Revu dans la foulée de
Blue Velvet grâce à la CDM aussi, donc.
Tout le monde connaît donc en vitesse : moins linéaire donc moins évident, bourré d'effets de fondus et d'ellipses qui fracturent la narration. On retrouve ces intérieurs aveugles, chichement meublés mais étouffants, les fameux rideaux rouges, les silences entre les répliques, tous ces éléments angoissants qui contribuent aussi à la réputation qu'a Lynch, pas injustifiée mais excessive et surtout réductrice, de cinéaste à jeux de pistes.
Ce qui me frappe le plus, ce sont les similitudes avec
Blue Velvet malgré les différences majeures de forme : dans
Blue Velvet on suivait Jeffrey de manière classique, spectateurs de son vacillement face à l'obscenité pathologique du mal. Là, on est plongé dans la subjecitivité traumatisée d'une version de Jeffrey qui a basculé, s'est abandonné à sa fascination pour le pire.
Robert Loggia, qui avait pété un câble en apprenant qu'il n'avait pas été retenu pour le rôle de Frank Booth, est exaucé : Eddy Laurent est en effet une version plus performante de Frank, moins rabaissée, moins animalisée par le poids de ses vices. Il rejoue néanmoins les même mécanismes de domination par la violence sexuelle et psychologique, mais en plus vaste, en plus "entrepreneur", préfigurant les maffieux lointains mais omniprésents de
Mulholland Drive puisqu'il gère un réseau de traite des blanches, produit des films pornographiques et des snuffs, et brise les actrices exactement comme Frank le faisait avec Dorothy Vallens ("marrant" d'ailleurs que la scène qui illustre ça (Patricia Arquette qui se désape flingue contre la tempe) soit accompagnée d'un morceau de Marilyn Manson). Il finit d'ailleurs comme Frank.
Renée/Alice, c'est en quelque sorte Dorothy Vallens qui, à force de sévices, a fini par sombrer dans la corruption, jusqu'à peut-être passer du côté de ses bourreaux. Fred/Pete, c'est Jeffrey qui n'avait pas de Sandy avec son beau monologue sur les rouge-gorges pour le protéger.
Le petit démon joué par Robert Blake (lui aussi suspecté un temps du meutre de sa compagne, connue pour chercher les vieux riches), je ne sais pas trop quoi en faire. Lors de sa première apparition, il semble à la fois personnifier l'aspect démoniaque de ce qui se joue sous la surface, que
Blue Velvet appelait d'une certaine manière et que
Twin Peaks assumait, mais aussi servir de passeur à Fred vers sa "transformation" (le romancier Barry Gifford, qui a co-écrit le film avec Lynch, souscrit à l'idée que la seconde partie est une fugue psychique de Fred face à son sentiment de culpabilité).
Blue Velvet montrait la sidération justifiée de jeunes gens innocents et naïfs qui prennent la mesure de la menace posée par le monde souterrain de l'exploitation criminelle des êtres humains.
Lost Highway montre de l'intérieur l'effondrement psychique d'un homme qui n'a pas su se prémunir de sa fascination et de son désir. Parti pris plus risqué (je trouve le film un peu long, moins "brut"), mais l'horreur absolue est toujours là.
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