Nombreux sont les spectateurs, cinéphiles ou non, bayphiles ou non, qui citent Bad Boys II comme leur film préféré du cinéaste. Sans doute parce qu'il incarne à leurs yeux la quintessence du cinéma de Bay. En réalité, il ne représente qu'une certaine idée de son cinéma. Sans doute celle que veulent se faire ceux qui ne voient pas au-delà des outrances les plus ostentatoires de son esthétique et du fond qu'elle peut véhiculer. Il est "facile" d'apprécier pour son action démesurée un film qui fait le con sans idée derrière mais réduire Michael Bay à cela, c'est un peu comme apprécier un pote que lorsqu'il est bourré parce que c'est trop drôle de le voir faire le con. Comme il avait pu le faire avec The Island ou No Pain No Gain, Bay est beaucoup plus intéressant quand il met cette même forme au service d'une histoire. Si Six Underground n'a pas un propos comme No Pain No Gain, il s'avère cependant une façon pour le cinéaste d'utiliser le style de Bad Boys II pour raconter quelque chose et notamment quelque chose sur le cinéma. En croisant le film de super-héros et le film de mission en équipe dans une gaudriole consciente de soi, Bay explore comment seul le cinéma - ou "l'art" pour citer le film - peut s'immiscer dans le réel pour que "les héros l'emportent toujours".
En 2003, Bad Boys II fut sans doute un film nécessaire pour Bay après sa tentative ratée de faire un blockbuster croisant Titanic et Il faut sauver le soldat Ryan afin de se racheter une réputation (oscarisée?) aux yeux de ceux qui le baptisaient "l'Antéchrist" dans leurs critiques d'Armageddon. En un sens, Six Underground, son premier blockbuster en près de 15 ans qui n'est pas un Transformers, paraît partager avec son prédécesseur ce sentiment d'exutoire filmique. Après tout, il s'agit aussi de son premier blockbuster interdit au moins de 17 ans aux États-Unis depuis...Bad Boys II. Ce n'est donc pas un hasard si la phénoménale course-poursuite de VINGT MINUTES qui ouvre le film renoue avec l'amour des véhicules multipliant les tonneaux et des piétons et conducteurs transformés en billes que Bay s'amuse à faire ricocher partout.
À vrai dire, cette séquence d'introduction, en plus de s'imposer comme un incroyable morceau de bravoure - que le film ne parvient évidemment jamais à surpasser par la suite - cristallise à elle l'approche de Bay sur le film. Dès les premières images de la scène, une succession de gros plans très courts, avec ces flashes surréalistes qui figurent de manière expressionniste la vitesse des poursuites en voiture chez Bay depuis The Rock, le cinéaste se montre, comme souvent, conscient de sa mise en scène, qu'il pousse ainsi dans une certaine radicalité jouissive car il ne perd ici rien de la maîtrise de son découpage sensoriel, contrairement au dernier Transformers. Quand il glisse un ralenti comique au moment où la voiture doit éviter une femme avec son bébé ou des chiots (!), Bay donne carrément dans la parodie du genre. Par la suite, il va jusqu'à se parodier lui-même en faisant commenter l'action par son héros culpabilisant de détruire des œuvres culturelles comme Bay a pu le faire par le passé (Petra ou Gizeh dans le deuxième Transformers), sacrifiant le respect de monuments sacrés à l'autel du destruction porn.
En prenant comme principal protagoniste un milliardaire qui s'improvise justicier, le scénario tord le coup à l'archétype du super-héros comme Bruce Wayne ou Tony Stark, faisant du personnage interprété par Ryan Reynolds un bienfaiteur et chef d'équipe dépassé par la tournure des événements. Dans cette optique de déconstruction des codes, le Bay de Bad Boys II est un choix pertinent parce qu'il fait de chaque mission un chaos sale et sanglant à des kilomètres des plans bien huilés de Mission : Impossible. L'efficacité de la séquence réside également dans la caractérisation de chaque membre de l'équipe, ayant chacun sa spécialité, sa fonction, au sein même de l'action.
Il est donc d'autant plus incompréhensible de voir le film s'enliser juste après dans des saynètes longuettes et superflues, exclusivement constituées de clichés, montrant comment et pourquoi chacun fut recruté. Au bout d'1h05, le film en est encore à réitérer son postulat, pourtant clairement établi dans les premières minutes, plutôt que de développer son récit au présent. La deuxième heure est mieux équilibrée mais se contente d'enquiller les étapes de la mission de façon on ne peut plus linéaire, laissant par moments l'impression qu'on est devant un pilote de série TV tant la dramaturgie entre les scènes d'action se limite au strict minimum. À ce titre, le film marque une nouvelle étape dans l'évolution d'une des thématiques récurrentes de l'auteur : la noblesse du soldat qui se sacrifie et qui n'est pas reconnu par le gouvernement. Dans 13 Hours, Bay allait jusqu'à questionner pour la première fois le bien-fondé de cette notion, faisant se demander à ses personnages si cela en valait la peine. Dans Six Underground, le soldat trouve sa propre cause, hors de l'égide gouvernementale, inefficace ou corrompue. Compte tenu du point de vue du cinéaste sur la question, il apparaît aujourd'hui évident qu'il allait finir par se frotter à la figure du vigilante.
Toutefois, là où Six Underground se fait une fois de plus intéressant, c'est dans la confrontation susmentionnée entre le réel et la fiction. Non content de montrer les galères de ces "apprentis justiciers" face à des situations devant lesquelles Ethan Hunt ne cillerait pas, le film va jusqu'à souligner leur côté wannabes en les renvoyant sans cesse au cinéma. Ainsi, un personnage n'arrête pas de citer des répliques de film en guise de punchline avant chaque exécution tandis qu'un autre, dans un gag génial, utilise un son de cinéma pour venir à bouts de leurs adversaires. En somme, Six Underground montre des gens qui ont trop regardé de films se prendre pour des agents secrets. La première fois que le héros confronte le méchant, ils discourent sur "l'art imitant la vie" et comment il n'y a qu'en art que "les héros l'emportent toujours". Selon le bad guy, la réalité est bien plus complexe et Bay le sait. Il n'est pas en train de faire 13 Hours, ici la révolte d'un peuple du Moyen Orient contre son dictateur se fait sur fond de tube. Et une fois de plus, le personnage de Reynolds commente dessus. Il est dans un film.
À l'instar d'un Bad Boys II, Six Underground n'est pas un des Bay qui flatte l'Amérique moyenne. Le film voit plutôt Bay s'adresser au public adolescent, en prenant les scénaristes et la star de Deadpool et en faisant de la BO un juke box où Armin Van Buuren et Imagine Dragons remplacent les compositeurs de l'écurie Zimmer qui l'ont toujours accompagné. Lorne Balfe est bien crédité à la musique mais, comme Trevor Rabin sur Bad Boys II, sa partition est souvent éclipsée par un remix techno de "Carmina Burana". En vrai, c'est peut-être la première fois qu'on pourrait taxer l'ancien pubard/clippeur de jeunisme, comme si, à 54 ans, il avait peur de ne plus être en phase avec les spectateurs. Toutefois, si l'esprit "balek" de ce Six Underground, ponctué d'idées folles, drôles, vulgaires ou gores, jusqu'à un climax nawakesque réjouissant, confirme bien une chose, c'est que Michael Bay ne sera jamais "trop vieux pour ces conneries".
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