Eloge du metier d'éditeur avec un trio gagnant de chez L'Association.
ON M'APPELLE L'AVALANCHE de Masse.
L'Association continue son travail impeccable de réédition de chef-d'oeuvres introuvables (j'attend un peu avant de me faire le Caro).
Ici, il s'agit même de monument.
Grosse pagination, format maousse, et le tout dans l'hypertrophie. Car voilà un livre qui porte bien son nom. L'avalanche, c'est l'avalanche de mots dans une même bulle saturée, de traits et de trame à en faire craquer la case, de personnages et d'éléments absurdes à en perdre son latin. Pas la peine donc que je vous raconte l'histoire ou le "pitch", c'est impossible.
Masse est un auteur disparu. Considéré comme un génie à son époque et encore aujourd'hui par ceux qui s'en souviennent, il a aussi la réputation d'être ingérable au point de s'être retiré du monde de la Bande dessinée après avoir dit "fuck" à toute la profession. Marre des compromis, marre des têtes de cons aux directions de l'époque...
Pourtant, ses bandes dessinées se placent sous le signe de la générosité, du toujours plus, du plaisir absurde d'une histoire qui va où bon lui semble.
Et ce trait, ces mouvements dans une pelleteuse qui danse un ballet :
Alors forcement ce genre de bande dessinée est exigeant. Il demande au lecteur de l'attention et de la perseverance. Avec la certitude d'en être récompensé au bout du compte.
On enchaîne avec un bijou caché.
GOGO CLUB de Ruppert et Mulot.
Les deux gars sont les nouveaux héros de la bande dessinée contemporaine, leur dernier bouquin ayant reçut un prix à Angoulême.
Pourtant GOGO CLUB est sorti dans un certain silence.
C'est que Ruppert et Mulot font un pas supplementaire dans les profondeurs de l'expérimentation.
Premièrement une sorte de casting sur le modèle de leurs dédicaces (méthode exposée dans la revue Eprouvette) où chacun des castés se voit attribué un personnage et un masque.
Deuxièmement le drame se joue en une sorte de film muet, de pièce de théatre morbide éclairée à la lampe torche.
Ca va nulle part et ça va loin, dans une complète liberté de ton et de narration. Les deux auteurs ont totalement largués les amarres dans un style bien affirmé désormais. On est déboussolés à la lecture et c'est bien.
Et enfin la petite dernière. Qui n'est pas si petite que ça puisque c'est une habituée des éditions Frémok par exemple :
FAIRE SEMBLANT C'EST MENTIR de Dominique Goblet.
Elle a mis 12 ans pour faire cette autobiographie et y a inclue les évolutions de son style.
C'est assez rare de sentir à ce point l'importance superieure de l'élégance d'un dessin. Voilà.
Le truc troublant aussi c'est que le scénario est parfois coécrit avec Guy Marc Hinant, personnage important du livre. "Personnage" donc puisque la valeur documentaire de l'autobio se trouve altérée par l'idée que l'histoire s'est écrite à plusieurs, que les points de vues sont mélangés, et que la réalité est reconstituée.
Pas la réalité donc, mais la vérité, comme souvent.
Un quotidien comme plein d'autre, à la fois terrible et anodin, mais avec en fond, montant doucement, un raz de marée émotionnel.
Et une belle sensualité comme le montre la page sexe (il faut tenir le livre dans ses mains, avoir son poid, l'épaisseur et la douceurs du papier, le camaîeu des couleurs pour s'en rendre compte).
Et donc là comme pour les deux autres bouquin, c'est mine de rien "la révolution en marche" comme dirait Zad.
Chaque livre a son juste format, sa couverture souple ou dure toilée qui lui convient (contre exemple de la collection "ecriture" de casterman).
Un vrai travail d'éditeur, avec de vrai morceau de prises de risque dedans, une juste attention au repect du travail de l'auteur.
Dominique Goblet remercie à la fin de son livre JC Menu pour l'avoir poussé à continuer et à remettre son travail en question quand il le fallait, et pour l'avoir accompagné jusqu'au bout.
Quoi qu'on dise, L'Association, et d'autres assez rares, restent l'honneur de la profession.