1- Va et vient (J. C. Monteiro)
Ce film est monumental. Un accomplissement au cinéma. La vie regardée par un vieux personnage, parallèlement au cinéma regardé par un vieux cinéaste. Ca vous donne un film sur la vision accomplie d’un artiste qui a passé sa vie à réfléchir son art. Là, tous les moyens y passent pour déformer, ou plutôt pour reformer le regard, pour poser le perçu à son stade simplement esthétique, pour rester en deça de toute pensée de l’objet, pour voir le monde. Monteiro nous repose, comme les plus grands plasticiens, dans la situation Bergsonnienne de montrer quelque chose en détachant son regard de la faculté d’agir. Il nous fait VOIR la vie, comme un plasticien. Mais il nous fait voir la vie en nous montrant le vivant, en se montrant la vivant. Grande œuvre pleine de vie qui parvient à faire ce que le cinéma peut faire de mieux, et est seul à pouvoir faire, c'est-à-dire à ajouter le mouvement au regard, opérer un déplacement du regard constitué vers le regard artistique.
La vie et le cinéma racontée par quelqu’un qui a su mieux que quiconque porter son regard dessus.
Il y a tout, le regard, le style, le discours, le ton, le sentiment, l’affect, l’émotion. Ici, on arrive à ressentir le ton des grands artistes à l’orée de la mort, où la douceur se fait puissante. Un ouvrage rare. Peut-être un des plus grands films de l’histoire du cinéma.
2- Gozu (Miike T.).
Comment parler d’un tel film ? Il y a des films sur lesquels on ne peut plus rien dire. Tout va au-delà du discours, et montre beaucoup au-delà des mots. Donc ce film constitue déjà du grand cinéma en ce qu’il montre ce que lui seul et aucun autre art ne peut montrer.
A partir d’une situation éclatée et incohérente, Miike réalise un film affirmatif et déroutant, dont on ne retient qu’une chose en plus de la multiplication de délires à la limite du flippant : la découverte, la réalisation et l’accomplissement, de soi dans l’affirmation de la crise (crise de folie, disparition. Un film qui, guidé par son sens discret de l’onirisme, traverse inquiétudes et absurde flippé pour parvenir à une éthique. Une bombe d’inventivité illustrant de l’inexplicable.
Un grand film de post-horreur.
3- Boulevard de la mort (Q. Tarantino)
Construit comme un orgasme, un film, long et travaillé qui arrive magnifiquement à son but. Le film jouissif qui arrive à replacer le spectateur, les
personnages, et le perçu lui-même sur un même plan d’immanence, qui arrive à remettre notre regard à sa place… en un seul plan. Un film qui réalise ainsi le travail d’un cinéaste, et d’un artiste, parce qu’il repositionne le regard et change les catégories du spectateur. L’art transforme, nous transcende pour nous incarner nous-mêmes dans le perçu. Quand on regarde un film, on est toujours autre chose qu’un spectateur, ou un personnage, ou une extériorité. On est une situation. Tarantino nous fait prendre conscience de cette position ici, par un double mouvement effectué en un seul plan (ou une seule coupe).
Et ce plan, toute la situation l’amenait, deux heures de demie de film. Peut-être même ce film n’existe-t-il réellement qu’à partir du moment où le mot FIN s’inscrit. Donc ce film est une expérience qui transforme le spectateur.
Un film coup de pied dans la gueule.
4- Mulholland Drive (D. Lynch).
Grand moment de cinéma que ce film qui enchaîne plans sublimes et construction singulière, pour nous montrer quelque chose comme seul le cinéma peut nous le montrer. Ici, pas besoin de chercher un ordre, autrement que la manière dont se donne les choses, pas besoin de se mettre en quête d’un ordre, voilà ce que le film semble nous dire. Si Lynch lui-même semble souscrire à l’interprétation de son histoire comme racontant un rêve, il n’atteint pas son génie qui consiste à repousser le passage à un ordre extérieur au perçu. Ce film, c’est l’histoire de deux réalités interchangeables lorsque l’on tourne une clef dans un boite bleue ; de vies faites de morceaux qui ne collent pas, pour élargir selon le propos de Léaud dans les deux anglaises et le continent de Truffaut.
Rien de plus. Et jamais le cinéma n’aura si bien montré le perçu tel qu’il est, avant de le reconstituer par une logique artificielle. Ce film, c’est une réalité telle qu’elle est posée, là, devant nous, et c’est en cela qu’il constitue une œuvre d’art.
Donc une construction signifiante pour montrer ce que le cinéma peut lui-seul monter, ce qui est permis par des plans magnifiants. Le cinéma fait donc ici ce que lui-seul peut faire, et Lynch arrive au sommet de son art.
5- Redacted (B. De Palma)
Quand un cinéaste de renom sort sa camera pour sortir un brûlot sur une injustice de son époque en essayant de retourner contre lui-même le mode de représentation courant de son temps, cela donne un grand geste de cinéma qui repense son art en posant une éthique. Un grand moment de vérité et de réflexion qui impose son propos avec froideur et analyse tout en restant guidé par un affect puissant. Un film bouleversant et une date dans l’histoire du cinéma.
6-Inglorious Basterd (Q. Tarantino).
Comme d’habitude, Tarantino arrive à faire du grand avec du mineur, en reprenant de bons vieux codes, et pour arriver à la jouissance habituelle. La construction est parfaite, en mode mineur, et le film joue à merveille avec l’histoire, le cinéma et l’histoire de ce dernier pour nous faire un film d’Hitlerxploitation original, intelligent, qui joue à merveille avec les parallèles entre nazis et résistants "inglorieux" et ultra-violents pour mieux les démonter et construire une éthique. Un film qui arrive à saisir le sens de la violence, on sent que Tarantino a évolué au fur et à mesure de son contact avec Miike, parce que ça tient vraiment de ce que ce dernier essaie de mettre en place au moins depuis Ichi.
L’interprétation est à la hauteur, en mode mineur, aussi, et permet de construire le sérieux en filigrane, sur le mode cool. Les musiques rendent la même chose, avec les Bowie, notamment, pour finir sur l’excellent thème de Morricone pour Allonsenfan, thème qui prend même une ampleur qu’il n’avait pas dans le film des Taviani.
Jouissif, éthique, émancipateur, toujours aussi bon techniquement et aussi bien construit, « Ca pourrait être mon chef-d’œuvre », disait Aldo Raine. Malheureusement dépassé par boulevard de la mort, ce n’est que l’un des 10 meilleurs films de la décennie. Un film qui consacre donc Tarantino comme premier cinéaste à être nommé deux fois dans ce top.
7- Mystic River (C. Eastwood).
Eastwood se livre encore une fois à son thème de prédiclection, qu’il n’a céssé de réinterroger depuis les Harry, et livre cette fois son histoire la plus émouvante en sus de l’analytique profonde. Le regard de plus en plus lucide, l’auteur a fait murir son regard, déplacé les problèmes. Avec une réalisation la plus juste possible, il arrive ainsi à concilier son film le plus touchant possible sur le sujet sans tomber dans le populisme, bien au contraire.
Le point de vue choisi, présent depuis jugé coupable, le permet sans doute plus que d’autres de ses films, et l’échange se révélera de ce point de vue plus dûr.
Mais ce qui permet à ce film et cet axe de se tenir, c’est la finesse de son illustration du relationnel, relevée encore par une interprétation époustouflante. Grâce à tout cela et à la justesse narrative et rythmique, chacun des éléments prend une dimension nouvelle et l’ensemble devient bouleversant.
8- Jellyfish (Kurosawa K.).
Film social utopique qui arrive à tenir son propos en se préservant de toute didactique. Ici, Kurosawa (pas le même que celui des sept samuraï) tire parti de son style qui saviat faire mouche dans l’horreur pour inverser le cauchemar en rêve, mais en le gardant dans un climat successivement poisseux, vide ou des affecté. Son symbolisme sans signifié ou indeterminé devient un instrument très efficace pour montrer comment porter l’espoir d’un changement social, pour porter la révolte douce et joyeuse.
Il est intéressant de noter comment le même Kuro arrivera dans Tokyo Sonata, son autre film non horrifique de cette décennie à utiliser les mêmes codes de ses films d’horreur pour leur faire jouer un rôle totalement inverse et montrer l’horreur sociale. Dommage que la fin de ce Tokyo Sonata ne soit pas à la hauteur de la première heure, et que du coup, je ne puisse en parler dans ce classement, car la première heure de ce film devait sans doute le placer en deuxième position de ce top. Le film parfait serait peut-être la première heure de Tokyo Sonata qui se finirait comme celui-ci.
Pour en revenir à Jellyfish, nous sommes donc en présence d’un film techniquement maîtrisé, ne faisant jamais un pas de trop dans le traitement, pour arriver à montrer une éthique dans la description très touchante d’un désœuvrement japonais ; le tout soutenu par une symbolique très juste et très complexe, une esthétique soignée et une douceur porteuse. Asano, Odagiri, et Tatsuya Fuji (celui de l’empire des sens) sont parfaits.
Un film brillant (référence à peine masquée).
9- The taste of tea (Ishii K.)
Un chef d’œuvre d’énergie poétique. Le scénario déconstruit et l’évitement de toute sur-signification ajoutent à la magie de l’ensemble. Tout est exactement décollé, et allègrement décalé. Une liberté de ton pou un humour qui s’avere poétique alors qu’il va chercher dans le plus gras ou le plus ridicule. On pourrait touver simplement divertissant un tel ensemble mais au sein même de cet hymne à l’exhubérance se manifeste aussi une sensibilité,
Le c^té jubilatoire de l’ouvrage est un hymne à la vie, et sa tendance croissante.
Un film qui veut s’amuser, mais en devient discrètement très intelligent. Sans en prendre conscience et en prenant toujours la peine d’en rire.
10-Battle Royale (Fukasaku K.).
Le système capitaliste en une heure et demie. Jamais la critique systémique n’a été si juste et si exhaustive, en se portant à son fondement. Vous pouvez vivre, vous serez même nourrie par le système. Vous y vivrez même bien. Mais pour cela, il faudra tuer vos amis. Tout le monde peut s’en sortir, et l’égalité des chances n’est altérée que par le tirage au sort. Mais si cela peut-être n’importe qui, il ne peut y en avoir qu’un. Le capitalisme, et ses concepts cache-sein tels que l'égalité des chances, pris au pied de la lettre, prend son incarrnation dans la gueule.
Ca, c’est donc pour l’histoire, et Koshun Takami, l’auteur du livre original, pourrait s’enorgueillir de cette partie de la critique.
Mais l’adaptation elle-même arrive à en dégager le meilleur. En jouant plus sur les sentiments que sur le slasher, Fukasaku arrive à incarner son drame plus que le film d’action, à rendre plus féroce le combat de valeur qui se joue à l’adolescence, pour rendre le drame plus poignant, et le combat plus douloureux. C’est pour cela qu’on a pu dire par une vue un peu courte, que Battle Royale était une satyre du système scolaire japonais. Parce que c’est cet âge avec ses valeurs et sa naïveté qui étaient mis en valeur. Mais tout cela permettait ne mettait que d’autant mieux en place ce combat de valeur, pour finir à la manière d’un Capra de La vie est belle, en version trash.
Quant au slasher, où à l’action, tout cela est savamment distillé, toujours avec le style nerveux de Fukasaku, mais porté par la nervosité qui incarné des adolescents (de la même manière que la nervosité de la réalisation dans le cimetière de la morale mettait en exergue la folie du personnage).
Film poignant donc et belle illustration de tous les aspects de la lutte, ou de l'abandon.
Sinon, voulais balancer un top 20
Donc ajoutons : Nobody Knows (Kore-Eda H.)
Saraband (Bergman)
Retribution (Kurosawa)
Elephant (G v Sant)
La chambre du fils (Moretti)
Parle avec elle (Almodovar)
L’échange (Eastwood)
A la verticale de l’été (A. H.Trahn)
A history of violence (Cronenberg)
Tony Takitani (Ichikawa K.)
Derrière, je suis obligé de laisser de côté des films come Steak, Izo, Land of the Dead, Ghosts of mars, l'histoire du chameau qui pleure, The Road to Guantanamo, No country for Old Men, District 9, Tigre et Dragon, De l'eau tiède sous un pont rouge, Nos meilleures années, les revenants, Diary of the dead, Goodbye Lenin (sans ordre particulier)