Frank Miller est il un infâme réactionnaire ?
Je me pose la question parce que le film 300, au niveau politique c’est pas joli joli. Et aussi parce que Miller a beaucoup bossé sur la figure du vigilente, et que, comme le souligne Fim Freak, c’est une figure qui flirte avec le fascisme.
Alors petit tour de la chose vite fait.
Un type décide de passer outre les lois et le système pour faire régner l’ordre par la force. Disons que c'est de droite. Oui mais en même temps, le vigilente se place souvent contre le pouvoir en place, au nom d’un idéal de société. Alors, révolutionnaire ou bâtard bronsonien ? Même flou pour Miller qui navigue souvent entre deux eaux, entre cynisme et patriotisme, et dont l’une des forces de son œuvre est de questionner les rapports ambigus entre le héros, la société et l’action musclée.
Déjà, les super héros « officiel » se font un peu ridiculiser chez Miller. Bosser pour l'Etat, c'est pas la panacée. Superman est un patriote pantin du pouvoir corrompu dans Dark Night, et Captain América est un soldat anachronique et monolithique.
Alors que Dardevil, lui, il s’en fout du drapeau, et c’est sa grandeur.
Et il a bien raison de se méfier.
Les soldats de la nation, c’est toujours un peu naze chez Miller, trop simples dans leurs motivations, trop limités par leur statu, et surtout pleins de contradictions.
Dans 300, par exemple, les spartiates se battent pour la république grecque, pour la liberté de leur peuple, mais ce sont de gros bourrins violents, dont l’unique but est la guerre, pas de place pour l’amour ni la tendresse. Des héros un peu misérables par certains côtés, qu’on peut pas suivre jusqu’au bout..
Le mal, c'est soit le gouvernement, soit l'industriel puissant (le Caïd), c'est pas le petit dealer du coin.
Clairement, Miller se place contre le pouvoir, caricature aussi bien Reagan dans Dark Knigth que Kennedy en dangereux psychotique dans Elektra.
Politiquement, ça se rapproche un peu de l’anar de droite, fasciné par la force et l’individualisme, et méfiant face à toute forme de pouvoir politique ou économique.
Alors que le vigilente, lui il a la classe, seul contre tous, hyper cohérent, pas de doutes, libre.
Miller est celui qui a posé concrètement le vigilente comme personnage asocial et rebelle, et qui a définitivement ancré le comics dans un discours sur la société. Cette dimension critique des supers héros a toujours été latente dans le comics américain, et c’est pas pour rien que dans le Dark Night une place importante est faite au Dr Batholomew Wolper, Psy hystérique luttant farouchement contre l’existence de Batman, et décalque à peine exagéré du Dr Wertham qui était parti en croisade contre les comics et leur soi-disant responsabilité dans la délinquance juvénile .
Son livre « Séduction of the innocent » donnera lieu dès 1954 à une autocensure des comics déplorable.
Miller se met en porte à faux, prend acte de l'aspect contre culture du comics, du potentiel rageur du vigilente, et lâche de plus en plus les chiens. Pas d’autre projet politique que la révolte. C'est pas l'apologie savante de l'anarchie d'un Moore dans V par exemple, mais plutôt un "tous pourris" énervé. C’est un peu court parfois (le comic « Bad Boy » gentiment raté) mais souvent ça a de la gueule.
Dans DK2, Batman tombe le masque, et libère les super héros en leur disant en gros qu’ils ont passé leur vie à suivre les règles alors que ce sont des dieux sur terre et qu’il va falloir qu’ils arrêtent leurs conneries maintenant. Et que désormais ils doivent se placer en dissident.
Les Cahiers du cinéma disaient qu’un bon film d’action ne pouvait être que réactionnaire. Le frisson de voir le héros ne pas suivre les règles, dépasser les bornes. C’est ce qui faisait que les BD de Miller étaient finalement plutôt de droite mais avaient du panache, et étaient suffisamment troubles pour être passionnantes.
Là, avec Batman contre Ben Laden, ça ressemble plus à un truc du genre le bien contre le mal, la civilisation contre la barbarie alors que Miller a toujours été du côté des barbares. C’est mal barré pour la suite.