Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.Je me serais bien contenté d'un Art Core a tout dit, mais comme le cuistre n'a pas jugé bon d'ouvrir le topic...
Bien chauffé par les retours laudateurs sur Twitter, mais d'un autre côté j'étais tout de même un peu méfiant, d'une parce que sur ce média on s'y enflamme trop régulièrement, et de deux parce que je n'ai pas été particulièrement convaincu par ses deux précédents (il faut voir son dernier, des vieux en costumes d'époque en train de lutiner la gourgandine dans des chaises à porteurs au crépuscule, malaise garanti de la première à la dernière minute). Et j'ai effectivement mis un peu de temps pour rentrer dans celui-ci, sa photo diaphane à la Berlin Alexanderplatz, ses dialogues un peu vaseux et ses acteurs approximatifs, son rythme indolent... mais bizarrement l'édifice prend peu à peu forme, autour de quelques saillies comiques (l'improbable histoire du diplomate portugais), de personnages hors-normes (Shanna Pahoa Mahagafanau évidemment, qui joue comme une casserole mais à la présence unique), de lieux indéfinissables (cette improbable boîte où des tahitiens bodybuildés se promène en slip). Et puis survient une séquence (la compétition de surf à Teahupoo) qui fait basculer le film dans une autre dimension.
L'origine de la menace se fait plus concrète, le film a une vraie pertinence quant à son questionnement politique (au-delà même de toute attente avec le conflit en Ukraine), mélange de risque nucléaire, de post-colonialisme, du statut de la France (pas bien glorieux si l'on s'en tient aux pouvoirs supposés du Haut-Commissaire, au courant de rien, moqué par les puissances étrangères sur place), que Serra va dérouler en terrain connu, celui d'un monde crépusculaire quelques minutes avant sa fin, mais sur une tonalité décalée, non pas mortifères comme pouvaient l'être ceux de
La Mort de Louis XIV ou
La Liberté, mais ensoleillé, souriant, affable... Faux thriller (il cite ceux des années 70 comme influence, j'y ai plus vu celle des films d'anticipation de Godard style Alphaville ou de ceux de Biette - Howard Vernon aurait été ici comme un poisson dans l'eau), vrai paradis vicié.
Tout cela culmine dans un dernier tiers hallucinatoire, extra-sensorielle, quasi lynchien (la scène finale dans la boîte, et cet improbable Amiral que je n'ai eu de cesse de voir comme une réincarnation de The Man from Another Place de Twin Peaks). Économie de dialogue (je ne saurais dire s'ils en prononcent encore quelque uns, dans tous les cas sporadiques), profusion d'image, de son... Je tenais jusqu'à présent EO pour l'expérience cinématographique de l'année à ne pas manquer, Pacifiction est bien au-delà, plus homogène, plus riche. Malgré cela je n'ose vraiment le recommander, j'ai pleinement conscience de sa bizarrerie, je doute que ça plaise à un large publique, mais bordel que c'était fort... hâte de voir le prochain Serra du coup, même si je me demande s'il sera capable de faire aussi bien. Et place gardée tout en haut des top de fin d'année.
5/6Sinon je recommande la lecture de son entretien sur
Chaos ou celui de son chef op/monteur sur
Critikat. Serra qui me donnait l'impression d'être un dandy branleur m'y est apparu sous un tout autre jour. Et son film évite d'ailleurs les écueils dans lesquels bien d'autres sombrent aisément. Malgré le nombre des références queer que l'on pourrait y trouver, on est jamais face à un maniérisme à la Mandico par exemple, elles sont parfaitement intégrées à l'ensemble, participe du sentiment de décalage sans être excluante.