Tetsuo a écrit:
Mouais, enfin, c'est très fourre tout comme expression "la mise en scène", de Freak à Zad, j'ai souvent l'impression qu'on y entend ce qu'on veut. Et puis c'est très scolaire aussi cette manière "d'approcher les films". Je pense qu'un réel dialogue n'est possible qu'entre personnes qui ont des conceptions très proches, comme Freak et Z par exemple. Au-delà de ça, l'échange me semble très restreint.
Mouais, pourtant je trouve qu'entre personnes de conceptions différentes, on a toujours réussi à partager et mettre en commun nos points de vue, rarement incompatibles, souvent complémentaires. Je sais pour ma part que le forum a énormément influé ma perception des choses.
Pour ce qui est de la mise en scène, je ne peux pas être d'accord avec la remarque de TiQ : "
La mise en scène est importante, mais c'est pas l'essence de la qualité d'un film." Pour moi, c'est ce qui m'a attiré vers le cinéma, la puissance de certaines mises en scène, peu importe le sujet.
La définition qui me séduit le plus parmi tout ce que j'ai lu - je l'ai déjà donnée ici - est celle de Brian De Palma :
"
Chaque plan doit avoir une idée spécifique et trouver la technique nécessaire à l’expression de cette idée. C’est ça le cinéma. Un plan n’est parfait que s’il exprime visuellement une idée. Pour chaque scène, je cherche le plan ou le mouvement de caméra le plus apte à transmettre l’information que je veux faire passer."
Voilà, pour moi c'est la Rolls des définitions. Si elle correspond à une foultitude de cinéastes que j'adore (Leone, Polanski, Welles, Spielberg, Lean, Shyamalan, Scorsese, Hitchcock...), pour autant, j'estime qu'elle ne suffit pas dans notre envie d'être exhaustif.
Ces cinéastes sont tous très portés sur le découpage. On peut y ajouter des types comme Friedkin ou Mann, les frères Scott... plein de monde, car au final c'est ce que Tetsuo ciblerait peut-être comme la définition la plus scolaire. Ce qui ne présume pas de la réussite (ou de l'échec) de cette mise en scène, bien entendu...
J'aime bien celle-ci, de Kubrick : "
Une fois que vous êtes sûr que le but de la scène a été correctement cerné, que toutes les idées ont été explorées, que quelque chose est en train de se passer émotionnellement, alors la façon de filmer ne pose plus de problèmes. Comment filmer, c’est simple. Quoi filmer, ça, c’est plus difficile. Il ne faut pas chercher à faire le malin avec sa caméra."
Scorsese remarque aussi : "
Depuis quelques années, je me rends compte que certains cinéastes, à force de trop se concentrer sur leurs mouvements de caméra, sur la préparation, finissent par faire des films sans vie."
La mise en scène ne se conçoit pas uniquement dans la représentation d'une idée ni dans son exécution. Il y a tout un pan de cinéastes qui réfléchissent avant tout à la destination, à l'effet recherché, en termes d'émotions. Pour déclencher une sensation, une sorte d'apnée, une impression de vrai, de déjà-vu, d'intime. Malgré une mise en scène distendue, moins lisible, qui ne correspond jamais à la définition de De Palma, ils y parviennent (Pialat, Cassavetes, Kechiche...).
Zonca précise par exemple : "
J’écris un découpage très précis et, au tournage, je remets tout en question. Mon découpage je m’en lasse vite. Tout à coup, j’ai envie d’autre chose."
Chabrol à ce sujet : "
Un des grands secrets de la mise en scène est de savoir ce que l’on va faire. Ceux qui improvisent me fascinent. Certains même improvisent dans les dialogues, alors que ceux-ci font partie des éléments dont on peut être sûr. Transformer quelque chose de sûr en aléatoire dans un processus où existent déjà beaucoup d’aléas me stupéfie. Il me semble que l’idée était d’essayer de supprimer les aléas. Eh bien, pas forcément. Certains se sortent très bien des aléas."
On pourrait alors résumer la mise en scène à une question de point de vue, et d'intention réfléchie, qu'elle soit à la conception d'un plan, ou à sa destination sur le spectateur. Bien sûr, avoir un point de vue ne suffit ni à la qualité ou la réussite d'une mise en scène.
Il faut continuer de fouiller... Carpenter précisait : "
Je pense que le cinéma est un moyen de communication visuel et que la caméra doit donc exprimer visuellement tout ce qui se passe". Ce qui reprend cette vieille idée que pour vérifier si un film est parfaitement mis en scène, il faut qu'il soit capable de fonctionner coupé du son et débranché de ses dialogues béquilles... J'ai souvent lu Spielberg ou Scorsese par exemple, apporter cette précision, et confié avoir vérifié cet adage devant leurs écrans de télévision. Sur le principe, c'est complémentaire de la définition de De Palma, mais cela me paraît un peu réducteur.
Scorsese allait encore plus loin : "
Il n’y a qu’une seule manière de bien filmer une séquence et il faut la trouver."
C'est difficile d'être aussi catégorique que lui (voire impossible), et pourtant l'on comprendrait alors mieux pourquoi on parle souvent "d'erreurs" de mise en scène. Si l'est certain qu'il y a une grammaire cinématographique commune à apprendre, c'est bien évidemment dans le but que chacun puisse écrire ce qu'il veut, de la façon qu'il le souhaite. Je pense que la citation de Scorsese ne s'applique en réalité qu'à lui. Scorsese n'a qu'une seule manière de bien filmer une séquence - celle qui correspond à son point de vue et ses connaissances - et il faut qu'il la trouve. Ce qui est valable pour tous.
David Lynch va un peu plus loin dans cette recherche de soi-même, qui éviterait la trahison du projet : "
Un metteur en scène est un interprète. Il traduit les images qu’il a reçues du scénario. C’est vrai de toutes les idées, qu’il s`agisse d’un script ou d’un livre. L’idée ne vous appartient pas. Vous l’avez reçue. Des images, des sons, une atmosphère émanent du matériau. Et vous essayez de traduire cela en film, ce qui vous laisse tantôt très peu. Puis interviennent des variables : les lieux de tournage, le choix des acteurs, etc. Si vous vous efforcez de rester fidèle à l`impression première, tout ira bien."
J'aime assez son idéalisme, mélangé au réalisme des conditions de tournage. Pour ma part, je suis un réaliste, je crois, et c'est pour cette raison que je me suis toujours méfié de l’interprétation d'une frange de la critique, qui oublie trop souvent le travail collectif au profit d'une déification trop poussée de l'auteur, du réalisateur, de ses intentions présumées etc. Ce qui n'enlève rien au pouvoir du découpage, au contraire. J'aime l'idée qu'un film soit comme la construction méticuleuse d'une pyramide : brique par brique.
Pour aller encore un peu plus loin sur cette question du découpage, je prendrais cette autre citation de De Palma, qui évoque bien les deux directions possibles : "
Lorsque vous collez deux plans ensemble, vous créez de l’émotion, mais de manière artificielle, vous manipulez le public, c’est déjà du mensonge. Si vous voulez vraiment filmer quelque chose d’authentique au cinéma, vous n’avez pas d’autre solution que de laisser tourner la caméra pour que les acteurs fassent naître l’émotion d’eux-mêmes. C’est pour ça que certaines performances sont si impressionnantes sur scène. Elles se déroulent dans la continuité du temps théâtral. L’émotion que vous voyez monter sur le visage de l’acteur a lieu devant vous, c’est le contraire de ce qui se passe au cinéma où on s’imagine pouvoir tout recréer artificiellement."
Dès lors qu'il y a deux directions, il faut bien admettre qu'il ne peut y avoir une seule façon de filmer, ni même une définition de la mise en scène. C'est finalement plutôt rassurant que nous ayons chacun d'entre nous des définitions différentes. C'est heureux...
Certains, plus rares, visualisent la mise en scène comme un élément plus global, comme Bruno Dumont : "
Le cinéma, ce n’est pas un bon sujet et des bons acteurs, ça se saurait. Le cinéma n’est pas là, ou en tout cas pas seulement là. Il y a des films très mauvais faits à partir d’un très bon scénario. La question du cinéma, c’est avant tout celle de la mise en scène, et donc de la composition globale du tout. Absolument tout, aussi bien le son que la lumière, les voitures qui passent, etc. C’est ça qui doit rentrer dans le film. Il ne faut pas qu’il y ait des choses proéminentes, il n’y a rien qui doit apparaître comme saillant. C’est une réflexion qu’il y a d’ailleurs dans la peinture. L’art abstrait est né à partir de cette réflexion sur l’emprise de la figure. C’est la tentative de saisir le fond. Je prends souvent l’exemple d’une toile de Manet; si vous retirez le personnage, il reste le fond lié à la peinture abstraite. Le fond, c’est l’infini, c’est l’énigme finalement, à la fois dans la peinture, et dans l’art en général. Ce qui m’intéressait dans les films, c’est justement le fond."
Une façon de voir assez élégante, et suffisamment humble pour me plaire. La mise en scène est quelque chose de sacré pour moi, mais j'attache de l'importance à désacraliser le mythe que l'on a bâti tout autour. Je perçois les choses davantage comme de l'artisanat que comme de l'art.
D'autres encore usent de la mise en scène comme un terrain d'expérimentation en soi, comme Gus Van sant : "
Je fais tout mon possible pour m'éloigner des conventions qui n'ont plus aucun sens pour moi aujourd'hui, des règles qui ne vous plaisent pas mais que vous continuez à appliquer sans savoir pourquoi. J'ai tenté de remettre en question tous mes réflexes de mise en scène. Quand j'étais étudiant dans les années 60, j'ai été formé par le cinéma underground mais je voulais aussi apprendre à faire du cinéma traditionnel. Maintenant, je sais le faire et je veux tout déconstruire."
J'aime son honnêteté à reconnaître les influences extérieures à l'expression de son point de vue personnel, c'est assez rare que quelqu'un le souligne. Tout le monde met généralement l'accent sur sa singularité...
De même que la détresse du réalisateur, l'obligation à se conformer à toutes ces définitions multiples et contradictoires, me touche assez. Encore une fois, Dumont l'exprime bien : "
Je découpe à l'avance parce que j'ai peur. Vous savez, la plus grande peur du cinéaste, c'est de se dire : « Mais putain, où est-ce qu'on va mettre la caméra ?
». C'est terrible ! Moi je ne sais pas. Ce qui fait que je passe tout seul un temps fou sur les lieux à me dire comment je vais tourner la scène. Mais je n’improvise pas, je ne peux pas improviser. Vous avez une équipe, un producteur qui vous regardent. Vous ne pouvez pas dire : « Je ne sais pas !
». Parce que si vous ne savez pas, le chef-opérateur va savoir. Les prises de pouvoir, ça va très vite ! Ou l'acteur va savoir. Ou le producteur va savoir. Ça se voit les films qui ne sont pas tenus par les réalisateurs. Un réalisateur doit savoir ce qu'il veut. Moi, pour savoir ce que je veux, il faut que je prépare. Il ne faut pas croire que j'ai des idées, comme ça. J'ai passé beaucoup de temps dans le désert, sur les routes, à rouler, à rouler, à me dire: « La caméra, je la mets où ?
»"
Bref, tout ça pour accoucher d'une banalité, en déclarant qu'il y a autant de mises en scène que de metteurs en scène. Mais il est bon de le rappeler. La grammaire est commune, mais chacun sa façon d'écrire. Je suis intimement persuadé qu'un film mal réalisé peut toucher quelqu'un de façon intime, et qu'un film maîtrisé de bout en bout peut laisser sur le carreau... j'aime cette diversité et je ne saurais me borner à une seule et unique définition.
Désolé pour la longueur du fil.