Bon, autant foncer direct dans le topic le plus sensible. C'est la fête !
Je suis assez déçu.
Je veux pas créer de malentendu : j'ai une estime sans fin pour Cameron, notamment pour avoir coup sur coup (avec Abyss puis Titanic) proposé des films faisant le lien entre les esthétiques de deux décennies (faisant le bilan de la précédente et traçant les principales pistes de la suivante, grosso-modo), mais aussi pour ses capacités narratives surpuissantes, et enfin pour sa manie de faire des films-monstres, du cinéma qui a pour ambition d'englober et de résumer toute l'histoire du monde.
Autant dire que j'avais confiance.
Je retrouve sans problème ce côté "passeur" (inter-esthétiques, inter-décennies) dans Avatar, plus explicitement que jamais, entre corps d'humain et corps Navi, prises de vues réelles et images tout-numérique, cinéma 2D et cinéma 3D : tout le film parle de cette mutation, d'un cinéma usé qui va renaître de ses cendres par ce renouvellement, et il le fait bien. A ce titre, j'ai d'emblée l'impression que les scènes les plus belles et réussies sont celles jouant sur le frôlement et le rapport entre les deux (la première sortie de l'hôpital, les débranchements qui évanouissent les corps Navi...), jusqu'à ce plan absolument magnifique de la Navi virtuelle géante qui tient bienveillante dans ses bras le corps humain réel épuisé : voilà un plan Cameron, un plan qui raconte tellement de choses et de manière si intelligente. Ça m'a vraiment ému.
Le deuxième point fort du film, et ça c'est une surprise, c'est la capacité à utiliser la 3D pour faire ressortir les textures, la lumière, la sensualité du monde, et ainsi à recréer vraiment de manière très puissante un cinéma du merveilleux. Toute une première partie du film, celle en gros où on part à la découverte de la forêt, et qu'on pourrait taxer de long vide scénaristique, tient debout par sa capacité à créer de l'émerveillement qui tient sans doute moins au travail de direction artistique (complexe certes, mais finalement un peu convenu et proche de ce qu'on a pu voir dans plusieurs jeux vidéo récents) qu'à une intelligence à le filmer dans une logique purement féérique.
Ces deux choses suffisent à faire du film un truc passionnant. Le problème, c'est que c'est respectivement l'affaire de 4-5 scènes et de 30 minutes en début de film.
Le reste est assez vide. Il y a côté épuisant à voir un tel déchaînement, un tel travail, au service de presque rien.
La simplicité, le côté archétypal du pitch n'est pas en cause. Que ce soit classique, ce n'est pas grave : le postulat de Titanic l'était aussi. J'avais même très confiance en Cameron pour faire ressortir de situations clichés une espèce d'essence, de puissance, qui aurait pu s'épanouir dans tout son côté simple, direct, littéral.
Le problème est juste qu'au delà du fait que ce soit très mollement scénarisé (la capacité à typer très efficacement certains personnages - notamment Weaver - sauve le tout, et on parvient à s'attacher, mais c'est vraiment à la limite de la non-adhésion), c'est aussi et surtout très anonymement mis en scène.
Je vais me faire taper dessus, mais vraiment, ca m'a frustré tout du long : la mise en scène ne prend rien en charge, elle ne raconte rien, c'est usant et fatiguant. Je prend n'importe quel plan de Titanic, par exemple Rose qui comprend que son mari l'a flouée - le visage semble se figer dans l'horreur (parce que par contraste, derrière elle, les gens s'agitent et la musique du quatuor virevolte joyeuse) alors que la lumière d'une fusée l'illumine (parce que soudain ça devient si évident pour elle) : "vous êtes un incroyable salopard". PUTAIN ! Voilà un plan qui raconte, par le cinéma, quelque chose de simple, mais qui le raconte si bien, si richement, si fort ! C'est un plan qui narre. Ils sont où ces plans dans Avatar ? On reste toujours dans une espèce de surface, chose que n'arrange en rien la musique complètement à la masse de Horner, qui achève l'approche décorative... Comment je peux m'émouvoir pour un truc aussi détaché, aussi anonyme ?
Evidemment, on choppe des plans, des bouts de scènes, et il reste un côté si ambitieux, le film voyant parfois si grand, qu'il nous transmet cette sensation de gigantisme (la chute de l'arbre, le plan final...), mais j'ai sans cesse l'impression que c'est au dixième du potentiel que pourrait avoir ces séquences, et le film dans son ensemble.
Tout le combat final par exemple, mais bordel on s'emmerde ! La mise en scène construit mal son truc, elle ne structure rien dans tout cet affrontement, elle ne donne pas plus de puissance ou de portée à ce qu'on voit, c'est n'est que l'affaire de courts plans éparpillés (la chute du Navi dans le vide, le cheval en feu...) que le montage ne met même pas en valeur, qu'il faut aller chercher soi-même à l'épuisette... Alors oui c'est très mouvant, ca tourne beaucoup, mais même dans une pure logique d'ivresse et de vertige ca ne fonctionne que très moyennement, ca ne tape jamais le poing sur la table en choisissant clairement un cadre, un angle, en décidant ne serait-ce qu'une seconde de la façon de regarder ce qui se passe.
Je lis pas mal "on a jamais vu ça ailleurs", pour les scènes de vol par exemple. Au-delà du contre-exemple réçent d'un Dragons, je suis désolé : moi je vous sors l'extrait d'ouverture de "Bernard et Bianca aux pays des Kangourous" réalisé par un anonyme, film super mauvais en plus (
http://www.youtube.com/watch?v=AQS3tWEi9os de 4:40 à 7:10 on va dire). Et bien on peut trouver ça super con, niais, naïf, kitsch, ce que vous voulez, il y a un découpage et un enchaînement de plans qui me transmet mille fois plus efficacement et lyriquement l'idée de gigantisme, de vide et de vertige que n'importe quelle scène en vol d'Avatar.
Alors est-ce que je rate un truc ?
Est-ce que c'est un cinéma qui commence à fonctionner autrement, que je cherche une façon de faire, une mise en scène, que le film a abandonné pour autre chose ? Une confiance en l'immersion et en la capacité mimétique de l'image, par la 3D, qui rendraient caduque la nécessité d'un élagage, d'un point de vue, d'un découpage qui parle ? Je sais pas, mais le seul aspect novateur que je sens c'est cette partie féérique nocturne du début (le passage sensoriel, donc), où je ne ressens aucun vide, aucun manque. J'ai l'impression que l'invention est là. Pour le reste, pour la 3D, même si j'applaudis à deux mains là rigueur (la capacité à la rendre évidente et invisible, quoi), je me dis que j'aurais finalement d'avantage aimé voir Cameron "jouer" avec, même sobrement et sérieusement, comme les cinéastes aux débuts de la couleur en fait, plutôt que direct refroidir son utilisation. Car en soi, je vois son apport (je vois même très bien en quoi le film sans elle peut perdre de l'intérêt), mais je trouve qu'hormis cette histoire de rendu de textures (humidités, spores, luisances), c'est pas à la hauteur de la grande mutation que raconte le film.
Donc de très bonnes choses, une très grosse déception aussi, et attente impatiente du prochain Cameron en espérant qu'il y ré-importe la puissance narrative qui fait la valeur de sa mise en scène, et de son cinéma.
4/6