J'ai maintes fois clamé mon amour pour ces films et ceux qui me connaissent savent que j'estime cette saga comme la meilleure franchise adaptée de comics avec celle de Christopher Nolan. Mais en fin de compte, je ne m'étais jamais fendu ici bas d'un texte décrivant tout ce qui rendait ces films aussi géniaux à mes yeux et en constatant un certain désamour grandissant pour les Singer (qui me semble venir de gens qui n'aiment pas le genre et/ou ont découvert ces deux films sur le tard, mais je me trompe sans doute), je me devais de rétablir la vérité...
Je veux bien admettre qu'ils ont vieilli ou qu'ils paraissent petits désormais, surtout après les mastodontes qui sont passés par là depuis, mais il faut quand même rappeler qu'en 2000, quand sort le premier
X-Men, il n'y avait pas vraiment de modèle. C'est
X-Men qui est devenu le modèle. C'est
X-Men qui lance la vague d'adaptations de bande-dessinées dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Enfin si on veut pinailler, c'est le trio composé par
Blade (1998),
X-Men (2000) et
Spider-Man (2002) qui marque le début du renouveau du genre mais le premier est un peu à part, davantage série B de genre que blockbuster de super-héros, et le dernier c'est le carton qui assurera la pérennité de la mode. C'est le film de Singer qui n'était absolument pas construit pour marcher, auquel personne ne croyait, et qui a crée la surprise.
Le modèle de Singer, c'était - comme pour Nolan sur
Batman Begins et Raimi sur
Spider-Man, comme quoi y a pas de hasard - le
Superman de Richard Donner. Une référence à laquelle il rendrait lourdement hommage via
Superman Returns, comme chacun sait. Structurellement, il n'y a pas grand chose à voir entre les approches des deux films. Tonalement par contre, la parenté est bien là. Donner expliquait qu'une fois débarqué sur la production de Superman, il a évincé tout le côté kitsch et avait pour maître-mot le terme "vraisemblance", qu'il avait placardé sur le plateau. Avant Nolan et son
reboot "réaliste" qui allait influencer toute une gamme de blockbusters, Singer choisissait d'ancrer son adaptation de
comic book dans le réel et réussissait un coup de maître, ce choix n'y étant évidemment pas pour rien dans la renaissance du genre.
Le ton est immédiatement donné par l'ouverture du film. Pologne, 1944. Camp de concentration. Boom.
Gravitas.
We're not in Kansas anymore.
"Ceci n'est pas une fantaisie", comme dirait l'intro de
Superman. Il y a quelque chose d'à la fois incroyablement couillu mais aussi terriblement pertinent dans la décision de débuter le film de cette manière, de placer cette scène et ce moment séminal du film, de l'histoire, de la saga dans cette réalité historique à l'extrême opposé de l'image que l'on peut se faire des
comics.
Le film est le premier Marvel (de la nouvelle ère quoi) et pourtant, on ne retrouve pas la formule scénaristique - créée par le
Spider-Man de Raimi - que la compagnie répètera
ad nauseam dans ses différentes adaptations. On est pas vraiment dans une
origin story. Du moins, pas l'
origin story classique à laquelle même le spectateur le plus lambda est aujourd'hui habitué. Singer limite l'inévitable séquence de "découverte des pouvoirs" à deux scènes, quasi-muettes, où le pouvoir n'est absolument pas fun. Chez Magneto, on sent la puissance, mais chez Rogue, c'est clairement un fardeau.
Le choix des deux protagonistes de l'histoire est d'ailleurs plutôt judicieux. On ne pouvait contourner Wolverine, X-Men le plus célèbre, et le plus
badass, mais en l'associant à Rogue, dont le pouvoir symbolise à lui seul l'aliénation dont souffrent les mutants, Singer prend deux solitaires comme vecteurs du public et déroule toute sa thématique d'adoption, en plus de tout ce qui touche à l'ostracisation et à la persécution (Singer est un gay juif adopté, ceci explique cela).
L'écriture est souvent d'une économie exemplaire. Il suffit de voir comment sont présentés les quatre personnages principaux (Storm, Jean Grey et Cyclops sont clairement secondaires, et chez les méchants, il n'y a que des hommes de main bondiens en gros). Outre les deux scènes quasi-muettes qui ouvrent le film et présentent Magneto et Rogue, il y a cette conférence qui expose clairement la situation, politique qui plus est, qui se termine avec l'introduction de Xavier. En quelques mots, leur amitié est posée. Et t'y crois DE SUITE. Si cette scène (et leurs deux autres face à face dans le film) n'était pas réussi,
X-Men First Class ne marcherait pas aussi bien. D'ailleurs, ces 3 scènes pourraient rendre toute préquelle obsolète.
Bon et puis il y a cette première scène de Wolverine qui est juste parfaite aussi.
Je me rappelle encore la recherche d'un acteur, les noms évoqués, Russell Crowe qui aurait été génial, Dougray Scott qui signe mais qui aurait été horrible et doit se désister lorsque le tournage de
Mission : Impossible - 2 s'étire, et donc Hugh Jackman, inconnu au bataillon, et qui m'a fait dire, lorsque j'ai vu la première photo de lui en costume :
"c'est quoi ce maigrichon?" Puis le film est arrivé, j'ai vu cette scène, cette gueule et ce charisme eastwoodien. Boom.
A star is born.
Puis cette scène, c'est aussi le début de détails géniaux, comme le "cling!" que l'on entend quand Wolverine fout un coup. Non seulement c'est efficace, drôle et pourvu de sens, mais en plus ça renvoie directement à une forme BD. C'est comme une onomatopée qui s'inscrirait à l'écran. C'est la série TV
Batman mais en sérieux, parce que l'écriture et l'esthétique le permettent.
J'aDORE la photo de Newton Thomas Sigel, super léchée, à la fois réaliste et pop, jouant constamment le chaud/froid (notamment entre le manoir de Xavier et...partout ailleurs, le monde extérieur). On ne reconnaît pas assez à Singer son talent visuel, mais il sait vraiment comment laisser parler les images, comment laisser le visuel raconter l'histoire. Qu'il s'agisse de cette ouverture quasi monochrome d'où seul jaillissent les étoiles jaunes, ou du pano liant le matricule de Wolverine au numéros tatoués sur Magneto, il y a plein de choses à se mettre sous la dent.
Comme ce plan où Wolverine se reflète dans les vitres derrière lesquelles se trouvent les uniformes des X-Men, préfigurant sa future appartenance au groupe ou bien encore tout un tas de poses
comic book des persos sur lesquelles il ne s'attarde pas comme le feraient Raimi ou Snyder. Parce qu'on reste dans une approche tout de même plus terre-à-terre.
Après, Singer ne perd pas de vue la série B et le genre, notamment dans le plan des méchants, avec cette machine de Magneto, ou le poison utilisé pour contaminer Cerebro, la liquéfaction du Sénateur Kelly, les flashbacks de Wolverine...
Il y a quelques choix esthétiques auxquels j'adhère pas (l'effet de la radiation émise par la machine de Magneto, son casque raté qui évoluera de film en film, les uniformes un peu
cheap des X-Men qui changeront aussi) mais dans l'ensemble je trouve que c'est une oeuvre super classe, avec des idées plus que séduisantes (tout le visuel de Cerebro par exemple).
Pour ce qui est de l'action par contre, on va pas se mentir, c'est pas encore ça.
Sans doute pas encore à l'aise dans l'action, et ne jouissant pas de la collaboration avec son fidèle monteur/compositeur John Ottman, Singer galère un peu à rendre ses d'actions plus rythmées. N'oublions pas non plus qu'on lui mettait des bâtons dans les roues.
Plusieurs fois ai-je évoqué le nom de Tom Rothman, patron de la division ciné de la Fox, en parlant de ce film, de cette franchise ou d'autres productions du studio, tant le bonhomme s'est forgé une réputation de gros connard empêchant les réalisateurs, notamment les auteurs, de travailler tranquillement, et multipliant les choix foireux dans sa gestion des licences à gros
fanbases.
Daredevil,
Elektra,
Fantastic Four 1 & 2,
Alien Vs. Predator 1 & 2,
Die Hard 4 & 5, tous ont été produits sous l'égide de Tom Rothman. En voulant donner dans le
fan service, Rothman a surtout fait n'importe quoi. Suite aux emmerdes sur le tournage de
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Stephen Norrington a arrêté le cinéma à cause de lui. Après avoir connu des galères sur
I, Robot, Alex Proyas a juré qu'il ne retravaillerai plus jamais pour la Fox.
Quant à Bryan Singer...dès le départ, Rothman avait une dent contre cette adaptation. Et même après le succès du premier, il a continué à faire chier. Et même après le succès du second, il a continué à faire chier. Tant et si bien que Singer, agacé, n'a pas hésité à aller voir l'ennemi lorsque l'opportunité de réaliser un nouveau
Superman s'est présenté. Il voulait revenir faire
X-Men 3 mais Rothman, se sentant trahi, ne l'a pas attendu. Il ont fini par se réconcilier vraisemblablement, étant donné que la Fox a rappelé Singer pour relancer la franchise après
X-Men Origins : Wolverine, et c'est là que le metteur en scène a lancé
X-Men First Class (dont il a écrit le traitement initial et qu'il devait réaliser).
Mais revenons à nos moutons.
Ne croyant pas au projet, Rothman a réduit le budget. Manquant d'un
tentpole pour l'été 2000, Rothman a avancé la sortie prévue de six mois. Du coup, avec peu d'argent, et peu de temps, Singer n'a pas bénéficié d'une période de pré-prod suffisamment longue pour préparer son film, et cela s'en ressent au niveau de l'ampleur. Il y a quasiment pas d'action avant le climax...mais j'aime le décor choisi.
A ce niveau-là d'ailleurs, c'est un vrai film de décors. Je veux dire, la prison de plastique quoi.
Cette fin d'ailleurs, putain, cette fin réussit tellement de choses (ne PAS tuer sa principale némésis, bon sang! Y a quasiment pas UNE adaptation qui a retenu la leçon), cette fin qui résonne comme une annonce. Ca donne tellement envie d'en voir plus, plus de ce film, de cette saga, plus de ce genre. On n'était pas encore vraiment dans l'ère du
franchise building mais ils avaient savamment semé les graines pour la suite...
Aaaah la suite...
Je me rappellerai A VIE de cette séance. De cette projection de presse avec Cosmo à mes côtés qui pousse un cri de joie et de surprise quand Colossus apparaît à l'écran. Rares étaient à l'époque les films que j'avais attendu à ce point, et encore plus rares sont les films que j'ai attendu à ce point et qui ne m'ont pas déçu DU TOUT.
X2 est ce que j'appelle une "vraie suite". On est dans la suite directe du premier, dans les conséquences des événements qui s'y déroulent, dans l'évolution des arcs qui y sont présentés, etc. Par conséquent, les deux films se font complémentaires. Je sais que mon opinion n'est pas la plus populaire mais j'ai toujours préféré ce film à
Spider-Man 2 précisément pour cette raison. J'adore le Raimi, je le trouve quasiment parfait, mais sur bien des points, et c'est totalement volontaire, Raimi procède souvent comme ça, c'est presque un
remake du premier.
Là aussi, dès la première scène, à laquelle on réduit souvent injustement le film, Singer annonce la couleur : cette fois, j'ai eu le temps, j'ai eu l'argent, j'ai l'expérience.
Avant même l'extraordinaire scène de la Maison Blanche, le monologue de Xavier se fait plus solennel et l'imagerie derrière à la fois SF et plus épique.
Et une minute après, on est dans le
"Dies Irae".
Cette scène d'action c'est la preuve d'un réal qui MAÎTRISE.
Singer retrouve Ottman et cette fois, le montage ne galère plus du tout. C'est super speed, le découpage courant après Nightcrawler qui se téléporte et on est presque aussi largués que les vigiles qu'il défonce. Presque, parce que le montage et la réa sont limpides. Un exemple de lisibilité malgré le déplacement surhumain du mutant. Et ça culmine avec ce ralenti qui se sera fait désirer tout au long de la séquence et qui finit d'assoir la surpuissance du personnage. Et du réalisateur.
Et cette maîtrise va se confirmer tout le long du film. Chaque scène d’utilisation de pouvoirs va se faire avec majesté.
Je pense évidemment à trois séquences en particulier :
- Wolverine que l'on voit enfin en mode
ULTIMATE BADASS dans la scène de l'attaque du manoir, juste jouissive de violence (le nombre de mecs qui se font planter, même le mec qui se prend juste une griffe dans le pied, ça fait mal)
- l'évasion de Magneto, qui est aussi une idée géniale d'écriture (le fer injecté dans le corps du garde, récupéré en 3 pauvres petites boules qui suffisent à Magneto pour tout déglinguer - ce gros plan sur son sourire quand le garde entre dans sa cellule est presque le meilleur de la scène), servie par un visuel assuré et assumé (le gros plan de la boule et le reflet, BD à mort, suivi par ce plan tout con sur Magneto tandis que les boules défoncent out à toute vitesse)
- cette fin inattendue avec Jean Grey fendant les eaux comme Moïse avant sa transformation en Phoenix (larmes aux yeux les premières fois, frissons encore aujourd'hui) puis son sacrifice
Je pense que niveau ampleur, la question ne se pose plus. On est à des kilomètres du premier film. Singer a mis les petits plats dans les grands.
Enfin tout ce spectacle n'aurait pas autant de poids si le film ne chiadait pas le récit.
Bon, si tu as grandi en lisant
X-Men et que ton personnage préféré était Cyclops, tu dois en avoir gros. La saga n'a jamais trop su quoi faire de lui et c'est finalement dans le premier qu'il avait le plus une place, en
leader du groupe, comme dans la BD. Mais en faisant de Wolverine le vrai
lead de la franchise, le
leader des X-Men a fini sur le banc de touche. Après, j'ai du mal à en vouloir au film tant il sert brillamment tous les autres. Jonglant une nombre incroyable de protagonistes,
X2 développe les thématiques et les arcs du premier film et en rajoute des nouvelles. Cette suite est tellement plus riche.
On aborde de plein fouet la question de l'adoption, Logan devant choisir d'oublier son passé pour intégrer une nouvelle famille (et peut-être niquer Jean Grey). Dans ce contexte, il est intéressant de voir comment le récit le lie à plusieurs reprises avec Pyro, autre chien fou, mais parmi les jeunes celui-là, également en quête d'une famille (cf. encore un plan simple qui dit tout, lorsqu'il se reflète dans la photo de famille des Drake), sauf que lui optera pour celle de Magneto.
Fasciné par les figures du Mal dès son premier long, Singer fait de Magneto le Mal séducteur ultime, avec encore McKellen dans le rôle d'un mec lié aux nazis qui attire dans ses filets un jeune adolescent.
Avant
Superman Returns, Singer explorait déjà les parallèles entre la mythologie des super-héros et celle des religions, entre son Nightcrawler croyant qui punit ses péchés en se scarifiant, sa Storm poussée à l'agnosticisme par l'intolérance de l'Homme et sa Jean Grey-Moïse martyr donc...
X2 c'est non seulement un film où Singer se démerde mieux, c'est aussi un film qu'il s'est complètement approprié.
Il pousse même encore plus loin l'analogie gays/mutants avec cette mémorable scène où Bobby Drake fait son
coming out à ses parents.
Le film s'ancre encore davantage dans une réalité politique, pénétrant la Maison Blanche, avec son ersatz de Bush, faisant du méchant un militaire, citant Lincoln, s'attardant sur un tableau puis un buste de Kennedy, perpétuant l'allégorie "droits civiques" de la série au-delà de la célèbre comparaison Magneto/Macolm X Vs. Xavier/Martin Luther King.
Mais encore une fois, Singer n'oublie pas de s'amuser, de faire du genre, d'en donner aux fans.
C'est d'ailleurs un des premiers films avec
easter eggs à guetter (cf. toutes les références à la BD sur l'écran de l'ordi piraté par Mystique) et surtout, avant la mode des scènes post-générique de fin avec leurs cadeaux/annonces, Singer faisait bander toute une génération de geeks avec un simple reflet doré sur l'eau, l'aura du Phoenix qui allait ressusciter. Pour ceux qui l'ont vécu comme moi à l'époque, ça tenait du rêve.
Je reste stupéfait par le nombre de choses que ce film parvient à charrier. Ca peut être du détail, dans la direction d'acteurs par exemple, comme la manière qu'a chaque acteur de jouer de façon un peu plus féminine (Sénateur Kelly) ou justement over macho (Wolverine) quand ils incarnent Mystique-qui-a-pris-leur-apparence, ou bien quelque chose de plus général, dans l'écriture par exemple, les scénaristes respectant l'adage
"always write to theme" en multipliant les arcs pour un même thème (Logan/Pyro/adoption, Logan-Jean Grey/Bobby-Rogue/amour difficile, Nightcrawler/Mystique/apparence monstrueuse, Jean Grey/James Marsden/sacrifice de soi, nan je déconne).
C'est simple, je pense que je soulerai quiconque materai le film avec moi parce que je passerai la séance à dire
"ça, ça tue...et ça, ça tue...ça aussi."Bref, j'adore.