Le film est bouillonnant donc je vais faire court:
Pour LVT, la question raciale n'est pas qu'une question de liberté et de droit. La fin officielle de l'esclavagisme n'a mis fin ni à l'esclavagisme économique, ni à la discrimination. Le Noir est toujours le bon sauvage qui descend directement du singe... Le cliché du Noir bon danseur, fainéant qui aime la fête est toujours aussi pregnant (jusqu'au discours post-émeutes des banlieues) et réapparait même dans les bonnes consciences de gauche.
en plus long (et en pas très bien écrit par manque de temps hélas)
NOIR C'EST NOIR
Avec Manderlay, deuxième volet de sa trilogie consacrée à l'Amérique, le cinéaste danois Lars Von Trier fait vibrer la corde sensible de l'Occident: l'esclavagisme et ses conséquences. Le dispositif formel de Dogville reste inchangé. Les décors sont tracés à la craie et le film est restreint à un lieu unique. Une plantation de coton dans l'Alabama remplace ainsi le village perdu dans les rocheuses. Le propos justifie bien évidemment une telle installation. L'auteur de Breaking the Waves ne stigmatise pas les Etats-Unis, il en utilise la portée symbolique et omnipotente. Comme il le souligne dans de nombreux entretiens, nous sommes tous plus ou moins liés à l'histoire américaine et, en tant que "Nouveau Monde" issu de l'Europe, le pays-continent représente une sorte de Paradis perdu, un test grandeur nature pour la philosophie des Lumières et les thèses de Rousseau. Même si le générique final vient localiser l'action de Manderlay, par l'intermédiaire de somptueuses et terrifiantes photographies en noir et blanc illustrant le racisme aux Etats-Unis, le film évoque aussi bien la colonisation de l'Afrique par l'Europe que l'esclavage.
BLACK IS BEAUTIFUL
Toujours aidé d'une voix off ironique, peut-être un peu trop présente, et d'un sens inné pour l'image-choc et les fulgurances plastiques (la mort de la petite fille, la tempête), Lars Von Trier développe un discours non-politiquement correct mais que les récents événements de la Nouvelle Orléans ont hélas confirmé. Il ne suffit pas d'aligner les déclarations d'intention ni d'imposer des règles de vie pour solutionner des problèmes aussi complexes que la misère sociale et la déshumanisation d'une frange de la population. Grace, interprétée par Bryce Dallas Howard (l'actrice remplace Nicole Kidman sans apporter à son personnage la même force de conviction), tente d'imposer son modèle mais ses sages réunions démocratiques se heurtent à une réalité qui la dépasse. Le cinéaste danois joue avec nos stéréotypes raciaux et s'amuse à décrire une oie blanche "bonne conscience du monde" qui applique peu à peu les mêmes méthodes de classement de la population que les anciens maîtres de Manderlay, confond deux hommes noirs et tombe dans le panneau du mythe du "bon sauvage".
TE SOUVIENS-TU DE KATRINA?
Car dans Manderlay, contrairement à la plupart des fictions américaines actuelles, la couleur de peau n'inclut aucunement un caractère. Si Lars Von Trier reprend volontairement les codes en vigueur des hommes de couleur tels qu'ils étaient représentés dans les émissions comiques des années 30 (voir sur le sujet le bouillonnant The Very Black Show de Spike Lee), les deux principaux personnages masculins, Timothy (Isaac De Bankolé) et Wilhem (Danny Glover) sont insaisissables, irréductibles à un seul sentiment, que celui-ci soit noble ou non. L'ambigu final twist, à la manière d'un Shyamalan, n'est pas une légitimation de l'esclavage à moyen terme - comme certains critiques l'ont écrit à tort - mais une ultime pierre apportée à la démonstration: la fin de l'esclavage ou de la colonisation n'a pas fait disparaître les discriminations sociales et raciales. Moins impressionnant que Dogville d'un point de vue cinématographique (une intrigue plus inégale, les degrés d'humour et de représentation passant visiblement beaucoup moins facilement), Lars Von Trier se frotte néanmoins à un véritable tabou. Manderlay remue les consciences et fait réfléchir, ce n'est pas la moindre de ses qualités.
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