
c'était en compétition à cannes en 2002. c'est toujours marrant de voir les vieilles selections, il y a les mecs qui sont toujours dans le cannes game (ken loach, les dardenne, cronenberg...), ceux qui sont passés de mode comme la dernière des popstars éphémère (amos gitai, michael winterbottom, nicole garcia...).
et mike leigh dans cette dernière catégorie, donc, avec son avant-dernier film même pas sorti en france et son dernier sorti le mois dernier dans l'indifférence générale.
mais même à l'époque, c'était un peu compliqué : il enchaine sa palme d'or (1,6m) avec deux filles d'aujourd'hui qui fait 180k, topsy turvy qui fait 7k (!) et celui là à 80k... ce qui n'empêchait pas un prestige qui l'emmenait à cannes ou à venise ou aux oscars.
et ça donne ce film, à la fois intéressant et random.
c'est une chronique pure et dure des "classes populaires" anglaises, 3 familles de cas sociaux anglais hardcorissimes certifiés conformes.
c'est un témoignage du moment pour mike leigh : il se passe extremement peu de choses, un scénario assez rachitique, qui dure 2h10. il faut avoir une grande confiance en son talent pour être sur que ça fera un bon film, il faut des spectateurs conquis d'avance pour que ce soit en compétition à cannes, et tout ça fonctionne. il y a une force constante dans le film, un talent pour capter les choses. encore plus impressionnant, c'est qu'on est vraiment dans des trucs hards (vraiment du white trash complet qui passent leur temps à s'insulter, à baiser n'importe comment avec les teen pregnancies, problèmes psys ou alcoolisme en cascade...) mais ça ne fait pas film safari, ce n'est pas un exercice artificiel - et même avec des acteurs 100% pro ça n'a pas l'effet "romain duris pas rasé et avec un bonnet pour faire comme les prolos". bref, un cinéaste social qui maitrise son art.
parce que c'est aussi, du coup, un témoignage de cette frange du cinéma social. effectivement c'était l'époque des ken loach et des dardenne tout puissants, quand ils faisaient des films sur les classes populaires et laborieuses blanches. ces films sociaux là ont globalement disparu - largement remplacés par les films sur les migrants. d'ailleurs intéressant qu'il n'y ait pas une seule figure immigrée à l'écran - alors que ça se passe dans un grand ensemble d'hlm aux populations particulièrement 'fragiles'. je ne connais pas assez l'angleterre pour savoir si en 20 ans la situation a vraiment beaucoup évolué ou si c'était un angle mort de mike à l'époque, mais c'est marquant.
et en tant que film... c'est vraiment très long. la surenchère de misère collective vire au grand guignol parfois. c'est très marrant de voir james corden ado obèse dans un rôle secondaire, et sally hawkins toute jeune aussi - mais tous les acteurs sont formidables. ces gens incapables de se parler autrement qu'en se gueulant dessus et les insultes tout le temps c'est vraiment ma phobie complète donc c'était dur. mais il y a plein de beaux moments, des beaux plans, de choses captées, de gens incapables de formuler leurs sentiments, de communiquer, de s'aimer et de le dire, et les 20 dernières minutes donnent tout son sens et son ampleur au film, c'est très émouvant, beau, riche. et ça incarne bien son mojo du moment, ce sont des plans très simples, dans un appartement dégueullasse, avec un contenu émotionnel bati sur 2 longues heures, avec des acteurs exceptionnels - et il était donc très sûr de lui en se lançant là dedans et à raison. il n'y a pas de grande théorie intellectuelle sur rien, c'est de l'observation sociale, une chronique humaine, une exploration des relations et des sentiments.
il n'en demeure pas moins que c'est, je crois, l'incarnation du film d'art et essai cannois pas extraordinaire mais avec de belles choses mais que tout le monde oublie après sa sortie en salles - à part des profs à la retraite férues de cinéma qui trouvent ça un peu long mais touchant quand c'est diffusé sur arte des années après.
(ici c'était sur paramount +).