aka L'Ombre d'un doute
Charlotte « Charlie » Newton et sa famille vivent dans la paisible ville de Santa Rosa, en Californie. La visite inattendue de son oncle également nommé Charlie, charmant et sophistiqué, suscite l'enthousiasme de la famille et de la petite ville. Cette excitation se transforme en peur lorsque la jeune Charlie commence à soupçonner son oncle de cacher un sombre secret.What if Suspicion but better? Dans un premier temps, j'ai vaguement cru à une redite et puis "les grands auteurs font éternellement le même film" et Hitchcock tourne régulièrement autour des mêmes dynamiques mais en réalité, dès le départ, le film adopte une approche radicalement différente de
Soupçons, semblant révéler d'entrée de jeu la duplicité d'Oncle Charlie, qui est le premier personnage que l'on voit et donc pas au travers du regard de sa nièce enamourée mais allongé sur un lit dans ce qui ressemble à...la dépression? Jamais le mot n'est dit, bien évidemment, et je ne sais pas à quel point les mœurs de 1943 pouvaient se laisser y penser de la sorte mais je n'ai pu m'empêcher d'y penser et de trouver que cela colorait différemment l'archétype du "sociopathe sociable" que l'on retrouve souvent chez Hitchcock.
D'autant plus que l'autre protagoniste, cette nièce nommée d'après lui, nous est présentée exactement de la même manière, allongée sur son lit et sujette à l'
ennui (à lire en anglais) avant de penser à lui écrire un télégraphe alors même qu'il vient de leur en envoyer un, comme s'ils étaient en symbiose. Et la découverte graduelle par la jeune femme de la véritable nature de son oncle adoré ne se fait pas uniquement au travers d'indices circonstanciels échappés d'un thriller classique (l'article de journal, la bague...) mais également par le biais de la perception du monde qu'ose verbaliser Charlie lors d'un dîner - et d'un rare mouvement de caméra ostentatoire, ce travelling avant depuis son point de vue jusqu'à un très gros plan sur le visage de Joseph Cotten, valeur encore moins fréquente dans le langage cinématographique du film - qui donne une fois de plus l'impression que le mec n'est pas simplement un psychopathe mais d'un cynisme achevé qui a tôt fait d'entamer l'innocence de sa nièce.
C'est le plus fort,
in fine. Au premier degré, c'est l'histoire de la perte de l'innocence de la jeune Charlie qui se découvre un oncle meurtrier mais le niveau de lecture juste en dessous révèle surtout une jeune fille qui s'éveille à non seulement à l'horreur du monde mais à celle de la vie, de l'existence même. Et vu comme Hitchcock choisit délibérément de situer l'action dans une petite bourgade tranquille bien loin de la guerre qui fait pourtant rage, il invite à projeter un sous-texte plus large encore sur le récit.
De manière générale, il s'amuse à subvertir l'image de la petite famille modèle, avec ce père dont l'occupation principale et de discuter avec son pote de comment ils s'y prendraient pour tuer l'autre, cette cadette précoce qui renvoie tout le monde dans les cordes et cette relation im-bi-bée d'inceste entre les deux Charlie. Il n'y a guère que la pauvre mère qui vit dans l'illusion que ce monde n'est pas déjà perverti. Une vérité que Hitchcock filme en cadrant de plus en plus Cotten comme une figure menaçante et non affable, en laissant s'immiscer le genre, avec ses ombres et quelques rares
dutch angles, dans la rectitude toute blanche de la maison.
Et en faisant durer le film au-delà de la découverte par la jeune fille, il troque le suspense de la bombe sous la chaise (ou de l'oncle dans la maison, en l'occurrence) pour un malaise prégnant.
J'ai commencé le film en craignant une répétition mais c'est une réinterprétation autrement plus porteuse.