spoilers à tous les étagesBaptiste a écrit:
mais on a quand même eu le spectacle de vies qui ne sont jamais arrivées à rester sur des rails tout du long dans le film, à commencer par le trajet de la mère, à moins que tu ne reproche au film de ne pas la montrer en extase sur son parcours au finish?
C'est elle-même qui dit que son parcours est balisé: "je me suis marié, j'ai eu des gosses, j'ai divorcé, je me suis remarié, etc", et qui déprime dessus. Pour moi, la mère était un beau personnage potentiel, que l'on aperçoit sur cette dernière réplique, mais le film du point de vue de Mason ne traite pas la souffrance de la mère, d'ailleurs j'ai trouvé choquant que les enfants se foutent plus ou moins de ce qui lui arrive (qu'on peut voir comme une sorte de revanche, ils lui reprochent inconsciemment d'avoir jeté leur père alors qu'il fallait être patiente).[/quote]
Tout parcours est balisé quand on déprime et qu'on le regarde rétrospectivement : on fantasme la vie comme des étapes avec un but à l'arrivée... A l'écran tu as pourtant un personnage qui a repris des études, est devenue prof, a pris les choses à bras le corps... et qui a croisé des cons, changé plusieurs fois de baraque, n'est pas satisfaite au final. C'est assez implacable, mais ce n'est pas un parcours convenu...
A mon sens le personnage de la mère a quand même beaucoup de place dans le film (Film Freak trouve même qu'il en a trop ci-dessus). Ensuite Linklater, s'il se met du point de vue des gosses pour l'ensemble des scènes qui mettent en scène les adultes, c'est pour les montrer spectateur, sans qu'on ne sache nécessairement le fond de la pensée des gamins. Ils sont trimballés devant des violences adultes (disputes à distance, alcoolisme), entrainés à poser des panneaux Obama avant d'avoir une belle famille de rednecks "gentils" qui leur offre fusil et séance de tirs...
Mais jamais Linklater ne va livrer d'interprétation psychologique ou prise de partie pour le père ou la mère. La soeur aime écouter Lady Gaga et être avec ses copines, c'est le personnage le plus faible je trouve mais sans doute parce qu'on lui montre une jeunesse simple et matrialiste, elle est biens moins présente à l'adolescence...Mason parait "lymphatique", c'est un type de personnage déjà vu chez Linklater qui parait traverser les choses sans aucune prise... Il lui reste ce détachement et ce petit mystère, même si au final on perçoit plus de lui quand on le voit adopter un point de vue plus artistique ou se lancer dans première relation / déception amoureuse. Il est dans son monde, sans doute avec une part d'égoïsme important quand il quitte sa mère, mais je n'y vois pas une revanche : il a 17 ans. Enfin les parents ont aussi fait preuve d' égoïsme en trimballant leur gosses dans leurs problème (comme 100% des parents divorcés ou pas...), cela n'empêche pas une cellule familiale d'exister sans trop non plus de traumas malgré des "erreurs".
Je crois que tu tires trop de conclusions alors que le film multiplie les perspectives. D'une manière ou d'une autre ce sont des multitudes de points de vue qui ne font pas un propos... Ce que cherche à faire Linklater est plus impressionniste ici : il confronte le vivant humain à ce qui lui échappe. Mais je n'y vois pas du tout du nihilisme ni un éloge de la normalité, bien au contraire, ni un propos prémaché "il y a du bon à prendre". Pour moi ce qu'il y a de fort dans ce cinéma, c'est la manière dont on est touché par des personnages qui ne sont pas caractérisé de manière définitive, dont on peut attraper au vol quelques sorties dialoguées ou aphorismes qui sont souvent bien trouvés. Sa forme est un peu "pastel", elle est plus une invitation à la réflexion et aux interrogations émotionnelles qu'une recomposition par le cinéma, même si en vieillissant, je trouve qu'il commence à frôler le sentencieux. Mais même quand c'est le cas, le dernier aphorisme du film ne peut que laisser les choses ouvertes par exemple.
Baptiste a écrit:
Pour Epicure, ne fais pas l'outré, c'est une formule quand je le réduis à Coca-Cola. Je dénonce simplement l'usage qui est fait d'une telle philosophie, un usage apolitique, ou alors quand on fait de la politique, c'est tout de suite de l'enfonçage de porte ouverte niais à la "Facebook c'est pas bien".
En repensant au film, je ne nie pas qu'il est intéressant sur plusieurs aspects, mais je n'oublie pas non plus cette impression tenace d'une illustration plate de vies qu'on est censé embrasser nous aussi. Comme si la vie dans sa diversité, et les vies dans les diversités de profils, de cultures, de pays etc., étaient réduites à ce qui est montré dans le film.
Je trouve un peu dommage que pour dénoncer un film qui ferait l'éloge du balisé et de la normalité, tu t'en tiens aux formules Epicure / Coca-Cola / "Plus belle la vie"...Cela devient un peu l'hôpital qui...
Je ne crois pas que le film est la prétention de faire une réduction de la vie à son espace, il en présente seulement un, il est ciblé dans ce qu'il montre : une certaine enfance au texas ( probablement proche du parcours du cinéaste), qui va plutôt pointer vers Austin que Dallas... Et tout est identifié pour prendre en compte ce contexte. Dans l'autre sens, le film semble agacer parfois car il est très difficile de s'identifier au gamin et sa personnalité flou (limite le spectateur est peut-être un voyageur, comme cet enfant), donc par la même il ne fait rien pour qu'on y réduise "la vie"... En tant que tel, je ne vois vraiment pas le film dire "la vie c'est ça", à part peut-être sa réplique finale qui est ouverte au fait de vivre avec l'incertitude même si la facilité est de la caser dans un moment de grâce supposé. Mais je suis un peu atterré quand je vois que Zad prend la chanson Country pour en faire un propos unilatéral par exemple : pour moi c'est clairement un moment d'humour, avec cette recherche du "fait exacte", comme plus tard on aura celui sur l'équilibre avec le "black album" des Beatles. Mais prendre ça comme la construction d'un seul propos alors que le film en croise plusieurs ou s'en tient à montrer des personnages qui ne font pas étalage de "propos"... Bof. Le père vend sa GTO et change souvent de chemise, et Mason n'aime pas autant les mots que son père et le dit lui même, se méfie nettement plus du langage...