Il y a eu un moment, durant l'incroyable déluge de détails et de qualités qui compose l'introduction du film, où j'ai senti, mais vraiment, senti que ce film sortait tout droit d'une séance de jeu d'un enfant ayant dans chaque main un jouet d'un genre différent, comme par exemple un dinosaure et un robot, autrement dit deux adversaires sensément pas à la même échelle, les faisant se battre. Le Jaeger reproduit les geste du petit pilote dans son cockpit, avec ses engins "à sa taille", et pendant une fraction de seconde, c'est comme si on voyait cet enfant, porter le jouet dans sa main, tandis que dans son imagination, un véritable combat de titans se livre. A cet instant, j'ai eu malgré moi une réaction typique de petit garçon, dans toute son innocente spontanéité, comme on a pu le dire des centaines de fois en sortant du moindre film vu au cinéma avant nos 10 ans, et j'ai pensé : "ok c'est un de mes films préférés".
Ce film est en quelque sorte, et entre autres choses, une ode à l'imagination infantile. D'ailleurs, dans le prequel comic signé du scénariste même du film, Travis Beacham, l'idée du programme Jaeger vient à l'esprit de son créateur lorsque celui-ci voit son fils se faire battre deux figurines. Outre l'hommage à tout un pan de la culture japonaise, du kaiju ega aux mechas, c'est la vision d'un enfant qui se déroule sous nos yeux. Mais d'un enfant doté d'une maestria comme personne. Rares sont les cinéastes qui parviennent à partager leur enthousiasme de manière aussi communicative, contagieuse même. C'est le genre de film où je me suis retrouvé à saisir le bras de mon voisin, pote geek que je connais depuis presque 15 ans et qui saisit alors le mien, nous tortillant sur nos sièges de jubilation face au spectacle qu'il nous était donné de voir.
Toutefois, là où je craignais depuis le début que le film se limite à ce pitch, Del Toro et Beacham ont davantage de choses à proposer qui permettent de transcender quelque peu le simple film de "méchas géants contre des monstres géants". Ca reste comme susmentionné la vision d'un enfant, et Del Toro assume totalement en interview la relative simplicité de la trame et du message du film, mais ça n'empêche en aucun cas le film de faire preuve d'une véritable richesse, dans le fond comme dans la forme.
Beacham explique qu'après avoir eu l'idée du face à face à échelle gigantesque, il n'a trouvé l'histoire qu'il voulait raconter que lorsqu'il donna naissance au concept du "Drift". On le voit peu dans les premières bandes-annonces - et ce n'est pas un spoiler- mais l'idée, c'est que le pilotage d'un Jaeger nécessite deux pilotes unis par un lien neural qui leur fait partager les souvenirs, les pensées, l'esprit de l'autre. Une symbiose indispensable pour pouvoir donner vie au Jaeger. Et c'est effectivement là que réside tout le cœur du film.
Les deux personnages principaux, dont un orphelin typiquement deltoroien, ont chacun un trauma qui fait d'eux des moitiés d'être qui vont apprendre à surmonter la tragédie et à revivre en trouvant un écho et une complémentarité l'un chez l'autre, unis en un esprit au sein d'un même corps (mécanique). L’œuvre de Del Toro est peuplée d'hommes (ou de lieux) coincés dans le temps, et ceux-ci nécessitent souvent une mécanique pour survivre (le vieil homme vampirisé par l'engin de Cronos, l'orphelinat de L’Échine du Diable avec sa bombe de Damoclès qui tique encore, Kroenen le non-mort qu'on remonte comme une montre dans Hellboy, le Capitaine Vidal qui vit au rythme de la montre de son père qu'il répare constamment dans Le Labyrinthe de Pan). Dans Pacific Rim, c'est de cette manière que les Jaeger, du moins le principal, Gipsy Danger, s'en retrouve incarné : c'est l'ultime homme-rouage de Del Toro. Le rouage qui va permettre à ses héros de se décoincer du temps, d'échapper à leur passé.
De manière plus générale, le film traite au travers de presque tous ses protagonistes, même les sidekicks comiques, de cette empathie à avoir envers autrui, de ce besoin d’œuvrer ensemble, pour vaincre , comme entre les orphelins belliqueux de L’Échine du Diable ou l'équipe de Blade II et celle de Hellboy. Quand on lui cite la réplique déjà culte d'Idris Elba ("Today we are cancelling the Apocalypse!"), Beacham dit avoir voulu faire un film en réponse au sentiment actuel résigné envers "la Fin des Temps". Terrorisme, crises financières, désastres naturels...avec les Kaiju, et surtout avec les Jaeger, Beacham a crée un adversaire qu'il est possible de combattre. En interview, et au sein même du film, Beacham et Del Toro ne cessent de faire l'analogie entre les Kaiju, que Del Toro décrit comme des "forces de la nature", et les ouragans, qui sont "ni bons ni mauvais" explique Del Toro, défendant par là ses monstres qu'il aime tant. Quand on sait que le genre du kaiju ega est né, avec Godzilla, du besoin des japonais d'exorciser le trauma de la Seconde Guerre Mondiale et de la bombe atomique, on peut voir dans Pacific Rim un écho de ces origines. Non seulement la notion de trauma à guérir parcourt le film, mais ce message d'espoir, cet optimisme face à l'adversité et à la catastrophe, et à ces Kaiju que l'on catégorise de 1 à 5, comme les ouragans, fait de Pacific Rim un film post-Katrina.
Hé, pour une fois, je ne me pignole pas sur le 11 septembre (Cloverfield avait déjà updaté le kaiju ega à la sauce 11 septembre de toute façon, avec son dispositif de found footage) mais là, avec tout ce foin dans la diégèse et l'exégèse sur les ouragans, le fait que ce soit uniquement des régions côtières qui sont touchées, je ne peux pas penser que c'est innocent. Même si c'est peut-être en partie inconscient.
Quoiqu'il en soit, c'est une couche sous-textuelle supplémentaire mais ce n'est pas ce qui rend le film génial. Cela donne quand même une certaine résonance réelle au film mais ce dernier l'acquiert de toute manière autrement, par la narration. La fameuse introduction dont je parlais plus haut nous propulse dans le monde de Pacific Rim par un rapide montage des faits qui précèdent l'histoire du film, l'arrivée des Kaiju, la création des Jaeger, entre money shots, images de journaux télévisés et autres vignettes. Ça m'a rappelé l'excellente entrée en matière du Règne du feu. Ici, on est pas dans une ère post-apocalyptique, on est juste avant l'apocalypse. Mais après le début des événements. En dépit de la présence de monstres qui dézinguent des villes, et malgré la multitude de personnages et leurs origines ethniques variées, et même si le récit se divise deux trames, l'une suivant les "soldats" et l'autre les scientifiques, on est pas tant dans le film-catastrophe que dans le film de guerre. Et dans tous ses films de pilotes de la Seconde Guerre Mondiale, celle-ci a déjà commencée lorsque le film commence. Inutile d'en faire l'origin story.
Rien que ça, ça assoit d'emblée le film dans une réalité acquise pour le spectateur. Et ça fait du bien. Mais Pacific Rim ne s'arrête pas là et Del Toro truffe le film d'éléments qui te font tout de suite croire à ce monde. Ca va du détail - comme un plan sur les pattes du premier Kaiju en train de nager, aperçu d'un acte "anodin" qui ancre direct la créature dans le réel - à la vue d'ensemble - le film aurait pu se limiter à la guerre et ne pas s'embarrasser de l'intrigue scientifique, et surtout des "annexes", comme le trafic d'organes de Kaiju - et ça participe à la création d'un véritable univers non seulement original mais qui paraît d'autant plus "vivant". En gros, on a l'impression que le décor, que le monde continue au-delà du cadre.
A l'instar d'autres grandes réussites récentes à ne pas être basées sur des licences existantes, tel que Matrix, Avatar ou Inception, Pacific Rim est un bijou de world building. Le genre de film qui donne envie de dévorer l'artbook (qui m'attend sagement sur l'étagère) et de lire tout spin-off possible (le prequel comic m'attend dans mon disque dur). C'est riche à ce point. Y a pas deux robots identiques, y a pas deux armures similaires, le look des russes (un duo qui rappelle Verlaine et Lighthammer de Blade II) tuent, la coiffure de Clifton Collins est tout droit sorti d'un manga, le swag de Ron Perlman est ultime. Un personnage qui s'appelle Hannibal Chau. Et Stacker Pentecost. Et Tendo Choi. Et Herc Hansen. Et y a tous les motifs et leitmotivs récurrents de la filmographie de l'auteur : insectes, trucs dans des bocaux au liquide ambré, dissections dégueulasses, l'enfant face au monstre, Ron Perlman, Santiago Segura... En fait, voir ce film, c'est un peu comme partager le "Drift" avec Guillermo del Toro : une connexion directe avec son cerveau.
Le fait que j'ai pu écrire près de 1500 mots sur le film sans parler une seule fois des scènes d'action devrait suffire à vous montrer en quoi ce film dépasse son argument de vente. Mais on va pas se mentir, c'est en grande partie ce qui nous a tous attiré dans la salle, et à ce niveau aussi, je n'ai pas été déçu. On pourra toujours regretter qu'il n'y ait pas un seul combat de jour, et, oui, c'est souvent dans l'eau et/ou sous la pluie, néanmoins, je n'ai jamais trouvé ça illisible. Il y a peut-être 3 ou 4 plans confus dans TOUT le film. Et j'ai pourtant vu le film en 3D. Cela dit, j'ai beau avoir lu que l’œil mettait à chaque plan 2-3 secondes à se réajuster à la 3D, je me demande si la spatialisation qu'offre la 3D à l'action ne rend pas parfois les choses PLUS claires en fait. Quoiqu'il en soit, je l'ai trouvé vraiment bien. Facilement la meilleure (conversion) 3D de cet été. Ça peut paraître débile comme précision mais sincèrement, y a des plans très classes qui exploitent bien le relief. Je précise, si ça peut vous aider, que je me suis assis plus loin que d'habitude. J'avais vu la bande-annonce en IMAX à Londres et j'avais trouvé ça irregardable, incompréhensible, alors qu'on était très bien situé pour le film en soi (qui était quand même un J.J. Abrams). Donc j'ai préféré prendre mes précautions et je ne l'ai pas regretté.
Les combats sont d'un jouissif comme j'ai rarement vu. Niet. Comme j'ai JAMAIS vu. Le proto-Kaiju qu'était l'Elemental et la Golden Army de Hellboy II n'étaient qu'une mise en bouche, on retrouve ici comme dans Blade II un peu de japanime mais surtout beaucoup de lucha libre. Il y a quelque chose de vraiment exutoire dans les fights, où ça se casse allègrement en mille morceaux, où ça se sert du moindre bout de décor comme arme. Ces trois grosses séquences, c'est cadeau sur cadeau. Et ça regorge de surprises qui ont provoqué chez moi une réaction PHYSIQUE. A un moment, j'ai joint mes deux mains devant moi avec un gros sourire tellement j'hallucinais. La minute d'après, la salle éclatait en applaudissements. Et le mec arrive même à glisser de l'humour débile au milieu de tout ça (dans l'ensemble, l'humour fonctionne vachement bien, j'aurai pu regarder le tandem Charlie Day/Ron Perlman pendant des heures).
Je n'avais jamais l'impression que le film "s'arrêtait" pour foutre une scène d'action. C'est presque comme s'il ne s'agissait pas de scènes d'action. J'entends par là que, contrairement aux Transformers, que j'aime bien pourtant, on a affaire ici à un vrai film. L'inclusion des humains est d'ailleurs grandement salutaire. C'est ce qui manque aussi aux Bay, et même au King Kong de Peter Jackson, pour citer un film avec des combats de la même ampleur. Ici, je n'ai jamais l'impression au bout d'un moment de voir des pixels se taper contre des pixels. A force, dans le Jackson, que j'aime aussi, tu réalisais que tout ça, ce n'était que des 0 et des 1. Du coup, c'était légèrement désincarné. Et l'on ne saura dire suffisamment de bien des SFX de ce film (qui perdra malheureusement face aux effets "invisibles" et "réalistes" de Gravity). On sent le poids de chaque geste, et la force de chaque coup.
La nature opératique des bastons est à la hauteur de la dramaturgie du récit. Avec ces humains qui revêtissent des avatars gigantesques, qui pénètrent la conscience l'un de l'autre, Del Toro donne dans l'expressionnisme. Le drama passe par l'action. Par ailleurs, il y a un flashback qui est à la fois un set piece monstrueux (badum-chsss) et le plus beau moment dramatique du film. Il est d'ailleurs dommage que parfois l'écriture opte pour le didactisme au lieu de montrer les choses, surtout quand il a l'outil parfait pour cela qu'est le "Drift". Il manque toutefois une scène où le trauma se résoudrait durant une baston, qui rendrait le dernier combat plus fort. Si j'ai une réserve d'ailleurs, c'est que le film est trop court. Del Toro dit avoir coupé une heure de scènes pour réduire les arcs des protagonistes à leur substantifique moelle mais une ou deux séquences en plus entre la fin du deuxième acte et le climax n'auraient pas été de trop pour étoffer les relations entre les personnages afin de rendre la fin plus émouvante.
Ce petit bémol empêche le film d'être un chef d’œuvre. Ça le rend un poil léger. Mais Pacific Rim est un nouveau joyau taillé dans l'ambre par Guillermo del Toro.
6/6 du coeur.
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