Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.Je ne veux pas me fier totalement à mes premières impressions mais à première vue, le film m’a paru plus déplaisant que tripant.
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Ça commence dans le désert marocain, avec des gens qui parlent anglais, français, espagnol. Ils ont l’air d’avoir subi déjà pas mal d’épreuves : l’un n’a plus de bras, l’autre plus de pied, celui-ci plus de fille. Hormis le père, ce sont des déserteurs – à tous les sens du mot. Ils fuient dans le désert, dans la danse, dans la drogue, un monde en guerre devenu invivable, voire la fin du monde elle-même, puisqu’il est dit qu’elle a déjà commencé. On s’étonne un peu : à quoi bon fuir si c’est la fin du monde ? De fait, on va vite comprendre que c’est sans espoir. En attendant, ils fuient une nouvelle guerre mondiale, dont les déserteurs ne veulent rien savoir puisqu’ils éteignent la radio quand il en est question. Est-ce parce qu’ils en savent déjà trop ? Certainement pas : ils ont l’air de tout ignorer du pays dans lequel ils se trouvent : la langue, les zones risquées à éviter, ils ont l’air bien mal informés sous leurs airs de survivalistes préparés à tout sauf à ce qui les attend. Je ne parle même pas des rares interactions avec les gens du coin : une succession de moments de confrontation, ou d’embarras, ou de marchandages ; plutôt catastrophique. Les zones les plus dangereuses, ils s’y précipitent inconsciemment, comme dans ces contes où la Mort vous attend sagement au bout de la route, là où vous cherchiez à la fuir.
On comprend bientôt que ce désert ne sera pas vraiment le Sahara, mais un espace métaphorique où se sédimentent toutes les angoisses du moment : angoisse du réchauffement climatique, de l’extinction de toute vie ; angoisse des guerres, d’un effondrement d’à près tout. Laxe porte sur ce désastre un regard impassible : il ne l’explique pas, ne s’en émeut pas. Il choisit d’ignorer l’histoire de cette région : on est au Maroc, on va au sud vers la frontière mauritanienne, tout ça est dit explicitement, mais rien ne sera exposé des conflits du Sahara occidental. Les personnages débarquent dans une zone minée sans rien comprendre (il s’agit du mur construit par le Maroc dans les années 1980 pour empêcher les Sahraouis d’entrer). C’est sans doute le but : figurer une zone de guerre abstraite qui représente toutes les guerres (difficile, par exemple, de ne pas songer aux attentats du 7 octobre, avec cette rave party interrompue par la guerre) ; mettre en scène des personnages qui veulent danser et ne plus rien savoir du monde qui les entoure, qui semble partout en feu. On ne sait jamais trop sur quel pied danser avec eux : sympathiques nomades, égoïstes importuns ou victimes indifférentes ? Le film penche pour l’un ou l’autre selon les scènes. N’importe : Laxe tire habilement tous les bénéfices dramatiques de cette situation : il capitalise sur les effets d’angoisse qu’elle produit sans s’embarrasser des causes. Le désert est simplement vu comme une zone de danger propice au suspense et à l’allégorie : c’est le royaume de la Mort. Les populations déplacées, les convois militaires, les mines, c’est comme le soleil, le désert, les montagnes, tout ça c’est de l’intemporel, c’est la Fatalité, indéchiffrable et inexorable, partout et toujours identique à elle-même.
Admettons tout ça et allons gaiement vers la mort puisque les voyages forment la jeunesse. Que s’agit-il de voir, d’expérimenter, puisqu’il s’agirait d’un "trip", comme disent les critiques fatigués qui semblent avoir besoin de ce genre de cachetons ? Le film, qui faisait mine de partager la recherche de la transe des déserteurs, entreprend de les faire exploser les uns après les autres, sans discernement ni beaucoup de sympathie. Pourquoi lui plutôt que tel autre ? Il n’y a pas de raison. Quel est leur tort ? De se comporter comme des égoïstes, des colons ? Peut-être. Ou peut-être que ce sont juste des hommes qui meurent, sans que la mort soit la punition de quoi que ce soit ? C’est probable. Qu’est-ce que le film leur propose alors pour traverser cette mauvaise passe ? Non pas d’ouvrir les yeux, pour voir ce qui les entoure, pour comprendre un peu ce qui leur arrive, mais, au contraire, de marcher "sans réfléchir", d’avancer à l’aveugle – seul vade-mecum que le film propose pour traverser cette zone minée qu’est notre court séjour ici-bas. Pourquoi pas, mais on a du mal à voir en quoi c’est très utile – puisque ça marche une fois, pas l’autre : autant dire que ça ne marche pas du tout. Ne pas réfléchir, ne pas voir, c’était déjà ce que faisaient les déserteurs jusque là et on ne peut pas dire que ça les ait beaucoup aidés, que ça leur ait épargné la moindre souffrance. Autant faire l’économie de cette petite leçon de mysticisme, dont le gain est à peu près nul puisque la situation des personnages n’est pas meilleure à la fin qu’au début – sans parler du moral, qui est tombé pas loin de zéro, en ce qui me concerne en tout cas.
Non vraiment, l’exercice ne m’a pas semblé très profitable. Les morts successives sont censées agir sur le spectateur comme la drogue ou la musique de rave sur les personnages : elles stupéfient, elles insensibilisent, elles inhibent la pensée. Ne rien faire, ne pas penser : tel serait le remède en ces temps de catastrophe universelle. Le film prétend alors relever le spectateur, assommé par cette brutale prise de conscience de la fin de toutes choses, pour l’inviter à la danse. Mais personne ne danse à la fin. A la fin, les déserteurs ne sont plus capables d’avancer par leurs propres moyens : ils se laissent porter par un train qui ne va nulle part. Comme individus, ils disparaissent, mêlés à la foule indifférente des passagers dont rien ne les distingue mais avec laquelle ils ne partagent pas grand-chose non plus, à part leur mortalité, leur solitude, leur soumission aveugle à Dieu sait quoi.