Ce film est l'un des rares, depuis un bon moment au ciné, à avoir éveillé mon intérêt dès ses premières secondes. La petite symphonie des bruits, la sobriété de la ruelle où l'on retrouve l'origine des sons. Quelque chose de mystérieux se dessine, qui ne peut se résumer à un propos... Et puis soudain : Rammstein.
Nymphomaniac pourrait se résumer tout entier à ce début. Côté pile : je retrouve le Lars que j'aime, celui qui dessine des territoires cinématographiques immenses en trois traits, qui ébauche des atmosphères de malade. Le label "troisième opus de la trilogie de la dépression" n'est pas une coquetterie ici : le film, avec très peu de moyens, est parcouru d'un profond parfum de malédiction (ce plan de Joe qui marche vers l'hôpital...), de vide total, de monde perdu qui se décompose tranquillement dans son humidité - et qui n'est effectivement pas sans rappeler Tarkovski. C'est tenu, mesuré avec art, sans jamais virer au délire d'esthète creux comme dans ses tous premiers films. La façon dont tout s'emboîte pour "faire univers" est admirable : une écriture en ballade hétérogène et multi-référencée (comme d'hab chez LVT, les ficelles et articulations du script sont ultra-visibles, mais c'est pas vraiment gênant), la sobriété d'un décor de chambre terne pour centraliser tous les axes de la confession, cet art du casting qui se délecte de trouver le bon visage sur le bon perso, pour ensuite les balancer dans des situations de roman de gare (aussi caractérisées que dérisoires), et de les y laisser cohabiter ... Bref, je retrouve le meilleur de LVT.
Mais paradoxalement, côté face, c'est aussi le LVT où je trouve le plus de petits résidus ou de clins d’œil : inserts illustratifs, textes en surimpressions, images d'archives, schémas didactiques, et Rammstein, donc. Pas tellement gênants, en fait, tant ils sont vraiment devenus complètement gadgets, à peine ludiques, superficiels. Ils côtoient quelques réflexes d'ironie (les chocolats...) ou de provocation, comme si parfois LVT était repris d'un soubresaut de "heeey, un film de sexe, t'es choqué", alors qu'il n'y croit même plus lui-même. C'est marrant et paradoxal, de le voir à la fois revenir vers quelque chose de si mûr par l'économie (deux acteurs, une chambre, un thé, rien de spectaculaire dans les flash-back), et en même temps baigner dans les résidus adolescents de cette volonté dévitalisée d'épater la galerie.
Donc le film me séduit, me captive, m'a réveillé. Là où il flanche, c'est plutôt sur l'inégalité de ses segments. Le passage à l'hôpital, effectivement très vite chiant, le passage d'Uma Thurman, marrant pour quelques dialogues mais assez vite joué... À force de chercher à épouser une sensation de vide, ça frôle quand même assez souvent le rien, et le film se fait parfois dangereusement éteint. Le montage est aussi en cause... Je ne sais pas ce qui doit remplir les béances : du cul, ou plus de récit ? Le cul est ici vraiment annexe (on en ressent pas le manque où les coupes, ce n'est vraiment pas le point d'attention, le film n'a aucune dimension érotique), et des inserts X donneraient vraiment un tout autre film, ça deviendrait une nouvelle donnée qui mènerait à un autre type de projet. Par contre, cette sensation d'ellipses permanentes, de résumé ou de survolage des situations, me semble plus problématique : on a l'impression de scènes qui n'ont pas forcément le temps de prendre toute leur ampleur, de s'épanouir, de gagner la dimension romanesque (ou de recueil de nouvelle) dont elles ont gardé le parfum.
En y repensant, le film a quand même énormément de défauts, mais il a réellement aiguisé mon intérêt. J'attends la deuxième partie avec une certaine impatience.
Abyssin a écrit:
Sur l'homme qui reçoit Gainsbourg, c'est marrant mais on sent vraiment l'image de LVT comme si le cinéaste s'invitait dans sa propre oeuvre et y intervenait.
De souvenir d'une interview aux cahiers à l'époque de
Melancholia, il me semble que LVT préparait son film en interviewant des femmes sur leur vie sexuelles (je me demande même si à l'époque l'idée n'était pas d'insérer certaines interviews dans le film). Ce personnage en est peut-être une trace.
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