Drôle de frimousse (eurgh) en français.
Maggie Prescott, rédactrice en chef du magazine Quality, recherche un mannequin pour présenter les dernières créations d'un couturier français. Le photographe du magazine, Dick Avery, va trouver la personne idéale : Jo Stockton, une jeune libraire modeste qui, loin de s'intéresser à la mode, ne jure que par la philosophie.J'ai sous-estimé Donen. Même si beaucoup plus abouti,
Chantons sous la pluie m'avait finalement pas laissé un souvenir impérissable. Alors que là, malgré un ensemble imparfait, il y a régulièrement des scènes qui me foutent sur le cul.
C'est pourtant un film témoin (comme beaucoup à partir de cette période j'ai l'impression) d'un cinéma classique qui montre ses premiers signes d'agonie, par épuisement ou saturation, face à un monde qu'il n'est plus possible de filmer ainsi. Il y a comme une aberration à voir l'abstraction harmonieuse de la comédie musicale, dont Donen applique strictement les codes sans aucun compromis ("comme si de rien n'était"), se cogner à l'acidité de l'imagerie pop naissante, ou aux cercles de discussion Sartriens... A ce titre, les quelques passages extérieurs d'un Paris réaliste à l'orée des années 60, pris dans le mouvement d'une chanson touristique dont la magie n'opère pas, et dont les reconfigurations artificielles se voient comme le nez au milieu de la figure, a quelque chose de sinistre.
Le film semble ainsi toujours flirter avec l'assemblage mortifère et mécanique de numéros de claquettes, d'une maîtrise exténuée menée à bout... Tout l'enjeu de Donen est de se concentrer, de rester focalisé, d'avoir conscience de ce qu'il raconte malgré l'archétypal extrême de son scénario. L'héroïne a beau être une caricature ultra-basique d'intello qui découvre la vie, la simplicité crue de sa première chanson (seule dans une pièce, parlant presque plus qu'elle ne chante, ne gérant la montée en puissance que par l'utilisation d'un simple chapeau) a quelque chose d'impressionnant. Idem pour le petit pas de deux à peine dansé, calqué sur le minutage d'une exposition photographique, qui s'épanouit majestueusement dans les 5m² d'un labo photo... A coups d'abstraction, Donen parvient souvent à circonscrire l'essence de situations cent fois filmées avant lui.
Et cette abstraction est partout, car le film répond à la gifle d'altérité qu'il reçoit en pleine gueule (celle des sixties qui arrivent) par une autre violence, celle de la satire, outrée et grossière (voire franchement bête parfois), mais qui lui permet au moins de recomposer avec ces éléments comme il l'entend, de parler du monde nouveau avec ses propres armes. Ça donne parfois des droits de réponse brillants, comme la scène de danse au club, qui tout en se foutant des tics d'une certaine danse contemporaine, caricature la chose par le biais d'une chorégraphie si exceptionnelle, mise en scène avec une telle maîtrise, qu'elle finit par en faire une sorte d'éloge détourné.
Il faudrait étudier les évolutions du genre, mais j'ai l'impression que le film, de peur de se paumer dans un environnement où il a de moins en moins ses marques, s'épure et se replie sur l'essentiel, s'interdit les fioritures et le flamboyant (y compris dans le scénar, qui ne joue pas au malin, qui ne s'écarte jamais du canevas classique), comme de peur de s'égarer : la pauvreté des moyens employés m'a frappé par exemple, ne serait-ce que parce que tout cela est finalement bien peu dansé, la chorégraphie s'incarnant plutôt dans la grâce des mouvements en prose (la sortie de scène avec le melon façon bowling, ce genre de choses), ou dans des séquences totalement détachées de leur contexte (Astaire qui fait un show solo dans la cour de l'hôtel).
Reste que cette épure est un jeu dangereux, et à force de faiblesses le film finit par s'atrophier. Dans sa dernière demi-heure, les numéros chantés/dansés (la répétition de l'interview, le numéro au salon philosophique) fleurent le remplissage mécanique, et les séquences entretenant un dialogue avec l'abstraction du film (le labo, les séances photos) commencent aussi à se faire rares... Le loufoque et la parodie deviennent alors une fin en soi un peu stérile, et peinent à dessiner à eux seuls un final digne de ce nom. Sur la corde raide entre le potentiel d'un grand film pur (un
Rio Bravo de la comédie musicale) et l’anecdotique déclinaison de codes qu'on a refusé de remettre en question,
Funny Face parvient finalement assez mal à imprimer sa marque - sinon comme témoin de 30 ans d'acquis.