Pour moi, c'est un ratage tout à fait passionnant.
je m'explique: d'abord, un détail mais qui m'a fait réfléchir, donc je partage, si ça vous intéresse pas, z'avez qu'à zapper. Les deux cartons d'ouverture sont en soi, je trouve, assez surprenants. Je ne sais plus quel est l'ordre, mais en gros, l'un prévient : "Attention! La vraie fin de L'avocat de la terreur se trouve à la fin du générique", l'autre: "Ce documentaire reflète le point de vue de l'auteur sur la personne de Vergès et ne doit pas être pris pour argent comptant" (je cite grave de mémoire, mais le sens y est). Je trouve que ces deux cartons révèlent assez bien les mauvaises habitudes de visionnage en salles. Le cinéphile n'en a pas besoin, qui déteste la forêt de têtes qui se lèvent dans le noir lors du générique final, et sait pertinemment qu'un documentaire reflète un point de vue singulier et ne doit pas être pris comme "décalque du réel". Du coup, cet avertissement m'a vraiment saisi, je le trouve en soi très intéressant: la foi en l'image est telle qu'il faut désormais prévenir. Quant à l'avertissement sur le générique, je le trouve d'autant plus savoureux qu'il est mensonger (la vraie fin se trouve en réalité au milieu du générique, mais comme tout le monde suppose du coup qu'il y aura encore un ajout post-2è partie du générique, toute la salle reste assise jusqu'au bout bien sagement, puisqu'on le lui a ordonné) et qqpart donne plus de force et de pertinence encore à l'autre carton.
Voilà, pour ce point.
Pour le reste, je suis vraiment embêté. J'ai l'impression qu'on est passé à côté d'un grand film. Alors je sais, c'est une critique qui peut agacer, qui peut paraître ultra-prétentieuse, parce qu'après tout, "eh, couillon, t'as qu'à le faire, toi, ce grand film...". Oui, bon, si on veut, mais une fois qu'on a dit ça, on n'a rien dit.
Alors j'explique: pour moi, Schroeder a tout le matos qu'il faut pour faire un film immense. Et d'abord, un premier rôle en béton armé, un personnage de cinéma incroyable, charismatique, cabot, qui sait faire pleurer quand il faut, faire rire quand il faut, à trogne, avec une diction bien à lui, et même des accessoires (le barreau de chaise, bien sûr). Vergès, la bande-annonce ne s'y est pas trompée, avait tout pour électriser à lui seul l'écran, hypnotiser, retourner le cerveau. Et bizarrement, Vergès manque à l'écran.
La première partie passe à mon sens plutôt bien. Bon, il y a déjà les gros défauts formels (un montage bizarre, à la fois trop ping-pongesque et trop mou, paradoxalement...) et notamment ce son, qui pour moi est l'erreur majeure du film (mais j'y reviendrai). On a une impression de mise en place des morceaux du puzzle, qui prend p-ê déjà un peu trop son temps, se disperse peut-être déjà un peu trop en interlocuteurs, mais on se dit que qqch se met en place.
Et puis ça s'éternise. Si, comme moi, on n'est absolument pas familier avec ce pan de l'Histoire (et je pense aussi que ça participe de ma frustration face à ce film), on commence à s'apercevoir que pas mal de choses sont floues, confuses. Et le film ne fait pas grand chose pour aider à clarifier. A tous les niveaux : d'un point de vue général (éventail trop large et trop sommairement balayé des points de vue, mauvaise hiérarchisation des informations...) aussi bien qu'au niveau des petits détails (cette satanée habitude, chopée d'après moi à la TV, de laisser s'écouler un long moment afin d'identifier nommément les différents interlocuteurs... du coup, un type commence une phrase, son nom apparaît, on lit ce nom, puis sa fonction, on a un peu perdu la phrase, on essaie de raccrocher les wagons... et on y parvient, souvent, bien sûr, mais c'est agaçant, et puis progressivement, il y a aussi, je trouve un phénomène d'anticipation... çàd, tiens, lui, je connais pas sa gueule, combien de temps avant que son nom apparaisse?...).
Un basculement s'opère ensuite lors de la disparition de Vergès, de 70 à 78. Logiquement, cette disparition historique s'accompagne d'une disparition écranique. Vergès ne veut rien dire, donc on va voir un peu ce que d'autres soupçonnent qu'il s'est tramé. Avec cette affirmation chiffrée (d'une précision assez surréaliste, d'ailleurs) "77% des proches de Vergès supposent qu'il est parti au Cambodge". Il me semble qu'à partir de là, le récit devient hyper-confus, ce qui est amusant en ce que c'est là aussi qu'on perd historiquement la trace de Vergès. Mais de cela, le film ne se sert pas. Au contraire.
Et c'est là que j'en viens au son: là encore, habitude ce me semble télévisuelle, L'Avocat de la terreur (je déteste ce titre... c'est assez amusant d'ailleurs, comme son espèce de sérieux cérémonieux se retrouve face à l'ironie patronymique d'un Boulevard de la mort par le hasard des sorties) est truffé de musiques (et bruitages... faut entendre le bruit des explosions, c'est n'importe quoi, on se croirait chez Bay) d'ambiance assez insupportables, qui ne font que détourner l'attention. Le film, du coup, prend un ton grave et solennel, aussi ridicule qu'anxiogène, façon "z'allez voir la révélation qu'on va vous mettre dans les dents". Du coup, on attend la révélation, et rien ne se passe. En gros, on nous dit voilà où Vergès n'était pas, et c'est tout. Mais attention, restez en éveil, il peut arriver n'importe quoi... On se croirait dans Abandonnée de Nacho Cerda...
D'autant que le plus savoureux de ce passage, ce n'est pas du tout ce climat conspirateur vain, c'est Vergès narrant une anecdote grotesque et hilarante ("Alors la grosse! Ca boume?"). Oui mais voilà, à partir de là, le personnage Vergès est dans l'ombre et on ne va quasiment plus le voir.
Moi, ici, j'ai pas mal décroché, pour tout dire. La forme commençait vraiment à me rebuter (j'ai pas parlé des hideuses incrustations, ou encore du surmixage quasimétallique des voix, qui participe d'ailleurs de ce climat conspirateur, attention ce qu'on vous dit est d'une importance capitale) et j'étais tout à fait paumé dans la trame factuelle, qui s'embrouille plus que de raison (je trouve par exemple que le retour de Vergès en France est tout à fait confus... on aimerait savoir davantage des réactions officielles autour de son come-back, connaître la position officielle avancée par l'avocat, sa facilité ou non à revenir au barreau... là, c'est je trouve trop confusément expliqué... tout comme pour moi le procès Barbie est bien trop rapidement expédié).
Une fois encore, ici, je me suis donc accroché aux personnages. Vergès disparaît de l'écran? Très bien, trouvons un autre héros de cinéma. Deux se détachent spécifiquement, je trouve, Siné d'abord, qui semble sorti d'un Audiard, mais surtout le terroriste allemand repenti dont le nom, là tout de suite, m'échappe. C'est presque une erreur de le sous-titrer, lui! Son accent est magique, son visage est ultra-photogénique, sa façon de relater les faits est unique (la manière dont il qualifie Carlos, "il est pas normal ce mec", ou un truc comme ça, c'est hilarant).
Mais ceci étant, à part eux, je m'ennuie. J'attends qu'on en revienne à autre chose qu'un déroulé chronologique, qui, je suis sûr, serait pour moi plus intelligible dans un bouquin. À ce moment-là, d'ailleurs, j'ai repensé aux Lip, qui sur un dispositif similaire, avec sobriété et rigueur, atteignait un niveau de clarté exemplaire (malgré la multiplicité des intervenants et la complexité des faits).
Ce quelque chose ne survient hélas qu'à la toute fin, lors de la fameuse interruption du générique. Retour sur Vergès, et question de fond sur son métier, et non pas sur sa biographie. Ce que promettait la bande-annonce, en fait ("Je défendrais même Bush à condition qu'il plaide coupable") et qui n'est pas tenu par le film (qui tente de répondre in extremis, au chausse-pied, à cette attente, avec le défilé de photos, un peu grossier et bizarrement monté (fondus moches, rythme de défilement fluctuant), final).
Voilà. De mon point de vue, du coup, le film est très énervant, puisqu'à l'origine enthousiasmant mais en fait trop mal fichu pour conserver cet ethousiasme. Y'aurait sans doute d'autres choses encore à noter (un détail tout à fait anodin mais qui s'est ajouté à ce que je reproche déjà au film : lorsqu'on a le témoignage un peu beauf par téléphone de Carlos, qui dit "Vergès a tenté de la sauter", était-ce bien nécessaire de faire cligner de l'oeil sa photo?), mais c'est tout pour aujourd'hui.
Dernière édition par Zad le 11 Juin 2007, 13:54, édité 1 fois.
|