For the record, ma fiche de lecture que j'avais fait pour Inoxy Films en 2017, moyennant 8h d'intermittence.
Ma fiche n’est pas totalement objective car :
1. Je vous connais
2. Je connaissais déjà le pitch donc je n’ai pas dû me concentrer comme d’autres pour lire le scénario.
Globalement je trouve le script fun, bien rythmé, très enlevé et vivant, avec une belle promesse de spectaculaire et surtout de l’action inventive et ludique. Mais je reste circonspect par rapport à l’univers policier beaucoup trop convenu et surtout des dialogues qui ne sont que fonctionnels et regorgent de poncifs.
Mais mieux vaut détailler ces impressions point par point :
DE L’ACTION LUDIQUECe qu’on retient avant tout du projet, c’est l’action. Elle est généreuse, touffue, inventive. On apprécie à la fois les courses de bagnoles mais aussi les fights, notamment lorsqu’ils dévient dans l’inattendu (le pistolet à clous) ou dans le comique (la bagarre hors-champ à la Popeye, Lino qui s’éclate contre la fenêtre, etc.).
Il y a de l’inventivité dans des moments comme celui où Lino cherche à faire péter l’anneau sur la table, sous le regard incrédule des flics. L’écriture n’a pas peur d’étirer le moment pour bien nous le faire vivre et c’est le genre de moment qui nous marque. Idem juste après avec la bagarre avec le bouclier.
L’univers un poil uchronique qui voit une brigade sétoise avoir son propre hangar dédié à ses interceptors surboostées donne au film un côté légèrement décalé, comme un pas de côté par rapport au réel, un peu comme la brigade déjantée d’
Antigang. C’est rafraîchissant et ça change, on ne s’attend pas à voir ça dans un polar français d’ordinaire réaliste.
Pour ce qui est de l’écriture de l’action, par contre, elle pourrait être allégée. Guillaume a une plume vivante et cool, mais il a encore de la marge pour raccourcir, simplifier, sauter des lignes. Trop de phrases sont construites en mode sujet/verbe/complément, or, dans une scène d’action, on peut se permettre un style plus télégraphique. Il y a trop de moments où il utilise des connecteurs logiques scripturaux qui rendent le paragraphe trop littéraire par rapport à son impact à l’image.
De plus, le lecteur se prend au bout d’un moment à survoler les scènes d’action. Lors de la poursuite fatidique à la fin, aussi cool soit-elle, on commence à en avoir un peu marre de devoir se concentrer et on aimerait ressentir davantage le sens et le sel de la scène que d’en lire la description de chaque détail.
Mais bon, dans l’ensemble ça reste très vivant et la promesse d’action est plus que tenue.
UN PERSONNAGE PRINCIPAL ATTACHANTEt on s’investit dans l’action notamment parce que l’identification au personnage de Lino fonctionne bien. On a de la sympathie pour lui car c’est un criminel inventif, et surtout on sent que c’est pas un violent. Il a un nom un peu rigolo qui casse l’image de connard, et il a des bonnes réactions humaines et des bonnes vannes. Et puis un innocent accusé à tort, ça marche à tous les coups…
Le personnage de Charas est convenu mais cool, il a l’air solide et attachant. Julia Lipinski fait un peu « la meuf de service », on ne retient rien d’elle, hormis que c’est une femme de tête. Concernant Areski et Marco, il y a un arc que vous essayez de développer par rapport à leur relation, mais il n’est pas vraiment clair («
Il a créé un monstre »… merci de me l’avoir dit, sinon j’aurais pas compris). Sinon c’est bien que Moss soit une femme, même si on est dans le personnage-cliché de la commissaire qui fait chier la brigade. Enfin, je trouve les méchants vraiment très, très basiques. Je ne retiens rien d’eux.
UN UNIVERS TROP RICHE EN PONCIFSPour en revenir à l’univers du film, malgré la fraîcheur du concept de cette unité spéciale, il faut bien reconnaître que le scénario baigne dans un univers de film policier qu’on a l’impression d’avoir vu mille fois. J’ai lu le script avec bienveillance parce que je vous connais et que je sais que vous allez faire un truc qui déchire, mais si j’avais lu sans vous connaître, ma fiche aurait été très sévère sur ce point-là.
En effet, que ce soit dans l’univers méridional (j’y reviendrai) et surtout dans les interactions des protagonistes, on nage dans le déjà-vu. Les personnages sont tous soit des arabes (Nacer, Kad, Areski), soit des italiens (Lino, Marco), soit des gaulois bourrins (Charas). Une galerie de mecs sévères, où même les meufs sont des bonhommes. Ça s’invective, ça parle de manière sèche, on est dans l’efficacité.
C’est vraiment très stéréotypé et c’est sincèrement dommage. Il n’y a pas assez de texture, de surprise. On aimerait que quelqu’un ait un prénom un peu inattendu, un background inhabituel, un tic ou une habitude qui casse les codes du polar. Ici, tout le monde est à fond dans son rôle, très attendu.
DES DIALOGUES TROP FONCTIONNELSEt tout le monde s’échange des dialogues terriblement fonctionnels. En l’état, c’est vraiment LE point noir du script. Les textes des personnages sont beaucoup trop clichés. On sent de l’efficacité, mais c’est de l’efficacité qui vient du « testé et approuvé ». Tout est télégraphique, cash, tout est dans la punchline.
Là encore c’est dommage. On sent une volonté de faire un polar à la cool, mais rien dans les dialogues n’est relax, original, rien n’apporte un vent d’air frais. Guillaume va au plus simple, à ce qui marche. C’est con parce que les vannes sont marrantes, mais c’est tous les autres dialogues de flics qui sont trop cash.
LE DECOR SETOISJe pense qu’il y a peut-être quelque chose à faire avec la couleur locale du film. Car quitte à placer son film à Sète (un lecteur qui ne vous connaît pas se demandera sans doute : Mais pourquoi ??), autant exploiter un minimum un parlé local, un accent, un truc sétois. Je ne suggère pas de faire du Guédiguian, hein, mais juste ancrer le film avec quelque chose de particulier chez un des personnages, un truc qu’on trouverait ou ne dirait que là et nulle part ailleurs. Ça rendrait le film moins interchangeable.
Du point de vue du lecteur, si on est au début assez désarçonné lorsqu’on comprend qu’on est à Sète (on s’attend à être à Marseille, Toulon, Montpellier…), on constate néanmoins que l’ambiance est bien rendue. On sent bien ce côté caniculaire, un peu désert, ces zones industrielles qui jouxtent des champs arides, cette ambiance de goudron chaud… C’est cool et ça le fait. Donc autant assumer la ville à fond et s’en servir pour donner un peu de texture à l’ensemble.
L’ENJEU CENTRAL : LA BMWEnfin, je finirais en disant quelques mots sur l’enjeu principal : la voiture. Je connaissais déjà le pitch donc je savais bien que la voiture (et la balle à l’intérieur) allait être essentiel à l’intrigue. Cependant, je pense que si je n’avais eu cette info, j’aurais eu un peu de mal à recoller tous les morceaux.
Le film est simple, pourtant, mais je ne suis pas sûr à 100% que tout ce qui a trait à la voiture soit parfaitement clair. Mais il vaut mieux solliciter l’avis de quelqu’un d’autre à ce sujet.
A titre informatif, quand je repense au film, voilà comment il se reconstitue dans ma tête :
Voilà globalement les beats tels que je les ai retenu à la lecture.
CONCLUSIONBref, je suis quand même séduit par le script. Il est efficace et extrêmement sec et vivant. On sent la volonté d’un film ludique et fun, mais cette volonté est diluée dans un univers marchalien qu’il faudrait rendre plus naturel et idiosyncratique.
Hésitez pas si vous avez des questions, et sinon on peut se capter cette semaine pour que je vous file ma copie annotée page par page.