Song of Kali, Dan Simmons
Dan Simmons et Dean Koontz, deux auteurs qui existent dans l’ombre de Stephen King : même génération, même créneau, overlap sans doute du lectorat.
Koontz c’est de la merde en barres. Une écriture paresseuse et opportuniste, intrigues, persos et thèmes lissés à l’extrême, tout est du niveau d’un téléfilm 90’s diffusé sur M6.
Simmons est plus intriguant : je l’ai découvert tard, il y a 3 ou 4 ans, en lisant les deux premiers Hyperion, pastiche tantôt de hard SF, de cyberpunk et de pulp d’aventure de l’espace, avec une vraie ampleur, un bel univers bien vaste, des influences classiques digérées avec finesse (Geoffrey Chaucer et John Keats principalement). Puis j’ai lu Summer of Night, incroyable pastiche du It de King. Puis Hard Case, très bon pastiche de Donald Westlake. Puis j’ai regardé la version HBO de The Terror, pas mal du tout, qui laissait deviner un roman qui serait un riff sur le journal de bord d’une expédition bien réelle… Une tendance se dessinait, celle d’un auteur qui assume ses points de départ ultra-référencés pour faire sa propre sauce.
Simmons a disparu des radars au fil des dernières années, suite sans doute à sa radicalisation un peu ridicule anti-Obama façon boomer néo-conservateur au cœur notamment de son roman de 2012 Flashback (commencé mais pas fini), et une brouille aussi avec son traducteur en français vraisemblablement à cause de tout ça en partie (on trouve plus de détails en fouinant du côté des forums de la littérature dite « de l’imaginaire » (pire nom de catégorie)). Song of Kali est son premier roman, et se traîne déjà une réputation épineuse.
Raconté à la première personne, on y suit l’arrivée en Inde d’une sorte d’agent littéraire américain pour une petite revue de poésie, accompagné de son épouse Indienne et de leur bébé, pour récupérer la dernière œuvre d’un mystérieux poète bengali porté disparu depuis des années, voire présumé mort. Sauf que cette œuvre vient juste d’être adressée par ce poète lui-même (ou pas ?...) à un groupe d’intellectuels locaux désireux de la faire publier aux US. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu.
Clairement, Simmons y dépeint, à travers son narrateur, une Inde de cauchemar — Calcutta y est un dépotoir à ciel ouvert, un marasme de saleté, de pollution, de misère et de folie. Un épouvantable puit de noirceur. Tout ça vaut au roman des accusations de racisme, bien entendu. Loin de moi l’intention de décréter si c’est raciste ou non, en tout cas je me suis retrouvé dans ce portrait du choc incommensurable que représente, pour un occidental, la découverte d’un pays du tiers-monde hors des sentiers battus. L’exposition à la violence, au dénuement, à des codes diamétralement opposés aux nôtres, climat, conditions de vie (et de mort), bruits, saveurs, odeurs, rapports hommes/femmes, adultes/enfants… Il y a là-dedans la possibilité, ou la menace, même, du dégoût, de la répréhension, de la rupture dans une rencontre entre sa culture et une autre — pour le coup complètement « autre » — qui peut être insupportable, surtout en allant au fond du fond, et Simmons exploite bien cette possibilité en la poussant au max dans un récit qui va de noirceur en noirceur avec une très belle habileté horrifique (bien des scénaristes dans le genre devraient s’en inspirer), un style déjà bien élégant, discret et efficace, et ce sens de l'imagerie cauchemardesque sans affèteries.
Et là c’est un pastiche de quoi ? De Heart of Darkness bien sûr. Simmons remue à grands coups de spatule en bois les éléments les plus parlants et évidents de ce que Conrad suggère concernant l’effet de cet « autre monde » sur l’esprit occidental, une menace plus terrible encore que celle évoquée plus haut, ce dégoût qui peut protéger : la menace d’un engloutissement. Simmons pulpise ces éléments, rend ça plus safe, plus vulgos, mais comme il faut, avec humilité. Court, sec comme un coup de trique, pertinent. Bien.
_________________ Looks like meat's back on the menu, boys!
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