Pour t'aider à situer les "trilogies" (humblement, hein..), j'avais recontextualisé la filmo de Marty lors de ma critique d'AVIATOR. Enfin, telle que je la perçois. Si ça te branche :
Citation:
Le cinéaste Jean-Pierre Melville – passionné d’Hollywood à la cinéphilie encyclopédique - confiait, juste avant de s’éteindre, qu’un réalisateur professionnel, en vieillissant, devenait de plus en plus classique sur la forme, ou bien ce n’était pas un professionnel. Ce précepte, auquel on peut assez aisément confronter un contre-exemple de qualité (Steven Spielberg), sied parfaitement à Martin Scorsese, qui n’a finalement jamais eu pour autre rêve avoué, que de devenir un jour ce réalisateur de studio, autrefois iconifié par John Ford ou Howard Hawks. Être le dernier maillon d’une production herculéenne, servant le spectacle à un maximum de curieux, et tout à la fois se respecter soi-même et respecter son histoire, et ses personnages, en livrant à l’intérieur de ce produit en apparence formaté, une œuvre unique et personnelle. Scorsese avait débuté sa carrière par un cinéma-vérité, dont le réalisme et l’inventivité narrative (respectivement Mean Streets et Taxi Driver) ont longtemps fait de lui l’un des fers de lance du cinéma indépendant. Toujours attiré par ce mythe du studio, le jeune cinéaste s’était par la suite risqué au difficile mélange entre auteurisme et sujets faisant habituellement l’apanage d’Hollywood (New York, New York et La Dernière Tentation du Christ piétinaient deux des plus prestigieuses chasses gardées qu’étaient en leur temps la comédie musicale et le péplum). Ces deux échecs colossaux – qui, associés au film de Cimino, La Porte du Paradis, marquèrent la fin d’une époque, et rendirent ces deux genres définitivement obsolètes - obligèrent Scorsese à fléchir le genou, et admettre que ce mythe tant convoité ne serait plus que chimère.
Scorsese fit donc intelligemment la part des choses au début des années 90. Ressuscité par le sublime After Hours, il revendiqua hardiment son statut d’artiste indépendant et expérimenta la forme et le fond avec une audace et une réussite inégalées, en entrelaçant les qualités de ses premiers films (réalisme docu-fictionnel, écriture référentielle et innovante, mise en scène fiévreuse) pour livrer deux maîtres étalons que sont Les Affranchis et Casino. Il troqua définitivement au passage le format 1:85 pour le Scope, aujourd’hui indissociable de son cinéma. De l’autre côté, il continua à se familiariser aux commandes hollywoodiennes en réalisant La Couleur de l’argent et Les Nerfs à vif (aidé en cela par ses pairs, puisqu’il s’agit d’une suite et d’un remake de deux classiques des années 60). Scorsese a compris qu’il était vain d’espérer renouer avec l’époque dorée d’Hollywood, abordant films de genres issus des grands studios, en y injectant autre chose que sa précise direction d’acteurs et son énergique mise en images. Gangs of New York et Aviator abordent une nouvelle évolution de cette rupture dans la carrière de Scorsese, et peuvent être considérés comme une ouverture vers l’accomplissement de ce mythe tant espéré par le cinéaste. Fresques historiques légèrement étirées, aux scripts classiques, voire conventionnels, au casting trois étoiles - mêlant valeurs sûres et stars en devenir - véritables objets de dépaysement pour le public, comme une promesse de spectacle à la fois intelligent et divertissant. Soit un film américain de l’âge d’or des années 40 dans sa plus stricte définition, période justement abordée dans Aviator au travers du prisme Howard Hughes.
Force est de reconnaître que Scorsese ne se renouvelle plus. Il se recycle. Il n’expérimente plus sur le cinéma en général, mais sur le sien en particulier. Il use désormais de sa propre grammaire cinématographique, mise en place au travers de son œuvre, pour construire de nouvelles phrases, pour conter de nouvelles histoires, celles des autres. Son style est arrivé il y a peu à maturité, et depuis la sortie de Gangs of New York, le sentiment qu’il ait tout dit sur ses intérêts et ses angoisses prédominait déjà. Si ce constat peut sembler décevant à la lecture, il est à noter que le bonhomme est trop talentueux pour se contenter de bégayer son cinéma. Car Aviator n’est pas à considérer comme un film-somme de ce savoir-faire, en dépit des nombreux emprunts narcissiques faits ici et là (néanmoins plus nombreux que de coutume), mais davantage comme un appendice à son univers, une nouvelle déclinaison d’un même verbe. Le personnage d’Howard Hughes - son précis mathématique et sa facette obsessionnelle – prolonge celui de Sam Rothstein (Casino), le montage renvoie bien souvent à celui des Affranchis, les nombreux flashs qui explosent dans un tonnerre de crépitements font écho à Raging Bull, les mouvements endiablés autour de l’avion de Hughes ondulent sur la même dynamique que ceux enveloppant l’ambulance d’À tombeau ouvert, la composition des cadres et la photographie réfléchissent plusieurs idées déjà contenues dans Casino, etc., car la liste est longue. Le cinéaste, et par incidence le directeur photo Robert Richardson et la monteuse Thelma Schoonmaker, multiplient les renvois à leur filmographie commune. Leur travail confine donc au déjà-vu répétitif, sans pour autant verser - et c’est à saluer - dans l’autosatisfaction. Car chaque effet est parfaitement justifié, et efficace, toujours.
Ce n’est pas tant que la mise en scène de Scorsese puisse être taxée de classique, ou pire, d’académique, qui dérange. C’est qu’elle apparaisse d’une si grande maîtrise, presque simple, trop vissée, et d’une si imposante sobriété, presque monotone, trop peut-être pour qu’une émotion puisse s’y épanouir. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est le chaos anarchique – et pourtant travaillé – de ses premiers films, c’est aussi et surtout l’apport à l’écriture d’un Paul Schrader, d’un Jay Cocks ou d’un Nicholas Pileggi. Le script de Logan, bien rythmé malgré ses trois heures de récit, offre ici un parfait véhicule aux Oscars pour techniciens et comédiens, certes, mais préfère tirer vers l’exhaustivité de la vie tumultueuse de son personnage, plutôt que de condenser l’essence de plusieurs scènes secondaires en une unique scène majeure et incontestable. Et le cinéaste de suivre ces lignes fidèlement, s’appropriant certes le matériau, mais passant insensiblement à côté des moments d’errance de son personnage, alors qu’il avait lui-même si bien dépeint par le passé le trouble d’un Travis Bickle, ou la paranoïa d’un Henry Hill. Bien rôdé à l’exercice si singulier du biopic (du Jake La Motta de Raging Bull au Dalai Lama de Kundun, en passant par le Christ en personne), Scorsese livre ici son résultat le plus lisible, peut-être aussi le plus divertissant de tous, mais également le moins complexe. On pourra préférer les essais récents de trois autres spécialistes du genre que sont Milos Forman (Larry Flint), Oliver Stone (Alexandre) et Michael Mann (Ali). Ou non. Car Aviator est un magnifique produit de divertissement, avec une âme et du talent sur chaque parcelle de pellicule. Et il serait stupide de bouder un si beau spectacle, d’autant plus qu’aux côtés d’un DiCaprio une fois de plus convaincant (mais redoublant d’efforts pour durcir son éternel faciès d’adolescent), explose avec délice une sublime Cate Blanchett, formidable Katharine Hepburn.
Je trouve que dans LA VALSE y a des bonnes choses à prendre, mais bon je suis comme toi, moins fan. Dans AFTER HOURS en revanche, tout est à prendre, c'est le top du tournage fauché, ça donne envie de faire des courts, mais sans concession, puisque la caméra est toujours signifiante, mobile, fluide. C'est très étonnant. Et comme il a du bol, le scénario est très fun, plus délirant que LA VALSE mais aussi plus prenant.