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MessagePosté: 31 Jan 2019, 12:07 
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Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s'aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu'ils s'apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d'une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l'aide de sa famille, Tish s'engage dans un combat acharné pour prouver l'innocence de Fonny et le faire libérer…

Décidément Barry Jenkins ne m'intéresse guère après déjà un Moonlight que je trouvais largement surestimé malgré évidemment de belles choses. Ici c'est presque pire. En fait j'ai le sentiment que ce film aurait dû arriver avant Moonlight tellement je trouve ce dernier plus mûr, plus affirmé, plus personnel et que ce Beale Street ressemble à une œuvre de jeunesse lisse et maladroite.

Pour moi tout l'échec du film s'incarne dans un paradoxe rédhibitoire qui le condamne à n'être qu'une œuvre chromo totalement anecdotique. La carton introductif te parle de la "rue" où est née le Jazz et Louis Armstrong. Il te parle aussi d'une rue bruyante et chaotique où sont nés tous les noirs américains. Plus tard, Barry Jenkins introduira des photos (très belles d'ailleurs) de Harlem dans les années 70 où règnent la misère et le désœuvrement. Sauf que la fiction de Jenkins rentre totalement en contradiction avec ça. Ses personnages sont filmés comme des bourgeois (il faut voir la belle-mère arriver à Porto Rico au ralenti avec grosses lunettes noires) dans un dispositif affreusement théâtral qui ôte de fait toute espèce d'authenticité à cet univers de Harlem dans les années 70. Je veux dire le film ne prends même pas en charge le côté urbain, la cartographie du territoire et des communautés qui l'habitent. Tout le film ou presque est en intérieur et les scènes extérieures ne respirent aucune vie, il n'y pulse rien, rien n'existe vraiment, on serait bien incapable de décrire le Harlem du film tellement il n'est tout simplement pas filmé. C'est assez dingue je trouve d'être autant en contradiction avec le titre même du film. Je le comparais avec un film récent bien moins apprécié par la critique et que pourtant je trouve supérieur, Brooklyn de John Crowley qui racontait un peu la même chose (jeune irlandaise vendeuse dans un grand magasin et son histoire d'amour contrariée avec un immigrée italien) et là, la ville existait, avait un vrai rôle à jouer.

Tout ça n'est pas aidé par l'artificialité à peu près total de tout le film qui commence par une scène absolument atroce, où les comédiens semblent très mal dirigée, celle de l'annonce de la grossesse avec les beaux parents. Les dialogues sont très littéraires, l'approche très théâtral mais on n'y croit pas une seconde, c'est étrange c'est comme si soudain le film voulait presque investir le mythologique avec cette mère mystique et les deux soeurs harpies. J'ai trouvé cette scène totalement ratée, le ton n'y est pas, ça marche pas on reste totalement extérieur. Si ça s'arrange par la suite et que les moments plus intimes entre les deux amoureux sont beaucoup plus réussis, il reste que le film semble toujours fabriqué. A l'image des vêtements des personnages. C'est dingue à quel point ça m'a dérangé. Dans ce film les fringues semblent toutes neuves, bien repassées, parfaitement taillées on a l'impression que les personnages portent quasiment du sur mesure. Encore une fois ça ne colle pas du tout avec ce que Jenkins prétend vouloir raconter. Les pistes sont totalement brouillées, les personnages encore une fois sont un peu filmés comme des bourgeois dont l'ancrage dans leur environnement, dans leur milieu social, n'est pas défini.

C'est comme ce scénario un peu moyen qui, de loin, ne rend pas vraiment hommage au roman de Baldwin (qu'il ne m'a pas donné envie de lire). Je n'ai par exemple pas compris pourquoi c'est si important pour les deux amoureux de trouver un appart puisqu'ils en ont déjà un (et surtout en quoi aller loger dans un hangar sans mur serait mieux que leur appart actuel). Pareil pour cette enquête presque inutile, on comprend l'injustice mais finalement toute cette partie avec l'avocat à Porto Rico etc... semble inutile.

En fait j'ai vraiment le sentiment que Barry Jenkins manque totalement de maturité et qu'il est piégé dans un posture très adolescente où dans le même mouvement il voudrait rendre hommage à ses référents de cinéma dont le plus évident est clairement WKW dont il propose un peu une version light mais aussi faire un film important sur la condition noire. Seulement il n'a pas les épaules pour ça et si il est capable de faire de jolies images il a beaucoup de mal à incarner profondément son propos. Je dirais même que c'est un metteur en scène presque médiocre tant je vois les coutures, tant il est grossier. La preuve avec ces deux scènes réalisées avec des sabots à base de gros plans inquiétants et de musique sombre, dans la première un ami du personnage principal raconte son expérience traumatisante en prison, dans la seconde un policier raciste abuse de son pouvoir. Le flic évidemment avec une gueule pas possible d'enculé. Tout est un peu exagéré comme ça, inutilement et le plus regrettable et que dans cette exagération il a bien du mal à créer un vrai souffle romantique. Je pensais à Shéhérazade pendant la projo (juste parce qu'il y a une scène en prison) et c'est dingue à quel point un petit réal français avec ses moyens naturalistes parvient à me bouleverser là où un Jenkins avec sa photo léchée et ses personnages de papier glacé me laisse totalement froid.

Bref le film est pas détestable, loin de là, je pense que Jenkins est très sincère dans son ambition mais je doute sincèrement de son talent profond. Il y a quelques scènes où il se passe brièvement un truc (la visite du hangar, un trajet en métro) mais l'ensemble me semble finalement anecdotique comme s'il n'était jamais parvenu à prendre de la hauteur, à donner toute l'ampleur tragique et métonymique de son récit (car oui il ambitionne aussi de parler de tous les noirs d'Amérique). Le résultat est un film ripoliné, presque publicitaire, totalement lisse dont on cherche le coeur et l'âme sans les trouver.

2/6

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