moi, je suis un chien fidèle. je dois à luc des vives et fondatrices émotions cinématographiques de ma jeunesses, alors je serai toujours sincèrement attaché à lui et à son cinéma. aujourd'hui, j'ai de l'admiration pour son incroyable et unique carrière, j'ai une forme d'affection perverse pour son besson-verse qui, pour toute sa débilité et son mauvais goût, n'appartient qu'à lui et je suis aussi optimiste donc je me suis toujours dit qu'un jour ou l'autre, un rebond serait possible.
la lucidité m'oblige néanmoins à juger ses films pour ce qu'ils sont. et dans sa descente aux enfers en tant que réalisateur, il y a eu du nul (arthur 2 & 3), du rien (malavita), du raté (the lady) - mais anna inaugurait le pathétique. parmi tous les trucs invraisemblables que je me suis cogné, c'était au final la première fois que j'avais mal pour lui. cet auto-remake décati, oeuvre d'un mec totalement à sec, réduit à s'auto-plagier en mode vieilli, usé, fatigué, à s'approprier en tant que réalisateur les énormes conneries qu'il avait autrefois eu la sagesse de confier à d'autres... j'avais beau savoir que ce n'était qu'un rebound fuck après le traumatisme de l'échec de valérian, je m'étais dit qu'il fallait qu'il arrête, prenne une vraie pause et revienne quand il aurait de nouveau des choses à exprimer et une manière de le faire qui ne serait pas le 3863530 recyclage d'une idée sympa eue en 1991.
la pause est venue, contrainte et forcée, et le fait est qu'il est revenu avec des choses à exprimer et une manière de le faire qui n'est pas exclusivement constituée de recyclages d'idées de 1991. le fait est que c'est la première fois depuis des années - des décennies ? - qu'il semble s'être écoulé plus d'un mois entre le moment où il a eu son idée et le moment où il a fini son first - et final - draft.
ça prend donc la forme de cet auto-portrait à peine déguisé. alors le récit à une psychiatre en prison est une facilité scénaristique pénible (et luc étant luc, flemme de parler ou faire lire à un pro pour que ça donne quelque chose parce là, la meuf fait la conversation autour d'un café), mais luc a écrit ça en sortant du bureau du juge à qui il a raconté toute sa vie pour se dédouaner d'accusations qui auraient pu l'envoyer en prison. puis il raconte l'histoire d'un petit garçon très solitaire puis d'un ado inadapté, dont la vie change quand il rencontre l'art et une fille qui l'émerveille. privé de sa capacité à faire des films et en délicatesse avec sa famille, il écrit l'histoire d'un mec qui ne peut plus marcher - mais qui, avec beaucoup d'efforts, arrive à se mettre debout pour performer devant son public. il raconte l'histoire d'un mec qui vit plusieurs vies, comme un auteur qui se plonge dans diverses histoires. il raconte l'histoire d'un mec dans la position du monstre mais qui se révèle abimé et touchant - et j'ai aimé qu'on le voit faire de vilaines choses, je n'y ai pas vu un aveu sexuel mais plus sur ses méthodes de business. et je ne sais pas si les chiens sont pour lui une métaphore - consciente ou pas - de son public, mais j'ai aimé le penser.
et le tout dans un film qui ne ressemble joyeusement à rien de connu, y compris dans son cinéma. j'aurais deviné au bout de 3 minutes que c'était de lui (une petite émotion devant le premier plan, hein) mais ça ne ressemble à rien, et dans ces temps de profusion de 'contenus' mais d'atrophie de l'imagination - avec l'impression constante que tous les films doivent rentrer dans un des dix formats validés - c'est quand même un vrai truc génial de voir ce truc vaguement zinzin.
ça veut pas dire que j'ai adoré, c'est bardé de problèmes et defauts, mr gin-jinn en a pointé une partie : la structure ne fonctionne pas du feu de dieu, les chapitres sont un peu artificiels, les gros machins faciles en musique, ca manque parfois un peu d'imagination - il y a des idées fortes (évidemment, les chiens à l'attaque) mais d'autres sont vraiment faibles (le plan contre le chef latino est totalement nul, le montage recherche de boulot c'est impossible), et effectivement luc n'a pas l'air de particulièrement aimer les chiens. j'ai pensé à coline serreau qui disait qu'elle pensait que 3 hommes et un couffin avait marché parce que tout le monde adorait les bébés et qu'elle avait pris le temps de laisser des plans de 30 secondes, 1 minutes sur le bébé à juste le regarder et qu'on ne prenait jamais ce temps là dans les films, et je me suis dit que luc ne prend pas ce temps là avec les chiens, en vrai je pense qu'il les aime plus conceptuellement que réellement.
et puis il y a un problème fondamental qui pour moi empêche totalement le film de voler : ça se passe aux usa. il n'y a aucune raison. c'est manifestement un pays qu'il connait à travers les films et 4 déjeuners d'affaire à los angeles, et ça le fait sombrer dans son pire défaut, c'est à dire ce recours permanent et automatique aux poncifs. la famille white trash est grotesque, les flics mangent des donuts, les aspects procéduraux sont extremement flottants. il fait de son mieux pourtant et adopte tous les stéréotypes en vogue pourtant : les blancs sont damaged, les noirs ne peuvent plus être que des no-nonsense maires psychiatres neurochirurgiens ou astronautes et les latinos balek, membres de gang mafieux ça ira très bien. mais le mal est profond : déjà, rarement vu un film où, à l'exception du lead, le cast est à ce point subpar : absolument tout le monde a l'air d'être des acteurs pas chers au chômage, c'est terrible. et ensuite, ça créé une distance avec ce qu'il raconte, ce le remet dans ce besson-verse qui a vidé toute la substance émotionnelle de son cinéma. j'ai d'ailleurs trouvé marrant que la phrase-idée soit la même que danny the dog, qu'il avait alors traité en truc industriel sans lien avec la réalité (mais qui se passait à paris) et que cette fois ci, où c'est sincère, il le fout aux us pour créer de la distance. il se serait épargné cette facilité, il serait sorti de sa zone de confort et aurait sûrement été contraint de se stimuler encore plus.
après, une parenthèse sur le truc du drag. en 40 ans de cinéma il n'a jamais eu un bout d'élement lgbt dans ses films, le mec le plus hétéro du monde, et je l'imagine tomber sur un drag race quelconque à la télé, trouver ça touchant, et l'intégrer dans le film et j'ai trouvé ça empathique, respectueux, j'ai trouvé que c'était un mec qui jamais dans la vie ne ferait un truc pareil mais comprend profondément quelqu'un qui le fait et saisit parfaitement comment ça peut nourrir son âme. j'ai trouvé ça émouvant.
ce n'est pas un film que je reverrai avant longtemps, ce n'est pas un film que je conseillerais, ce n'est pas un film que j'adore, mais ça m'a fait penser à je t'aime encore de yelle où elle chante : "je sais que je suis pas la plus belle, mais je suis la sincérité" et comme ça faisait 22 ans que j'avais pas ressenti ça devant un de ses films, j'étais content, c'est déjà ça.
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