LOST GIRLS d'Alan Moore, chez Top Shelf.
Alan Moore est peut être la seule star en bande dessinée à mettre tout le monde d'accord, des fans de Marvel aux lecteurs de bd indé.
On pourrait croire que du coup il peut se permettre ce qu'il veut, il a quand même eu du mal à aller au bout de ce bouquin là, qui lui a valu dix ans de travail (avec sa compagne et dessinatrice Melinda Gebbie) et pas mal de problèmes éditoriaux.
Le resultat, c'est un énorme coffret de trois albums racontant la rencontre érotique et spirituelle entre Wendy de Peter Pan, Alice du Pays des Merveilles et Dorothy du Magicien d'Oz dans un hotel autrichien du début du XXeme siecle (à la veille de la 1ère guerre mondiale).
Chacune se lancera dans le récit de son aventure, qui se trouve être surtout sexuelle.
Moore est bien habitué à reprendre et détourner les figures populaires, littéraires (Ligue des Gentlemen Extraordinaires) ou autre (Swamp Thing).
C'est aussi un malade du système et de la construction savante. Le livre regorge de jeux de symetrie et d'échos narratifs dans une mise en scènes complexes qui voit chacune des trois narratrices aux voix bien distinctes se faire attribuer une mise en page spécifique, ainsi qu’un champ symbolique bien identifié.
La mise en page de Dorothy :
La mise en page de Wendy :
Et celle d'Alice :
Cette débauche de virtuosité dans la construction produit un système de récit assez lourd, qui se rappelle sans cesse au lecteur, qui frime un peu en quelque sorte. C'est pas forcemment nouveau chez Moore, la fin de Promethea par exemple était très ampoulée.
Dans Lost Girl, pourtant, ces effets de style sont plutôt généreux, tournés vers une éloge de l’imagination et de l’émancipation de la femme par le désir, où La pornographie y a valeur de pratique de la liberté (on abandonne vite l’idée d’être émoustillé par le récit).
Chaque chapitre y va de sa relecture du conte au niveau sexuel, psychologique et mythologique. Ca peut paraître laborieux mais quand le chapitre se termine par une pleine page réunissant en un même dessin toutes ces interprétations, c’est souvent fascinant. Et la fin du livre en forme de deuil de la fin de l’innocence me semble dépasser le simple effet de manche stylistique.
Bon et puis le sujet c'est le sexe et c'est très bien abordé, dans toutes ses dimensions (fantasmes, désirs, perversions, liberté dans l'imagination, frustration, violence, utopie...).
Et un petit mot sur le dessin. A chaque fois avec Moore ça me fait pareil. Un coup d'oeil rapide et je me dis que le dessin est laid (ça me l'a fait avec tous, sauf peut être son Batman mais c'est pas son plus réussit), et puis finalement je me rend compte que c'est exactement le dessin qu'il fallait pour ce récit là.
Voilà.
Une des rares pages où y'a pas de sexe (ah en fait si y'en a), de toute façon le livre se vendra tout seul :