Forum de FilmDeCulte

40075 KM COMICS chez L'Employé du Moi.

Au départ, 40075 km, c'est la circonférence de la terre au niveau de l'équateur.

Ensuite, ce fut un site internet, 40075 km.net, ouvert entre mars 2005 et juillet 2006, où n'importe qui pouvait poster ses planches de bd autour du thème du déplacement d'un point à un autre.

Finalement, c'est un livre, recueil des meilleurs pages du site et réunissant plus de 70 artistes, pour la plupart inconnu mais pas que (Otto.t, Lumineau, Navarro, Broersma sont du voyage, et d'autres). Le truc est un pavé presque carré de presque 600 pages à presque 30 euros (très bon rapport poid/prix)



Ce qui frappe à la lecture, c'est que quelque soit notre genre en bd (humour, introspectif, poetique, blablabla) tout est de très bonne qualité. J'en reviens pas autant d'artistes de si haut niveau pas ou peu publiés et réunis dans un même volume.

On est bien évidemment dans le style "bd alternative" à chaques pages, et un des miracles du livre et de nous montrer combien la "bd alternative" est multiple, variée, d'une belle fraîcheure artistique, loin des caricatures de bd autobio auteurisantes à 2 balles. Là ça bouge, ça vit.
Il y a dans ce bouquin des pages qui provoquent un plaisir de lecture rare (d'autant plus rare qu'on s'y attend pas à l'interieur d'un ouvrage collectif, genre médiocre en général).

L'Employé du Moi, déjà avant c'était un bonne maison d'édition, mais là c'est une bonne maison d'édition !





Et allez, la page sexe qui vend.

Le grand prix d'Angoulême de Trondheim pour cette mignonne chronique enfantine remplie de morts douces, de mythologies de grand mère et de fantômes pompoko-totorotesques.
4/6

JOURNAL 4 de Fabrice Neaud chez Ego Comme X

Quatrième volet du journal de Neaud, où il raconte sa vie, l'homosexualité et la précarité de manière critique, revendicatrice et intellectuelle.

Le bouquin n'est pas neuf puisqu'il est sorti en 2002 (4 ans en bd c'est une eternité quand on voit que la durée de vie d'un livre est de 2-3 semaines en librairie).



J'en parle maintenant parce qu'une interview viens de paraître dans L'Eprouvette 3 où il raconte qu'il se met en pause (presque rien sorti depuis) à cause de l'indigence de la masse d'autobios sortie depuis, mais surtout parce qu'il a été blessé et mis à genou par les critiques qui lui ont été faites. En gros, trop littéraire (une voix off très écrite qui commente et argumente les évênements) et trop classique dans le dessin (fait d'après photos et très réaliste en général), deux choses qui feraient que sont oeuvre n'est pas de la BD.

Ils faut d'abord prendre la mesure de la force des attaques faites à Neaud. La gars est habitué à la critique et passe la plupart de ses livres à y répondre avec force (sur la question de la vie privée, de sa prétendue victimisation d'être homosexuel). Pour qu'aujoud'hui il se retrouve submergé par le doute au point de ne plus produire, d'être sans voix, il a fallu que ces attaques soient violentes et nombreuses.

Ensuite, il faut se rendre compte de la stupidité de ces critiques, qui pensent déterminer ce qu'est une BD ou pas, avec l'idée qu'un style écrit est trop lourd (trop adulte ?) pour une BD alors même que le style "voix off/récitatif" a été pompé par d'autres (Squarzoni, Mussat...) avec un certain succés critique.
Quant au dessin, soit il apparait comme ringard (idée issue des beaux arts qui veut que le dessin figuratif et réaliste soit has-been depuis le XVeme siecle) ou trop réaliste (idée issue de la BD qui veut qu'un bon dessin soit "ligne claire" et simple au maximum). Dans les deux cas c'est très con, évidemment.

Lisons donc le JOURNAL , on se rendra vite compte de la belle singularité de l'oeuvre, de sa folle ambition, de sa saine révolte, de sa grande réussite et de la stupidité de la plupart de ses détracteurs. On verra aussi l'importance et la cohérance des choix esthétiques, tant au niveau de la voix off que du dessin, deux éléments qui, loin d'être les points faibles de l'oeuvre, en font sa force et son prix.


La page sexe qui fait vendre :

[quote="jiko"]

JOURNAL 4 de Fabrice Neaud chez Ego Comme X

Alors j'ai parcouru les quatre volumes (de pagination inégale) à la FNAC et si ça peut s'avérer touchant au début, c'est assez répétitif et finalement assez proche des styles de blog pédés dépressifs. ça m'a vite lassé en tout cas.

Bon, y'a un point de vue politique et une reflexion sur l'acte de représenter les autres qui méritent d'être plus que survolés (même gratos à la Fnac hein, je pousse pas à la consommation).

Pédé révolté plus que pédé dépressif, nuance.

ouaiche, grands bouquins tout ça.
à compléter, dans un registre beaucoup plus drôle mais pas moins finement vu (et excellemment écrit), par la plupart des bouquins de Ralph König.

_________________

*

Je ne suis pas très fan mais bon c'est con qu'il ne puisse plus dessiner à cause de quelques critiques.

qui? König?

_________________

*

Ben non Neaud.

il s'est passé quoi exactement?

_________________

*

Oh toi t'as pas lu mon post sur Neaud !

merdouille, j'ai lu en diagonale, je croyais que c'était un résumé... excuse

ah oui, critiques stupides, effectivement, d'autant que comme tu dis, d'autres comme Squarzoni récoltent (à raison) des lauriers en jouant dans la même division.

et ce dessin, merde, justement, quel boulot! l'Association a fait du bien à la BD pour des tas de raison, mais elle a aussi eu, revers de la médaille, des conséquences parfois douloureuses sur l'appréhension du dessin. Au lieu d'ouvrir à toutes les possibilités du dessin, d'élargir la palette, j'ai l'impression que ça a fait du tort au dessin "classique", alors que les deux devraient cohabiter. C'est une connerie de dire que ça ou ça est ou n'est pas de la BD... d'autant plus con si la raison est que c'est "trop" léché!

tiens, tant que j'y pense, histoire de me défouler, deux merdes:

Je commence par la moins pire, juste médiocre en fait, Câlinée sous X



la couverture petits seins/lolita qui fait vendre, comme dirait jiko.
et c'est à peu près le seul, justement, intérêt du bouquin. Montrer qu'une meuf aux petits seins, c'est sexy. Voilà. Il y a une bite en érection aussi. Sinon, la scénar', c'est du sitcom en un chouïa plus chaud, tendance M6 rose. Et le dessin est assez banal, tronçonné qui plus est par une mise en couleurs dégueu.


Dieu n'a pas réponse à tout (mais IL est bien entouré) dessin Barral sur des scénars de Benacquista



bon, j'ai pas tout lu tellement c'est nul.
Benacquista se fout du monde avec ces nouvelles (mal) écrites en dix minutes, qui n'ont rien à foutre au rayon BD, sinon encombrer les rayonnages avec du vide pas drôle et ringard à crever, et des dessins moches et (blague) sans âme.
Honteux consensus mou journalistique autour de ce truc.

_________________

*

Ouais, c'est à chaque fois pareil quand c'est un ecrivain ou autre qui fait le scénar.
Y'a les bd de Beigbeder (c'est marrant à dire ça à voix haute tiens), et puis les albums honteux de Beineix qui ont eu une couverture médiatique hallucinante comparé à la qualité du truc.
Bon, c'est encore une histoire de complexe mal digéré face aux autres domaines, le besoin de se légitimer tout ça. D'la merde quoi.

Je viens de finir LES KIDS de Joe Matt au Seuil.

Il y raconte sa vie d'enfant, sa mère, tout ça...
Du coup, ça permet de mettre en ordre la chronologie biographique de Joe Matt, specimen d'auteur autobio bien particulier.
Déjà, dans Kids, s'il y a bien une certaine nostalgie de l'enfance, il y a surtout un plaisir à se décrire comme un petit con radin et colérique, pas du tout sympas. Et ça c'est la Joe Matt's touch.




Parce qu'ensuite, il se met à raconter quotidiennement sa vie avec son amour Trish dans STRIPTEASE, au Seuil encore.



Le truc c'est qu'il y raconte aussi son énorme obsession pour le porno, que sa copine lit les pages sur le sujet, ils s'engueulent, il en fait une planche, qu'elle lit, ils s'engueulent...
On a peur pour le couple quand même. Et Joe confirme qu'il est rien qu'un p'tit batârd et qu'il est très fort pour faire des pages avec plein de cases.



On enchaîne avec PEEP SHOW chez les Humanos



Là il raconte qu'il fantasme sur les copines de sa copine, celle ci lit les pages et le plaque.
Normal.
Puis il rencontre un fan et sa copine, Joe raconte qu'il fantasme sur celle ci, le fan lit les pages et ça part en vrille.
Normal.
Entre temps on assiste aux conversations qu'ils a avec Seth et Chester Brown, deux auteur canadiens très bien aussi, et on commence à se demander ce qu'il cherche avec ses bd, où tout le monde a accès à ses pensées les moins avouables.

(en passant, la page sexe en vue de faire vendre)



Depuis, il a continué ses comics chez Drawn and Quartely et les choses se sont précisées



Désormais seul, il monologue devant sa télé en faisant des cassettes best of de films pornos, il monologue avec son chat, il monologue avec les rares amis qui lui restent, et il pisse dans une bouteille pour pas avoir à aller aux chiottes sur le palier et croiser un voisin



L'oeuvre de Joe Matt est en fait le grand récit de son suicide social, coupant systèmatiquement les ponts avec ceux qui ont pu partager sa vie et les faisant fuir en exposant régulièrement les aspects les plus répugnants de sa personnalité.
L'autobio gnagna plaintive et miserabiliste a trouvé ici son equivalent jusqu'auboutiste. On pourrait croire que Matt est trop franc, pas du tout, aucune franchise là dedans. Juste le projet d'entrelacer sa vie et ses bd au point de finir seul et détesté.

En plus c'est drôle.

LOST GIRLS d'Alan Moore, chez Top Shelf.

Alan Moore est peut être la seule star en bande dessinée à mettre tout le monde d'accord, des fans de Marvel aux lecteurs de bd indé.
On pourrait croire que du coup il peut se permettre ce qu'il veut, il a quand même eu du mal à aller au bout de ce bouquin là, qui lui a valu dix ans de travail (avec sa compagne et dessinatrice Melinda Gebbie) et pas mal de problèmes éditoriaux.

Le resultat, c'est un énorme coffret de trois albums racontant la rencontre érotique et spirituelle entre Wendy de Peter Pan, Alice du Pays des Merveilles et Dorothy du Magicien d'Oz dans un hotel autrichien du début du XXeme siecle (à la veille de la 1ère guerre mondiale).
Chacune se lancera dans le récit de son aventure, qui se trouve être surtout sexuelle.

Moore est bien habitué à reprendre et détourner les figures populaires, littéraires (Ligue des Gentlemen Extraordinaires) ou autre (Swamp Thing).
C'est aussi un malade du système et de la construction savante. Le livre regorge de jeux de symetrie et d'échos narratifs dans une mise en scènes complexes qui voit chacune des trois narratrices aux voix bien distinctes se faire attribuer une mise en page spécifique, ainsi qu’un champ symbolique bien identifié.

La mise en page de Dorothy :



La mise en page de Wendy :



Et celle d'Alice :



Cette débauche de virtuosité dans la construction produit un système de récit assez lourd, qui se rappelle sans cesse au lecteur, qui frime un peu en quelque sorte. C'est pas forcemment nouveau chez Moore, la fin de Promethea par exemple était très ampoulée.

Dans Lost Girl, pourtant, ces effets de style sont plutôt généreux, tournés vers une éloge de l’imagination et de l’émancipation de la femme par le désir, où La pornographie y a valeur de pratique de la liberté (on abandonne vite l’idée d’être émoustillé par le récit).

Chaque chapitre y va de sa relecture du conte au niveau sexuel, psychologique et mythologique. Ca peut paraître laborieux mais quand le chapitre se termine par une pleine page réunissant en un même dessin toutes ces interprétations, c’est souvent fascinant. Et la fin du livre en forme de deuil de la fin de l’innocence me semble dépasser le simple effet de manche stylistique.

Bon et puis le sujet c'est le sexe et c'est très bien abordé, dans toutes ses dimensions (fantasmes, désirs, perversions, liberté dans l'imagination, frustration, violence, utopie...).

Et un petit mot sur le dessin. A chaque fois avec Moore ça me fait pareil. Un coup d'oeil rapide et je me dis que le dessin est laid (ça me l'a fait avec tous, sauf peut être son Batman mais c'est pas son plus réussit), et puis finalement je me rend compte que c'est exactement le dessin qu'il fallait pour ce récit là.


Voilà.
Une des rares pages où y'a pas de sexe (ah en fait si y'en a), de toute façon le livre se vendra tout seul :