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 Sujet du message: Hit the Road (Panah Panahi)
MessagePosté: 09 Mai 2022, 20:43 
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Une famille de Téhéran traverse le désert dans un Mitsubishi Pajero neuf. Le père, au look d'intellectuel 68ard est à l'arrière dans le plâtre, moqueur morose, mais malgré cela conforme à l'idée assez terrifiante du patriarche oedipien, la mère, plus solide et plus rigide sur le siège passager. Le grand fils introverti et en conflit larvé avec le père conduit. Le petit frère, insolent et espiègle, joue une comédie de séduction/identification avec le père, qui répond. Il y a un chien, malade. On comprend que la famille, visiblement aisée, n'a plus grand chose (la voiture est prêtée) et que le père a mis au point la fuite du fils à l'étranger à l'aide d'un réseau de passeurs habitant dans un village de montagne, qui vit de cette activité.


La lente et molle (mais hypnotique) dissidence en voiture forme un genre typique du cinéma iranien (où la vérité est tolérée tant qu'elle procède d'un dispositif, séparé du monde), au sein duquel s'inscrit pleinement le fils de Jafar Panahi. Pas de rupture à cet égard donc, mais malgré tout un déplacement du regard de la génération du père vers celle des fils (eux-même dédoublés entre deux âges et sensibilités antagonistes). D'autant qu'il reprend des figures et motifs typique du cinéma de son père (le plâtre du Miroir mais cette fois-ci immobilisant le père, le paysage de montagne qui est très proche de celui de Trois Visages), en y introduisant à la fois une sens du cadre plus esthétisant (plus kiarostamien) et une forme d'humour ( le passage un peu à la Luc Moullet avec les cyclistes).
On devine que le film est aussi autobiographique, l'acteur jouant 'e père ressemble beaucoup à Jafar Panahi (en plus cynique et déglingué) et le rapport mère-fils fonctionne comme une compensation du lien paternel, un lien filial qui ressemble au monde rêvé, critique et le fuyant mais incapable de juger, un mère exigeante mais trop solitaire pour le jugement Le film est donc riche, la séparation entre le père et le fils correspond en une séparation entre le producteur du dispositif de critique politique, et son interprète (plutôt le petit garçon trop vif que le grand frère muet et taciturne, ce dernier est à la fois en situation de dette envers moral du père qui lui offre la liberté et son rival le plus mortel). Cela a un prix politique : la lutte politique des parents est comprise par les fils (et cette compréhension expose déjà à la méfiance politique, la peur qu'on les suive les tenaille), mais sans qu'ils ne puissent la prolonger directement. En termes un peu marxiste, on peut affirmer qu'il s'agit dans le film d'une critique politique qui produit, au lieu d'une opposition directe et visible au régime, une compréhension d'une classe par soi-même. Cette compréhension est le substitut de la lutte politique, elle représente une forme d'échec, voire une forme de deuil d'un rapport direct au monde et à la société. Malgré l'humour plus marqué, le film est plus sombre que Ten de Kiarostami ou les Panahi où le regard-caméra circule dans la ville, est exposé aux rencontres et est lui-même regardé. Ici personne ne regarde la famille à part le spectateur, les villageois, dont on parle assez durement, sont perçus par la fonction d'aide qu'ils remplissent et le savent. Cela prolonge un peu la dernier Farhadi, l'Iran comme théocratie où les rapports deviennent de plus en plus contractuels et transactionnels (la peine de mort rachetable, mais dans un régime de rareté et d'inflation), tant entre le peuple et le pouvoir qu'au sein du peuple qui ruse dans le dos du pouvoir. Le fait de fuir dans une certaine dissidence implique le même rapport d'échange économique que le fait de demeurer au sein de la société. Même le passeur dont le visage est comiquement caché par une peau de mouton se comporte en commerçant : il vend l'extérieur et l'altérité sans en jouir lui-même (c'est cette privation de jouissance qui le rattache au peuple et à l'assujettissement, c'est aussi la preuve de sa bonne foi)
Le film est donc dense, stimulant et formellement très fort. Je dois dire aussi que je me suis reconnu dans le rapport père-fils en crise et en même temps en dette, franc et inconfortable. Il souffre néanmoins d'être piégé dans un certain vouloir-dire (le passage dur 2001 de Kubrick qui programme le plan final, ou le cycliste qui énonce fièrement et coquettement la morale politique du film entier comme s'il s'agissait d'un gag (réussi): la limite et la contradiction interne de la surveillance et de la coercition, c'est qu'elles finissent par induire une culpabilité qui est la même que celle de l'inconscient et des fantasmes mal refoulés, elles ressemblent alors à la part inavouable de la liberté, on s'y reconnaît sans y croire) mais cette maladresse constitue malgré tout le charme d'un bon premier film, qui travaille à la fois le présent et la mémoire (où l'image parvient à assumer l'échec de leur réconciliation), une lucidité poseuse et un peu cynique lorsqu'elle s'adresse à sa propre génération mais généreuse et plus mélancolique dans le regard qu'elle porte sur le passé et le père.

Par ailleurs, il est maladroit de faire de la pata-anthroplogie en survol à partir d'un film, mais sa singularité me paraît aussi reposer dans la mise en scène plus directe que chez son père et Kiarostami d'un imaginaire païen, pré-islamique. La famille ressemble à quatre demi-dieu à la dérive, râleurs mais accessibles, éternels mais impuissant, ambivalence que le fils leur reproche. La gamin invoque aussi Batman comme un demi-dieu céleste. C'est encore plus explicite dans le texte, magnifique mais kitsch, des chansons variété de la fin. Et le commentaire que fait la mère de 2001 autour de la tension qu'elle remarque finement entre monothéisme et panthéisme chez Kubrick, où la guerre apparaît comme une étape préfigurant le mythe et le monothéisme religieux : ce qui explique cesse d'être lui-même expliqué.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 11 Mai 2022, 08:52, édité 6 fois.

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MessagePosté: 09 Mai 2022, 21:03 
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Lu un tweet l'autre jour par hasard d'un américain qui se présentait comme un "amoureux de longue date du cinéma iranien" et qui disait qu'on pouvait s'en passer comme les films d'autres fils de et il citait Alexei German Jr. Mon cerveau faible s'est laissé séduire par cette affirmation sans l'ombre d'un argument. Je trouve intriguant, toujours, cette manière dont les iraniens semblent louvoyer avec les contraintes existants dans leur pays. Le petit-fils d'Ebrahim Golestan, star national, exilé de longue date et qui a fait un peu parler de lui récemment à cause d'un film où il dialogue avec Godard, tourne en Iran des films dans l'ère du temps par exemple et avec une marge de manoeuvre qui doit être somme toute appréciable. Ces gens-là en fait sont les porte-paroles d'une minorité emprisonnée et frustrée, et le fait qu'ils ne soient que quelques-uns les parent d'une aura qui fait rêver le moindre ou la moindre étudiant.e désireux.se de s'exiler. C'est très intéressant. Quand on lit la première phrase de l'interview de Panahi dans le NYT, il est intéressant que le dilemme par rapport au fait de rester en Iran est pas le même pour quelqu'un qui veut le quitter absolument et quelqu'un d'autre qui possède une marge de manoeuvre. Et je ne dis pas ça forcément de manière négative - c'est le paradoxe qui est intéressant et insoluble.

Citation:
Like the young man in “Hit the Road,” have you considered leaving Iran?

This is the general situation of all Iranians, and especially Iranian youth. We are stuck in complete despair. No matter how hard you try to be positive and go on fighting, we feel completely trapped. The only possible option is this dream, sometimes reality, of fleeing. Many of my friends have come to this conclusion. I have considered it, of course. The problem is that since cinema is my passion and only way of expression, I cannot make films elsewhere. I can only make films about people that I know intimately, people whose relationships I know.


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MessagePosté: 09 Mai 2022, 21:15 
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Oui y a une marge de manœuvre, des dialogues étonnants sur la religion, on peut penser qu'elle correspond malgré tout à un cycle.
En Iran comme dans les films du glacis soviétique, plus le pouvoir était verrouillé plus le thème du film dans le film (qui faut exprès de rater l'exposé de son propos pour devenir la métaphore du pouvoir) est notable. Les périodes d'ouvertures vont de pair avec des films peut-être plus conventionnels, travaillant par la fiction la mémoire du passé récent. Ici le film est dans un entre-deux assez net

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MessagePosté: 12 Mar 2023, 22:38 
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Inscription: 30 Mar 2012, 13:20
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Très beau film avec des plans, cadrages, photos magnifiques. Certes lent et parfois verbeux, on apprécie de découvrir un Iran différent de d'habitude. Le gamin hyperactif est énervant mais bluffant. Beaucoup aimé aussi la musique qui offre un beau final.
Belle réussite pour un premier film.


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