
Le projet ne me disait rien qui vaille et le résultat ne me dit rien qui vaille. C'est exactement ce qu'il promet d'être ni plus ni moins. A savoir un making of d'A bout de souffle comme si à l'époque, une équipe avait suivi Jean-Luc Godard de la préparation au montage du film. Donc ici l'objectif de Linklater est simple, faire aussi vrai que possible. Par une fétichisation extrême de l'époque et des personnages qui l'ont habités, Linklater cherche la ressemblance parfaite que ce soit au niveau physique, il est dans le mimétisme le plus absolu du casting, que ce soit évidemment dans la direction artistique (record de clopes fumées dans un film), que ce soit dans l'esthétique noir et blanc pellicule granuleuse avec force cigarette burns dans les coins. Même quand le titre apparaît au début il y a un petit copyright malicieux de 1959. Tout cela est là et c'est très bien fait. L'acteur qui joue Godard est incroyable, surtout au niveau de la voix, les autres sont très bien aussi même si je ne suis pas fan de l'acteur qui joue Belmondo (je pensais qu'il avait un truc dans la bouche mais visiblement c'est naturel). Le Raoul Coutard et le Pierre Rissient sont très bien également. Jean Seberg est adorable. Voilà, pourquoi citer les acteurs puisque le but de Linklater c'est de vraiment les oublier pour que l'on ne voie plus que les personnages qu'ils incarnent ? C'est d'ailleurs réussi puisque littéralement aucun interprète n'est reconaissable, casting intégralement inconnu (à nuancer éventuellement pour Zoey Deutch mais c'est loin d'être une star). Casting qui d'ailleurs va sans doute redisparaître dans les limbes malheureusement. En tout cas de ce point de vue là c'est réussi, on ne voit pas d'acteurs, après un moment on finit par ne plus voir que Godard, Belmondo etc...
Cette fétichisation va très loin. A chaque apparition d'un nouveau "personnage" de l'époque son nom apparaît à l'écran mais ça va des plus connus (Chabrol, Truffaut, Rohmer & co) à des personnages beaucoup plus confidentiels comme la maquilleuse de Jean Seberg, les monteuses d'A bout de souffle, des journalistes inconnus au bataillon etc... Chacun a droit à sa petite vignette de présentation. Et tu sens trop que le film est basé sur des anecdotes croustillantes comme Rossellini qui se gave au buffet des Cahiers du Cinéma, Godard/Truffaut qui écrivent sur le quai du métro, Coutard qui s'amuse à faire faire des clins d'oeil à l'équipe ou Godard qui marche sur les mains pour amuser la galerie.
Mais du coup le film c'est quoi ? Godard qui parle par aphorismes, Godard qui n'en a strictement rien à foutre de l'histoire d'A bout de souffle et qui veut juste réaliser son premier long (c'est le dernier de la bande à réaliser le sien), Godard qui est insupportable de prétention et improvise absolument tout et quand il a plus d'idées il renvoie tout le monde à la maison, Godard qui fait globalement absolument n'importe quoi sur le tournage en tournant à l'arrache les meilleurs idées semblant d'ailleurs n'être même pas de lui (le fameux dégueulasse finale par ex). Alors le public cinéphile, ou même connaissant un peu l'histoire du médium, on sait l'importance qu'A bout de souffle a eu et la révolution qu'il représente mais le film n'en montrera absolument rien. C'est surtout un film qui s'est fait au montage mais ça on n'en verra rien (juste les indications de Godard de couper dans les scènes et de ne pas couper des scènes). Du coup le film se termine avec un carton rappelant l'importance du film et de la Nouvelle Vague en général mais pour un spectateur qui n'a pas nécessairement le bagage pour le savoir, le film échoue totalement à le montrer. Au contraire même on se demande comment le film a pu devenir ce qu'il est après ce tournage totalement à l'arrache qui semble fait par un réalisateur un peu pathétique avec un égo totalement surdimensionné.
Et le film échoue pour moi à raconter autre chose. Je pensais que ce serait un peu un film de bande comme le sont souvent les films de Linklater mais pas vraiment (même si on sent qu'il veut y aller sur la fin). C'est juste le fantasme du making of d'A bout de souffle qui n'existe pas. Un pur vanity project qui a dû coûter une blinde (très belle reconstitution) et sert juste à faire une petite pastille pour les cinéphiles du monde entier. Mais le reste du public peut bien aller se faire foutre puisque rien ne lui sera expliqué, on ne cherchera pas à montrer pourquoi tout ça a, à posteriori, une importance capitale dans l'histoire du cinéma.
Alors ce n'est pas un film désagréable, c'est assez charmant, très beau (belle photo) et le projet est réussi dans son ambition mais c'est cette ambition qui me questionne et qui d'une certaine manière m'agace un peu. J'aime pas les films pour happy few et c'en est indéniablement un. En revanche j'aimerais bien voir les photos de plateau prises par Raymond Cauchetier. Et d'ailleurs si un livre existe avec elles, je trouve que ça vide presque intégralement d'intérêt ce film de Linklater. Pourquoi se taper du 100% factice alors qu'il existe une certaine réalité ?