ai pas, mais alors PAS DU TOUT envie de voir le film. Voir un Becker poser ses grosses pattes là-dessus avec Adjani et Souchon... Brrrr.


Dernière édition par Tom le 29 Avr 2012, 16:38, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 27 Avr 2012, 17:48 
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De Japrisot je ne connais que La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil que j'avais absolument adoré (et quel titre !).
Je mets celui-ci sur ma wishlist (et j'aime plutôt bien le film de Becker je dois dire).

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 27 Avr 2012, 19:39 
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Et il y a aussi son tout premier roman, écrit alors qu'il était ado, pas policier du tout mais qui est superbe : Les mals partis
Qu'il avait signé de son vrai nom : Jean-Baptiste Rossi
Qui a été -très bien- adapté au ciné par lui, d'ailleurs (on est jamais aussi bien servi que par soi-même !) avec France Dougnac.

La dédicace du début est tout simplement magnifique :

Si tu le peux, crois en ton Dieu
Mais surtout, crois en ta vie
Si ta vie oublie ton Dieu, garde ta vie
Si ton Dieu empêche ta vie, rejette ton Dieu
Ta vie est l'unique
Et qui que tu sois, ton Dieu n'est pas le mien

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 28 Avr 2012, 00:27 
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La BA a suffi à me calmer, pour le Becker. Toujours le même problèmes avec les adaptations après lecture, de toute façon.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 29 Avr 2012, 16:48 
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Bérénice (Jean Racine)

Bien aimé, sans adorer à la folie non plus. C'est bizarrement petit, épuré : il n'y a aucune "action" véritable, la pièce est rapide, les personnages réduits au minimum (bien que le poids de Rome, toujours évoquée mais jamais vue, pèse sur toute la pièce), il y a peu de revirements, le final est abrupt... Au point que ça sonne limite expérimental par moments. Racine n'évite pas toujours l'effet litanie d'alexandrins (surtout sur ses monologues), mais ça reste hyper solide, très dense à la lecture, et puis de temps en temps il te prend en traître avec une poignée de vers qui claque comme un fouet, qui clôt une situation superbement, sèchement, en contractant un nombre d'enjeux incroyable en quelques mots ("Adieu. Servons tous trois d'exemple à l'univers", ce genre d'éclats...)

Par contre je trouve les personnages masculins bizarrement faibles, ou en tout cas trop semblables tous deux dans leur impuissance, voire dans leur relative lâcheté. Bérénice leur vole la vedette : malgré une caractérisation réduite à l'essentiel, elle a une personnalité très finement dessinée, suggérée. Un caractère riche, réactif, revendicatif, qui fait au final un peu d'ombre aux deux autres.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Mai 2012, 10:29 
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La réputation de chef-d'oeuvre n'est clairement pas usurpée tellement cette histoire d'amour unilatérale est magnifique, ensorcelante et déstabilisante. La façon qu'a Nabokov de rendre sensuel un petit rien, de rendre Lolita désirable avec des petites choses, des perversions presque faciles (les socquettes, le tennis...) est admirable et propose une vraie expérience de lecteur où il faut sans cesse se rappeler qu'elle n'a que 12 ans et que nous lisons la prose d'un pédophile actif. C'est également génial de subtilité où sans aucun mot vulgaire, sans aucune description sexuelle Nabokov parvient à dire beaucoup, à insinuer la consommation charnelle, à dépasser le tabou, à être profondemment borderline tout en étant extrêmement précautionneux et raffiné.
Et là où on touche au chef-d'oeuvre c'est dans la description presque clinique d'une fascination visuelle, d'un amour purement physique, très cinématographique d'ailleurs où Humbert Humbert se montre totalement sous l'emprise d'un corps jeune et pur et ne peut que s'y soumettre. La manière de rendre cet amour totalement détaché de toute considération rationnelle, de n'en faire qu'un regard vers une oeuvre d'art que l'on ne peut pas oublier. Et en même temps de rendre cet chose très belle, infiniment sordide dans son commerce de la chair, dans son chantage sexuel permanent.
Je regrette éventuellement quelques longueurs minimes (les parties road-movie un peu longues et redondantes). Mais c'est vraiment un grand livre.

Ca m'amène d'ailleurs à dévaluer un peu l'adaptation de Kubrick au final assez frileuse (bon à l'époque il aurait difficilement pu faire pire mais bon...) qui semble parfois un peu à côté de la plaque et qui ne parvient pas à rendre compte de ce déchirement profond pour le personnage comme pour le lecteur/spectateur entre un amour fou et une maladie mentale. Je pense qu'il y a clairement la place pour une nouvelle adaptation plus frontale, pas forcément plus cul ou vulgaire mais tout simplement plus confondante et troublante.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Mai 2012, 11:03 
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Art Core a écrit:
nous lisons la prose d'un pédophile actif

Ah, dans le bouquin il est pédophile "en général" ? (je croyais, de ce que je connaissais de l'histoire, que c'était juste vis à vis d'elle, un cas à part).


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 04 Mai 2012, 12:32 
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Non, non il est pédophile par ailleurs. Le narrateur nous le rappelle quelque fois et parle souvent de ses "démons", de son incontrôlable amour des nymphettes.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 11 Mai 2012, 21:47 
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Les grandes espérances (Charles Dickens)

Je sors très ému de ce gros livre. A cause des adaptations tous azimuts, il s'agit au final du seul "grand" Dickens dont je ne connaissais pas déjà l'histoire. J'ai donc sauté sur l'occasion.


L'histoire commence avec un garçon dans le froid, la peur, et le brouillard, et le roman entier se dépliera à partir de cette base. Ce sera l'histoire d'un enfant dans le noir : tous les adultes sont des monstres grotesque, le monde est hostile. Et au milieu de ce noir intense, Dickens fait briller quelques rares feux, qui par contraste resplendissent. C'est le premier truc qui me tue à la lecture : la complicité discrète (tacite) entre le gamin et son père de substitution, au milieu de la terreur ambiante. Cette adoption est magnifique. Quand dans les premiers chapitres le gamin terrifié se retrouve pris dans la traque d'un criminel à travers une brume de contes, perché sur le dos de ce faux père, Dickens nous fout dans les souliers angoissés de façon physique : "J'étais là maintenant sur le dos de Joe, et Joe était là sous mes jambes, qui fonçait vers les fossés comme un cheval de chasse", "le coeur cognant comme une forge contre [sa] grosse épaule". Le roman sait rendre saillant tous ces sentiments enfantins, les peurs disproportionnées et le sens de l'injustice, l'envie de se cacher comme la peur des adultes.

Et pourtant l'écriture n'est pas pesante. Il n'y a pas un moment sans humour : un humour féroce, à la limite du cynisme, mais qui ne ridiculise jamais les sentiments éprouvés par l'enfant. En fait ça m'a beaucoup fait penser (attention, le retour des grandes références littéraires) à Roald Dahl, et à cette façon de toujours souligner l'absurdité du monde comme avec flegme, délivrant de temps à autres des maximes et réflexions bienveillantes, n'hésitant pas à exagérer le trait (le roman devenant souvent fantasmagorique, notamment dans tout ce qui concerne l'improbable Mlle Havisham, personnage qui semble sorti de la vision déformée d'un enfant impressionnable). L'enchaînement des scènes est rapide (chapitres nombreux et assez courts, amenant chacun une nouvelle action et un nouvel évènement), et ça se lit vraiment sans aucune difficulté.


J'avais un peu peur, au premier tiers du livre, de voir tout ce caractère s'éteindre en voyant le héros devenir jeune adulte, mais Dickens ne perd pas le fil et retranspose sans rupture ce ton particulier dans la grande ville : Londres en cité abjecte et grouillante, l'amitié du colocataire en guise de flambeau dans le noir, les relations toujours serrées à un petit nombre de persos, ne s'éparpillant pas dans les habituelles digressions multiples du roman-fresque. De plus, lorsque le héros se fourvoie dans des erreurs d'adolescent méprisables au risque de casser l'identification, le même personnage adulte (narrateur très actif dans le livre) est là pour prendre le relai, apporter un point de vue apaisé, et ainsi nous rester proche : là encore, il n'y a jamais de rupture, on reste constamment en adhésion avec lui. Bref, il y a un bel équilibre tenu jusqu'au coup de théâtre des deux tiers.

A partir de là, le roman s'emballe, commençant à réunir tous ses fils à une vitesse haletante. C'est d'abord palpitant : à la destinée idéale et linéaire que se rêve le jeune héros vient soudain se substituer un destin bien plus dense et évident, comme si depuis la première page il n'avait fait que poser ses pas dans chacune des étapes d'un grand dessein prévu pour lui par la fatalité - on se rend alors compte que, malgré le foisonnement du roman de Dickens, tout élément croisé y trouve une place, et que rien n'aura été "inutile" ou gratuit. C'est très fort, très intense à la lecture, et ça fait passer comme une lettre à la poste les coïncidences très forcées qui permettent à l'ensemble de tenir. Néanmoins, peut-être parce que non agencée autour d'un véritable climax, toute la résolution (à partir de la scène un peu bordélique sur le fleuve) peine à se trouver un rythme correct, finissant par accumuler, chapitre après chapitre, son lot de révélations et de mini-coup de théâtre à la suite (déversant de plus dans un trop plein d'effusions entre les persos, quand la chaleur les unissant s'exprimait surtout jusqu'ici dans le non-dit et la retenue). La gestion émotionnelle (= le temps juste consacré aux évènements selon leur importance symbolique) des tous derniers chapitres est du coup assez mal foutue, et je trouve la toute fin (l'actuelle comme celle initialement prévue) très "petite" et peu ambitieuse vis à vis du reste.


Mais ça ne m'empêchera pas d'adorer le livre dans son ensemble, cette toile de personnages ultra-humains, rayonnants, qui sans même s'en rendre compte se liguent ensemble pour contrer les monstres et la nuit. Il y a une impression de solidarité grandissante et inconsciente, comme si Dickens venait peu à peu rassurer le gamin terrifié à qui il n'a jamais cessé de parler tout au long du livre, emportant le lecteur à l'émotion avec la force d'un raz-de-marée.


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