"A Single Man" m'avait énormément plu en son temps, mais j'ai trouvé ce film extrêmement déplaisant, racoleur moralement, et formellement plat. Des très bons acteurs pour jouer des rôles basés sur la maximalisation violente d'affect banals et simples, façon Derrick ou Barnaby. Du caviar pour les cochons. Est-il besoin de massacrer sur un mode glauque lêché deux femmes, sortir tout ce discours "law and order" sans aucun point de vue (une idéologie se dilue dans la représentation qui en conserve la lettre, détruit le contenu et en maximalise les effets, le scepticisme est en fait son principe d'accomplissement politique, le mec semble avoir découvert cela hier), de faire ce remake de Deliverance par Luc Besson pour raconter une banale histoire de divorce entre intellos en crise, du niveau de "the Squid and the Whale" (avec un peu 'Safe' de Todd Haynes)? Le dispositif narratif installe un tunnel dans lequel le personnage d'Amy Adams est plongé dès le début, sans évoluer ensuite. Elle n'a rien à jouer, juste à tirer la tronche (à part dans les assez jolis flash-back sur le début de la relation avec Jake Gyllenghal : où on sent le truc qui va se planter dès le début malgré une bonne volonté, on sent un peu de plaisir du jeu, mais ils sont surécrits - toutefois moins concon que le reste). De plus le personnage est condamné dès le début, et rendu foncièrement antipathique, au moyen de symboles lourdingues (le papier de l'emballage qui fait saigner, le tableau "Revenge" dont elle ne souvient plus qu'elle est l'acheteuse, la Pontiac GTO des tueurs qui est devant la magasin où Gyllenhal se prend la rupture dans la figure). Au moins dans the Squid and the Whale le personnage de Jeff Bridge, chargé, était néanmoins douloureusement et inexplicablement proche du spectateur, la reconnaissance était beaucoup plus complexe que la simple question-réponse de jeu télévisé "que feriez-vous à sa place" que l'on trouve ici, étalée sur deux plombes alors que tout est épuisé après 3 minutes. Le mec confond déconstruction et projection, une clé avec un panneau indicateur, Jacques Tourneur et Fort Boyard, "Macadam à Deux Voies"* et Choupette. Et surtout il se regarde filmer en permanence. Il y a une articulation avec "a Single Man" qui aurait pû être intéressante : l'amant fait preuve de la même monstruosité aussi bien en mourrant qu'en se vengeant, mais c'est filmé à la truelle, avec une forme ultra snobissime (c'est même plus le baroque pompier, courageusement assumé, auquel on trouverait un certain charme ) et un esprit de sérieux effroyablement mortifère, comparé à U-Turn de Stone ou même Blue Velvet qui recélaient bien plus d'humour et de mystère. A la limite, après les scandales récents, ce qui rend le film intéressant, c'est que son scénario est la métaphore involontaire de ses conditions de production, avec ces deux femmes condamnées dès le début, mais contraintes d'effectuer une représentation écrite d'avance avant d'être écrasées. Mais beurk. Des meurtres à tiroir, neurasthéniquement parfaits et virtuels, j'en vois assez les dimanches soir avec Vera sur la 3, qui au moins ne se ment pas sur l'aspect chiant, répétitif, et déjà vu de ce qu'on lui fait jouer. Le saut de foi requis de la part du specateur supposerait que le roman écrit soit génial, mais il est en fait ultra con, tenant uniquement sur la condescendance du citadin pour le redneck (sans les femmes, Gyllenhal peut jouer à en être un et en même temps prétendre avoir un intérêt moral, qui le devance, et l'excuse :la vision du monde redneck à la Trump investie de la même manière qu'une identitié sexuelle).
Et la forme est horrible, image bleutée ou jaûnatre qui nous replonge au début des années 2000, musiquette penderickienne omniprésente, pompeuse et répéttive, qui ne s'arrête que sur les rebondissements, machant le travail du spectateur. Les Visiteurs II (ceux de Kazan, pas de Poiré quoi que...).
*Rayon fétichisme : au niveau de caisses, c'est la Pontiac GTO de Madacam à Deux Voies qui affronte la Mercedes W116 de Blue Velvet, avec un peu de Vanishing Point aussi, dans la scène du dépassement du cabriolet qui parvient à s'échapper, et d'ailleurs ne fait rien pour les autres laissés derrière, mais bon même là Tarantino est passé avant (et pour le coup avec un propos plus féministe).
Dernière édition par Gontrand le 21 Nov 2017, 00:08, édité 2 fois.
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