Bon, je préviens, pour parler du film, il me faut faire un petit état des lieux de la carrière de Michael Bay, où je vais en parler sérieusement et probablement me palucher un peu donc les allergiques et les abrutis sont priés de quitter ce topic. Mais je doute qu'ils le fassent. Il y a quelques mois, comme je me suis refait tous les films du cinéaste, je me suis aussi refait les différents topics du forum consacrés aux films de Michael Bay et donc je ne m'attends pas à ce que celui-ci soit différent, autrement dit il divisera les intervenants en deux groupes : ceux qui aiment le film et ceux qui crachent sur ceux qui aiment le film.
Le truc, c'est que même au sein des fans du cinéaste, ses films divisent. Personne ne parvient vraiment à s'accorder sur quelle période compose l'apogée du cinéaste. Même les constats les plus objectifs ne le sont visiblement pas, certains trouvant ses premiers films moins posés que les derniers, jugés tout aussi illisibles par d'autres. Son montage était-il plus hystérique? Les cadres et les mouvements de caméra sont-ils plus clairs et calmes aujourd'hui? Le numérique l'a-t-il trop débridé ou bien les expérimentations les plus folles sont-elles le bienvenu?
Ce souci vis-à-vis de la forme se traduit forcément dans le fond. Si les défenseurs du réalisateur vous diront que Bay a toujours été parfaitement conscient du caractère outrancier de son cinéma, parfaitement assumé, le contexte dans lequel sa mise en scène évolue semble avoir shifté au fil de sa carrière. Il est difficile de parler de la distinction entre premier et second degré pour nombre de ses films tant ceux-ci naviguent régulièrement entre les deux, au sein d'un même film parfois. A ce titre, le début de sa carrière témoigne du meilleur équilibre, avec The Rock et Armageddon. Dans ces films, quand Bay se lâche et verse dans l'iconographie, il y a un poids, parce qu'il y croit. Le climax avec les fusées vertes dans The Rock, le montage sur le discours du Président dans Armageddon.
Il y a quelque chose qui s'est cassé avec Pearl Harbor et qui l'a transformé en un mec beaucoup plus cynique. Je ne suis pas étonné que beaucoup de gens citent Bad Boys II comme leur Bay préféré. J'avais lu à l'époque que Bay avait réalisé ce film comme un gros doigt d'honneur et il est clair que son style y tourne à vide. Peut-être pas à vide mais disons qu'il en joue plus ouvertement, poussant l'ostentatoire jusqu'à l'extrême. Ce recul permet à des spectateurs plus réfractaires d'adhérer plus tranquillement. Perso, je préfère le Bay qui y croit. Surtout qu'il sait jouer de son style tout en y croyant et le meilleur exemple de cela pour moi, c'est The Island. L'imagerie publicitaire et le prisme magnifiant prennent du sens via le point de vue des protagonistes.
Le problème, c'est que le film s'est sévèrement planté au box-office. Intervient alors Transformers, coincé quelque part entre le je-m'en-foutisme de Bad Boys II et l'aspiration un peu plus sensée de The Island. Le film jongle sans cesse avec le second degré mais demeure encore suffisamment incarné par moments pour que l'on y croie aussi (cf. la scène de l'arrivée des Autobots). Malheureusement, avec les deux suites, Bay a abandonné tout ce qui pouvait faire le charme "Amblin" du premier film et ne cherche même plus à raconter une histoire. L'intrigue a toujours été traitée comme un prétexte mais il n'y a même plus le strict minimum pour assurer un semblant de rythme, d'implication. Bay n'a plus d'yeux que pour ses scènes d'action (laissant ses comédiens en roue libre le reste du temps), et si elles se sont fait de plus en plus puissantes au fil des films, quelque chose s'est perdu en route.
Pain & Gain est son premier film en 8 ans qui ne soit pas un Transformers. C'est son premier film sans Bruckheimer ni Spielberg. C'est aussi son premier film depuis...toujours qui ne soit pas (vraiment) un film d'action. C'est un projet qu'il se traîne depuis plus de 10 ans et donc visiblement une histoire qu'il avait envie de raconter. Let's say that again : une HISTOIRE qu'il avait envie de RACONTER.
De la part d'un cinéaste qui s'est petit à petit éloigné de sa fonction de conteur pour ne s'intéresser plus qu'à des "moments", des scènes (d'action), et non à un tout, ça tient du retour aux sources, de la renaissance, du renouvellement. Même si le résultat s'avérait pourri, ce serait intéressant. Et quand on s'intéresse un peu au cinéma du bonhomme et qu'on essaie de voir s'il a des choses à dire au-delà de ce qu'il dit par sa mise en scène et donc de cette vision du monde qui fait déjà de lui un auteur, ce film c'est du pain béni.
L'une des rares fois où j'ai vu Bay parler de ses films autrement que du point de vue du spectacle, c'est dans une interview où il évoquait l'une des récurrences thématiques de sa filmographie : la notion de sacrifice. Et effectivement, c'est quelque chose qui revient dans fréquemment dans son œuvre : Stanley Goodspeed et sa pose christique, Harry Stamper et son suicide qui sauve le monde, les soldats volontaires dans Pearl Harbor dont Danny et sa mort christique (et d'ailleurs, au-delà du fétichisme militaire infantile qui anime Bay - il aime les gros navions et les explosions - il me semble que c'est davantage cette notion de sacrifice qui le fascine dans la figure du soldat que le patriotisme qu'on lui prête de manière péjorative) et Sam Witwicky dans les deux premiers Transformers. Dans le second, il a carrément un parcours christique (résurrection incluse), et dans le premier, on n'a de cesse de le renvoyer à la devise familiale, "No sacrifice, no victory".
Ce à quoi renvoie le titre français de Pain & Gain, c'est l'expression anglophone célèbre à laquelle le titre original fait référence, "No pain, no gain". Voyez où je veux en venir?? Au risque de passer pour un fou, un palucheur, ou un vendu, quand je vois tout ça, je ne suis pas étonné que Bay ait gardé avec lui l'envie de raconter cette histoire et n'en a pas démordu, allant jusqu'à accepter de réaliser Transformers 4 pour que les prods lui financent son bébé. Parce que Pain & Gain, c'est le retour du Bay qui donne un sens à ses images. Une fois de plus, c'est en adoptant le point de vue de protagonistes naïfs qu'il justifie cette imagerie publicitaire qui le caractérise tant. Ici, le prise magnifiant de Bay devient la façon dont ses personnages se voient et veulent voir le monde, en quête d'un rêve américain qu'on leur a promis et qui leur échappe. Tout est dans la tagline : "Their American Dream is bigger than yours." La mise en scène de Bay, qui a toujours été déconnectée de la réalité, revêt alors un aspect illusoire. Une façade de mesure dans ce monde de body-builders obsédés par les apparences.
Au travers de cette approche réfléchie, Bay propose plus encore que dans The Island une réflexion sur son cinéma, aussi macho que les héros de Pain & Gain. C'est un film où on s'injecte des produits dans le zgeg pour bander avant de menacer un gars avec un gigantesque gode. Bay n'est pas quelqu'un de subtil. Donc même quand il fait un film avec un propos, ça reste bourrin.
Et ce film c'est Bad Boys II avec du fond. Ce qui passait pour un simple exutoire joyeusement amoral trouve une résonance dans ce Pain & Gain où Bay expose son point de vue misanthrope où tout le monde en prend pour son garde, riches, pauvres, hommes, femmes, religieux… Il y a une certaine empathie pour ses nigauds de héros mais la morale tombe de manière implacable à la fin (et est là tout le long de toute façon, même si on est dans la comédie noire et qu'on rit de la bouffonnerie des truands et des incroyables situations) et le personnage avec lequel Bay s'identifie le plus est sans doute celui du détective joué par Ed Harris.
Il est assez fascinant de voir, comme Fincher avait pu le faire en son temps en passant de la pub à une critique de la société de consommation (Fight Club), Bay qui critique le machisme après une carrière de films de muscles, de flingues et de bagnoles (ou de bagnoles musclées qui sont aussi des flingues, aka Transformers). Pain & Gain cristallise bien la duallité qui traverse le cinéma de Bay, à la fois à donf dans son imagerie mais aussi toujours consciente de cette imagerie (ses pubs sont assez parlantes là-dessus d'ailleurs). Il a une certaine foi dans le concept du "rêve américain" et en même temps, il en montre la triste réalité avec cette histoire vraie de gros teubés qui veulent emprunter un raccourci criminel pour atteindre le rêve.
C'est un film riche où Bay met donc sa mise en scène au service du propos, et de l'histoire. Quand par exemple il recycle un travelling circulaire d'un gunfight de Bad Boys II, c'est dans une scène où ce travelling à désormais plus de sens, alternant entre deux pièces, une où va se livrer un drame et une plongée dans la plus pure débilité, alliant le temps d'une séquence les deux registres du film. Le moindre ralenti à un sens et souvent, c'est pour tourner ce genre de plans en dérision, comme un power walk de héros qui s'éloignent des flammes mais avec le petit détail qui change tout (je dis rien).
D'ailleurs, même si c'est trop long, l'humour s'intègre beaucoup mieux ici. A une ou deux brèves exceptions près, il n'y a aucune scène parasite à la Transformers 3 ou Bad Boys II. C'est toujours aussi généreux mais ici c'est plus cohérent...et quand la comédie est servie par un trio d'acteurs géniaux, notamment Wahlberg, à donf, et Johnson, une fois de plus incroyable, je ne saurais bouder mon plaisir.
Enfin bref, ça fait plaisir de voir Bay changer de registre et redonner un peu d'âme à son cinéma.
5/6
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