SPOILERS A TOUT VA
Enfin vu. Quel dommage ! Vu l’heure tardive, je ne sais pas à quel point je vais réussir à être clair, mais c’est parti (je crains d’être exclu de la possibilité de voter pour le prochain ciné-club, donc c’est maintenant ou jamais pour moi)
Je rejoins l’avis de Tom sur pas mal de point. Mais avec l’impression d’avoir un avis plus positif que lui, globalement, sur le film. (je vais être seul sur ce coup-là). Peut-être que le fait d’avoir lu quelques avis avant ma vision m’a aidé à appréhender le film avec des défauts déjà ressentis par d’autres, et donc d’en faire (un peu) abstraction et d’établir un plan d’attaque.
Bon, c’est très difficile de faire abstraction de la musique omniprésente qui anéantit petit à petit le film et donc je me suis fait une vision un peu particulière (je coupe le son… et je remet le son… et je recoupe le son un peu comme je le sentais). La première chose, c’est que le film est tout à fait regardable de cette façon et que j'y ai pris du plaisir. La deuxième chose, c’est que le film ne tient pas complètement debout sans musique non plus (en tout cas sur des longues durées) Mais certains passages sont très impressionnants muets, et la vision me laisse déjà quelques traces. C’est bon signe.
Globalement, et je sais que ça a l’air horrible dit comme ça (ça ne l’est pas) mais j’ai l’impression d’un gros brouillon, où un assistant monteur aurait aligner dans l’ordre les “évènements” du récit, les étapes narratives en suivant une continuité scénaristique. Puis, ayant un peu de temps libre, il aurait essayer un peu de dilaté certains moments, puis été fasciné par la beauté de certains plans, incrédule et perdu devant d’autres moments, et puis n’ayant plus le temps de remonter tout ça avant une vision avec le monteur, aurait coller une musique sur le tout pour souligner sa première impression dramatique de chaque moment, et pour créer du lien sur l’ensemble de son travail. Ouais… Sa dernière idée était vraiment la plus mauvaise.
La noyade dans la musique a plusieurs effets très négatifs:
- impression d’une sur-illustration de ce qui est déjà donné à voir (la musique ne renforce rien, mais illustre l’illustration) – rien qu’à l’écrire c’est étouffant. - une temporalité incompréhensible – faute de réelle rupture sonore /musicale – le film est baigné dans une seule et même couleur, un même temps sonore. Je comprends bien ton idée, Tom, d’un parti-pris narratif qui serait celui de créer un ton fabulsesque et que la temporalité floue y participe, mais ce que je trouve plus étonnant c’est la façon dont cette temporalité floue lié pour beaucoup à la musique s’accorde mal avec certaines construction à l’image où rien ne va en ce sens – Blomberg jouant les ruptures entre les intérieurs sombres et étroit et les grands espaces extérieurs, entre les séquences de solitude et les séquences de communauté, entre les plans documentaires et les plans iconiques de pure fiction, entre la nuit et le jour, etc…) La musique devient un liant, imprécis, pour tout ça et noie le film dans une seule même soupe temporelle. - apparition d’une abstraction, très juste et heureuse sur certains plans (long déplacement, plans sur le renne) mais le plus souvent, je trouve qu’elle détruit ce que tout le reste de la mise en scène est en train de réussir à incarner de façon assez magistrale en fait (notamment la séquence à l’église, je reviendrai dessus plus tard) - au fil du film, la musique finit par devenir très explicative et informative, là où elle n’est au départ qu’une illustration très premier degré, naïve, simpliste et pauvre de la joie, de la solitude, de l’inquiétude (donc de sentiments), elle finit par devenir informative. Elle ne me renvoie plus à un sentiment, mais elle m'informe. - mais ce qui me gêne le plus : elle m’éloigne de plus en plus du mystère qui se joue devant moi – elle simplifie quelque chose qui n’est pas simple. Elle m’informe de la présence d’un mystère, mais sans me donner aucune clé pour pouvoir l’éprouver ou en ressentir sa puissance – hors tous les ingrédients d’un beau mystère sont là...
et Blomberg y touche quelques fois
Je suis d’accord avec Tom sur le fait que la scène à l’église est une des séquences les plus réussies du film. C’est le coeur du film qui se joue ici. Tout à coup la promesse du film prend forme : le désir de pouvoir de la femme, son désir d’exister aux yeux de…, d’être regardée, est incarné dans ce moment simple où elle n’est ni une sorcière, ni un renne, ni un vampire, mais simplement un visage dans la communauté. Visage duquel un homme qui est en train de se marier ne peut se détourner. Elle ne regarde pas l’homme. Elle est visage parmi d’autres visages. Elle regarde dans le vide. Et c’est dans le regard de l’homme que soudainement, elle existe, irrémédiablement femme. La séquence est très belle… mais c’est aussi un bel exemple de la façon dont la musique vient détruire le reste de la mise en scène, venant me rappeler que tout ça est “mystère”… alors que je vivais déjà, au plus proche, ce mystère du désir de regard, justement sans musique à ce moment-là.
Les moments que je trouve très beaux/forts :
- Le premier baiser avec son futur mari (je vois beaucoup moins une maladresse qu’une volonté de faire de ce moment un moment de sens et donc la coupe et sa “maladresse” passe loin derrière le sens que Blomberg veut raconter – une agression, une invasion)
- La nuit avant le meurtre du premier homme – les trois corps nichés les uns contre les autres – l’apparition du renne blanc (oui, l’effet est déstabilisant la première fois) et l’ellipse qui passe en plein jour, comme s’il l’avait suivi toute la nuit sans relâche.
- Le temps où la communauté se réunit à nouveau, après les trois rencontres avec le renne. Malgré les morts, l’angoisse, il y a à nouveaux un semblant de joie et d’insouciance. Et l’homme qui l’a vue et la reconnait n’est pas cru par les autres. Ce moment la déstabilise et l’angoisse plus elle-même que la communauté.
- Sublime plan dans le miroir ou son visage passe d’ange de beauté à vampire en une inclinaison de tête. Et il y a de nombreux gros plans/portraits de la femme qui sont très beaux (très primitifs)
- Dans l’intimité du couple, la nuit, son mari la voit s’approcher de lui, avec “ses dents de vampire”, mais il ne croit pas ses propres yeux, s’accuse d’avoir des visions plutôt que de penser qu’il la voit vraiment, elle. A nouveau, ça l’anénantit complètement.
J’aime bien les allers-retours aussi entre le drame intime, solitaire de cette femme et la vie de la communauté. C’est assez rare pour le souligner. Son drame vital, personnelle est irrémédiablement lié à toute la communauté qui l’entoure. Et Blomberg met ça en scène de façon assez juste.
- Après avoir vu la fabrication de la lance de son mari, avoir entendu et vu tout le village se préparer à affronter le renne avec les armes. Elle fuit, part en courant, dans un grand désarroi, oppressée. Et au sommet de la colline, ce plan étonnant, où elle se retourne vers le village, son visage effrayé, tordu d’angoisse qui se transforme en large sourire et en un seule mouvement, elle s’élance vers le centre du village et les villageois, dans un geste kamikaze, redevant le renne, comme réclamant son propre anénatissement. Je trouve ça particulièrement beau.
- Le retour à la maison du shaman, emmuré dans la neige, ses appels qui restent vains, et ce plan abstrait de la mort du shaman.
Y en a beaucoup en fait….
Alors voilà, à chaud après vision, je trouve que le film n'est pas réussi, mais il est aussi rempli de plein de très belles choses, terrée sous une musique bien gluante.
Ayant relu pas mal de contes récemment, j’ai été surpris par l’opacité et le mystère de pas mal d’entre eux. Beaucoup de choses restent incompréhensibles, pas immédiatement accessible dans leur sens. Les évènements s’enchainent, je les accepte, mais la raison des actes et des gestes des personnages restent souvent très mystérieux. “Le renne blanc” ne me laisse pas avec ça, malheureusement. Tout m'est expliquer, trop clairement, comme si "le renne blanc" voulait rendre saisissable un mystère qui ne peut être saisi, voulu rendre limpide quelque chose de fondamentalement opaque et mystérieux.
Pour être tout à fait honnête, l’ayant vu maintenant une fois dans ces conditions, je me referais bien une vision complète du film en mode “mute” tellement la musique anénantit ma place de spectateur, mais aussi parce que j’ai l’impression que le film vieillira bien et passera mieux en deuxième vision et SANS MUSIQUE.
Allez, un pavé flou, sans me relire, pour pouvoir voter pour la session suivante. J'aime l'idée de ciné-club...
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