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MessagePosté: 11 Juin 2010, 14:41 
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Tom a écrit:
Film Freak a écrit:
Précisons bien qu'on parle ici du ralenti de tournage et non du ralenti de post-prod, qui n'a pas du tout le même effet (et qui lui est souvent très mal utilisé, le pire étant quand tu sens que c'était pas réfléchi, que c'est un truc de monteur qui essaie de rattraper un truc).

Souvenir horrifié de la fin de La leçon de piano (mais pourquooooooooiiiiiii !!?!!???)
Cela dit, desfois, y a des cas où les ralentis de tournages seraient zarb (trop chiadés), et où le ralenti de montage amène un brutalité qui freine un peu le temps (je sais pas, par exemple, le ralenti dans Amelie Poulain sur elle qui enlève son masque, ce genre de truc).

Ah oui oui, l'effet provoqué par le ralenti de post-prod est tout autre...le ralenti de tournage est souvent synonyme d'emphase, c'est le réalisateur qui te demande d'entrer dans un truc, d'être en empathie avec le perso ou le mouvement, avec le moment du moins, quand il intervient en cours de plan c'est encore plus fort, c'est comme un vortex avec d'un coup le temps qui se dilaaaaaaaaate...

Tandis que le ralenti de post-prod a généralement pour effet de symboliser la rupture...cf. dans Munich, où, si je ne m'abuse, il intervient 3 fois, invariablement en fin de séquence, notamment à l'issue de l'attentat raté contre Ali Hassan Salameh, à la fin, quand ils tuent accidentellement un gamin. Ils se mettent à courir, et d'un coup ralenti de post-prod sur la gueule de Bana...un ralenti de tournage à ce moment-là n'aurait aucun sens...non seulement il serait trop "beau" mais surtout, il soulignerait avec emphase le moment alors qu'il s'agit du moment où le mec décide d'arrêter...

Z a écrit:
Dans Casino, Scorsese et Schoomaker font les deux. A la présentation de Sharon stone, lorsque De Niro lui fait les yeux doux avec la tite zik, c'est un ralenti fluide de tournage. Quand Pesci a terminé de savater le mec avec un stylo au bar, De Niro le regarde et c'est un ralenti saccadé, de post-prod.

Si les deux moments ont leur justification, je trouve effectivement le ralenti de post-prod toujours très laid.

Moi, tant qu'il est bien utilisé, ça me va. Comme dans l'exemple de Munich que je cite, et y en a d'autres (dans Gladiator aussi je crois, il y a un truc de rupture comme ça à un moment sur Commodus).

Le truc c'est qu'il y a des films où tu vois un ralenti de post-prod et tu SAIS que c'était pas prévu (je dis pas que ceux de Munich étaient storyboardés, peut-être même sans doute que Michael Kahn en a eu l'idée au montage), du moins tu devines que l'effet voulu est celui d'un ralenti de tournage mais qu'ils y avaient pas pensé sur le tournage et qu'ils essaient de rattraper le coup au montage.
Dans The A-Team, y en a un. Tu vois Neeson vénère, marcher de profil sous la pluie à un enterrement militaire...c'est un ralenti de post-prod mais l'effet voulu n'est pas la rupture, l'effet voulu est l'emphase, pour souligner le moment (basculement tragique au début du film, monté en parallèle avec un procès).
Et t'as souvent des exemples comme ça...et c'est franchement laid.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 16:24 
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C'est marrant, je me suis matté le dernier Daniel Lee hier (Ressurrection Of The Dragon, pas bon par ailleurs) et y'a beaucoup beaucoup de ralentis de post-prod qui propulsent l'action dans un univers sensationnel. J'trouve, comme pour l'exemple de Munich, que l'optique n'est pas de sublimer mais plutôt de crader (la saccade, mouvement anti-fluide du ralenti de la caméra) et de provoquer, déranger la sensation du spectateur (et chez Lee ou Woo et Hark il y a 20 ans déjà, c'est essentiellement utilisé autour de la violence, du sang et de la mort).
Du coup ça déréalise comme avec le ralenti, mais avec une impression dérangeante en plus qui me fait donc juste conclure sur le fait que les ralentis de Snyder et globalement la mode des ralentis-accélérés est une forme de provocation lisse que je n'apprécie pas du tout dans le ciné contemporain (et Lee utilise aussi ce procédé dans son film, comme pour se rapprocher de l'esthétique contemporaine).
J'ai écrit vite, désolé si c'est confus.


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MessagePosté: 11 Juin 2010, 16:45 
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Z a écrit:
Tom a écrit:
Oui enfin de toute façon, le but est pas tellement de délimiter pile : disons simplement que c'est une tendance plutôt neuve, après savoir à quand on doit la remonter exactement...


Quand je faisais mon mémoire sur Heat, je m'étais rendu compte que les rares ralentis du films, et de ceux qui avaient existés avant dans d'autres films, avaient souvent pour signification une prise de conscience d'un danger. Ce n'était pas graphique dans l'intention, comme dans le sport, même si Freak a très justement différencié les deux procédés. Y a une une nouvelle définition donnée au ralenti.


Dans la première scène d'action de The Killer, le ralenti servait à accentuer la lenteur des tueurs face à Chow Yun Fat qui, lui, était filmé vitesse normale, si je me souviens bien.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 16:48 
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Film Freak a écrit:
Ah oui oui, l'effet provoqué par le ralenti de post-prod est tout autre...le ralenti de tournage est souvent synonyme d'emphase, c'est le réalisateur qui te demande d'entrer dans un truc, d'être en empathie avec le perso ou le mouvement, avec le moment du moins, quand il intervient en cours de plan c'est encore plus fort, c'est comme un vortex avec d'un coup le temps qui se dilaaaaaaaaate...

Tandis que le ralenti de post-prod a généralement pour effet de symboliser la rupture...


Notons que pour certains films à trop petit budget, le réalisateur n'a tout simplement pas le coix : son ralenti sera effectué lors de la post production.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 22:03 
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Fantômes et décompositions

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Certes, la mort du cinéma classique, on nous la chante depuis 50 ans... Les maniéristes, puis les films de genre bis, puis les modernes et la fameuse « mort du cinéma » s’y sont déjà donnés à cœur joie.
Mais on avait enfin eu une petite pause, il me semble, dans les années 90 : il y a quand même, notamment aux USA, une sorte de petite période néo-classique stable, évidemment bien différente sur bien des points de son ancêtre des années 30-40, mais ayant depuis les années 80 retrouvé un certain équilibre (dans l’importance donnée au cadre, dans le rythme, dans le statut du son et du mixage, etc.) permettant de travailler tranquillement.

Si l’on excepte les nouveaux genres très charals, qui foncent tête baissée avec l’énergie de la dernière chance (le film de super-héros dont a déjà parlé, le teen-movie dans une moindre mesure…), les années 2000 semblent à nouveau voir le modèle hollywoodien doré partir en miettes, mais différemment cette fois-ci. Ce n’est plus par la distance ironique habituelle – les figures pseudo-héroïques ridiculisées de The Big Lebowski, la citation pop et joyeuse d’un Pulp fiction : les réalisateurs filment à présent les dernières traces du glorieux cinéma passé comme un mirage à peine palpable et dépressif.


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Il y a d’abord Mulholland Drive.
La chose se fait dans un double mouvement : d’abord une glorification excessive d’un monde à l’imagerie et aux péripéties glacées, gloubi-boulga hollywoodien (via notamment les codes du film noir) d’où on extrait un mélodrame et une romance iconiques auxquelles on veut croire – et puis soudain, dans une dernière partie couperet, arrivent l’arrière-cour, la valse des débris, le glauque pathétique des fantasmes tristes, l’illusion qui ne tient plus, l’envers cauchemardesque d’une projection mentale en ruines...

Le film a d’évidence influencé, mais il est alors surtout l’emblème d’une lame de fond qui traverse déjà le cinéma alentours : la déconstruction systématisée des scénarios (Arriaga, Kaufmann…), les multiples fins mal-aimées et dérangeantes (ratées ? amères ? les a-t-on compris ?), de A.I. à Signes… La possibilité de raconter simplement son histoire, et d’y faire croire, est devenue mission impossible : on ne croit plus dans les capacités du modèle classique.


L’une des réactions qu’on observe, c’est la floraison des monde-fantôme : vidés, amorphes, atones, anesthésiés, mécaniques, gentiment abstraits aussi, ils deviennent le terrain de jeu de beaucoup de films. On peut citer le labyrinthe aux adolescents perdus d’Elephant, le Tokyo somnambule et feutré de Lost in Translation, le grand hôtel sombre et mortifère de Birth, qui reprend d’ailleurs le flambeau d’Eyes Wide Shut


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http://www.youtube.com/watch?v=fYo5ZQy_eaw

Ce dernier film, Birth, est d’autant plus au diapason de la décennie qu’il met en scène (après dix ans de deuil de son héroïne) la survie ultime, la dernière étincelle, d’un acte de foi (donnée si typiquement hollywoodienne) : si l’on ne croit plus à cette romance et au fantastique qu’elle implique d’accepter, semblent penser les deux "amants" comme leur réalisateur, tout sera fini – et l’incapacité maladive de lâcher prise, dans une scène finale terrorisée, résume un peu tout un cinéma qui quoiqu’il prétende n’arrive pas à réellement couper le cordon avec ce modèle classique qu’il a pourtant maltraité et mis à distance (par maniérisme, ironie, déconstruction…) de toutes les façons possibles depuis un demi-siècle.

On pourrait encore citer tant de films hantés : 2046, Kaïro, Goodbye Dragon-Inn, Un long dimanche de fiançailles


L’autre outil permettant de transformer ces mondes en purgatoires incertains, c’est le numérique : en défigurant et démythifiant déjà, mais aussi en jetant un doute, une ombre, sur les fondations d’un monde apparaissant soudain très plat, très terne, presque artificiel… C’est l’affaire de pas mal de films, là-encore, mais les deux qui me semblent le plus aller dans cette voie sont Disneyland mon vieux pays natal et Still Life

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J’aime moins Still Life, mais il possède un sujet qui rentre tellement en caisse de résonance avec ce que j’évoque (les derniers jours d’une ville qui va être immergée par la construction d’un barrage) qu’il semble presque à lui seul résumer la tendance de cette décennie. Ce genre de plans :

http://www.youtube.com/watch?v=O7FbanTf ... re=related

… condense le geste de cinéma qui a associé image numérique et monde spectral/fatigué. Ce que filment les petites caméras DV ou leurs équivalent HD, c’est aussi, entre autres, la fin du monde.



Au milieu de cette débâcle, je vois deux réalisateurs américains qui, héritiers lucides et extrêmement cinéphiles, ont tout à fait conscience de ce qui est entrain de faner entre leurs mains : Tarantino et Shyamalan.

Ils ont tous les deux le même type de filmo (un gros film parfait – Pulp Fiction, Sixième sens – qui ouvre la danse, et devient source de malentendu tout au long de leur filmographie), une attitude fétichiste vis-à-vis des mises en scène passées (jusqu’aux détails : la pellicule revendiquée chez Tarantino, le caméo Hithcockien chez Shyamalan), et ils ont tous les deux tenté cette décennie, au lieu de simplement accompagner l’agonie du cinéma classique, d’aller en titiller les derniers recoins inexplorés.

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Chez Tarantino, c’est surtout l’affaire des deux derniers films (Boulervard de la mort et Inglorious Basterds), même si Kill Bill fait déjà d’une certaine façon la transition. Il y a un texte qui en parle beaucoup mieux que moi, donc je vais pas me faire chier ! (ça vient de Chronicart, hééé oui comme quoi parfois…) :
Citation:
Tarantino continue de se traîner comme un boulet une réputation acquise en un film, ce profil de fan-boy cinéphage, de Tim Burton pop tout juste bon à régurgiter ses citations. (...) Elles n'étaient que la partie émergée de l'île. Ce qui s'y joue en son centre est bien plus singulier et enterre le genre plus qu'il ne le célèbre. Tarantino est un fossoyeur.

(...) La plupart des personnages sont ainsi réduits au rang de pures enveloppes, de fantômes échappés des strates du cinéma, à l'image des Inglourious basterds eux mêmes, tout juste esquissés, partiellement présentés, comme si l'essentiel ne se jouait pas là. Nous n'assistons pas ici à une résurrection du genre (démarche finalement bien vaine), mais à la matérialisation de son inconscient, de ce qui se niche entre ses plans. L'effet est immédiat : en isolant à chaque seconde la 25e image cachée, Tarantino complète et exténue ses références. Donc y met un point final. (...)

Au delà de ce fétichisme on l'a vu de surface, c'est donc au niveau du fantasme que travaille Inglourious basterds. Et qui dit fantasme entend cinéma, le vrai sujet de Tarantino.

Je reste fasciné par la mise en scène des deux derniers opus de Tarantino, qui a atteint un point d’épure extraordinaire : on a des scènes qui, très concrètement, ne tiennent plus que sur un mélange de timbres de voix ou le rythme d’un dialogue. Ou sur l’épiphanie d’images qui dégueulent de sens : un écran de cinéma qui brûle et change l’Histoire, la voiture-accessoire breloque d’un cinéma antique transformée en machine à tuer les beautés iconiques… Le cinéma de Tarantino, dont la mise en scène est à présent quasi in-analysable (je mets au défi !) tant elle est partie loin, appuie très précisément et subtilement ce qui fait le cœur et la force du cinéma admiré, son essence jouissive, son pouvoir de sidération.


C’est sans doute un poil abstrait (et aussi un peu confus pour moi) : le cas Shyamalan m’apparaît plus simple.

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On peut dire que Pulp Fiction citait et déconstruisait déjà son objet de référence. Sixième sens, non : c’était un bloc. Du savoir-faire pur, rien à couper. A partir du Village, et notamment après un Signes qui commençait à s’étrangler sous la maîtrise, on sent Shyamalan douter : est-ce que les modèles après lesquels il court (Hithcock, Tourneur, Spielberg aussi), cette foi absolue dans les pouvoirs de la mise en scène classique, sont aussi solides qu’il le pense ? Bien sûr, j’imagine qu’il le réfléchit pas comme ça, texto, mais il y a une volonté très visible (inconsciente ?) de commencer à teinter ses films d’un risque, à les fragiliser, quitte à ne plus tenir certaines scènes, quitte à côtoyer le ridicule.

Le village commence par un zoom. Quand on connaît le cinéma de Shyamalan avant ça, on se dit que c’est déjà en soi une révolution… Alors certes, le film se brise par moments, il peut faire bricolé. Mais de cette expérience, il extrait aussi des découpages hallucinants. Par exemple :

http://www.youtube.com/watch?v=swaHnpUPC90

Cette scène a une dimension onirique que j’ai jamais vu aussi fort au cinéma, tout bêtement. Une des plus belles représentations "rêvée" que j’ai pu voir, une des plus intelligentes ; et les scènes tour de force, qui ne tiennent à rien, sont ici légion (le fameux plan sur la main tendue, entre autres). Shyamalan va continuer plus loin sur les films suivants. Dans Le village, le déraisonnable des propositions passe dans l’élan du romantisme ; mais dans les deux suivants, ce n’est plus le cas.

Le trio Le village / La jeune fille de l’eau / Phénomènes ressemble ainsi à une chasse aux derniers trésors enfouis du cinéma classique. Les films sont de plus en plus fragiles, rapiécés, mal foutus. Il y a un côté chemin de croix : on se débarrasse de tous les oripeaux qui peuvent aider à se rassurer, du twist final aux belles images abandonnées dans un Phénomènes terne et anti-séducteur. On détruit tout, il ne faut plus laisser que la colonne vertébrale, c'est-à-dire les choix de découpage. On retrouve souvent, chez les personnages mais aussi chez Shyamalan lui-même, l’idée de l’acte de foi, là encore : le gros plan sur Giammati qui parle de sa famille, dans La jeune fille de l’eau, ressemble à la décision d’un type qui s’élance yeux bandés dans le vide avec toute la foi du monde. Ça peut foute en l’air le film, c’est le final, c’est à la limite du risible. UN plan pour gâcher un film entier… Mais dans son espèce de parcours bizarroïde, Shyamalan le fait quand même.

Shyamalan détruit tout, et les pépites qui éclatent au passage sont sans cesse plus lyriques, plus impressionnantes, mais je ne sais pas combien de temps ça pourra tenir : à force de foutre des coups dans les fondations – qui tiennent encore pour le moment, quoique c’est limite sur le dernier –, il finira pas nous faire une bouse.


On se demande, finalement, ce qu’il peut sortir de tout ça, car la totalité de ces films, chacun à leur façon à travers toute la décennie, n’ont fait qu’enterrer violemment le patrimoine. Qu’est-ce qu’il y a après ?

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http://www.youtube.com/watch?v=CFbfjSLITz8

Ce plan, tiré de l’un des films les plus « fantomatiques » de la décennie (Last Days), voit le fantôme du héros angoissé et torturé enfin mis à mort, tranquillement se glisser hors du corps et escalader les barreaux de la fenêtre : un simple reflet. C’est une image toute zen qu’on retrouve plusieurs fois : l’emprunte du bovin s’enfonçant dans la jungle dans Tropical Malady, la grand-mère tranquille qui a bien rangé ses affaires dans YiYi, le politicien assassiné se baladant joyeux de bon matin dans Buongiono Notte, le décor clair et doux, illisible, à la fin d’Enter the Void : quelque chose va naître du cadavre, semblent nous dire ces films, mais cette nouvelle forme est encore floue.

J’essayais plus tôt de voir si on ne pouvait pas trouver dans les films récents quelque chose de nouveau, hors du classicisme, qui tiendrait aux jeux des textures, des matières, des sensations. La décennie s’est ouverte sur le sacre d’Oncle Boonmee, un film de fantômes. On verra bien ce qu’il ressortira de ces dix années ayant beaucoup fonctionné à la manière d’une grosse maison hantée, mais les premières images qui nous en viennent ont déjà quelque chose de rêveur et d’évanescent…




Voilà, au-delà de ces 4 axes que j’ai proposés, j’ai du mal à voir d’autres grandes dynamiques. Effectivement, le numérique est à chaque fois une part essentielle des rouages, mais voilà, je pense que ca ne se résumait pas qu’à ça…

Si vous voyez d’autres pistes, d’autres tendances de mise en scène (ou autre), hésitez pas !


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MessagePosté: 11 Juin 2010, 22:23 
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Tom a écrit:
Shyamalan détruit tout, et les pépites qui éclatent au passage sont sans cesse plus lyriques, plus impressionnantes, mais je ne sais pas combien de temps ça pourra tenir : à force de foutre des coups dans les fondations – qui tiennent encore pour le moment, quoique c’est limite sur le dernier –, il finira pas nous faire une bouse.


Il en a déjà fait deux.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 22:54 
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MessagePosté: 11 Juin 2010, 23:06 
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Ouais, dommage qu'il revienne en disant d'la merde !

Concernant le coup des ralentis-postprod, j'aimerais bien savoir ce que vous pensez de ceux du village justement : je suis ultra fan du film, mais à chaque fois je tique un peu sur ces 2-3 ralentis non seulement post-prod mais survenant en plus en plein milieu de plan lors de la poursuite avec la bête. Je ne peux m'empêcher d'y voir un raffistolage de rushes qui s'enchainent mal. Mais peut-être me trompe-je ?


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MessagePosté: 11 Juin 2010, 23:11 
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deudtens a écrit:
Ouais, dommage qu'il revienne en disant d'la merde !

Ce sont les films de Shyamalan qui sont d'la merde.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 23:32 
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Citation:
Il en a déjà fait deux.

Nous vous remercions d'avoir participééé !

deudtens a écrit:
Concernant le coup des ralentis-postprod, j'aimerais bien savoir ce que vous pensez de ceux du village justement : je suis ultra fan du film, mais à chaque fois je tique un peu sur ces 2-3 ralentis non seulement post-prod mais survenant en plus en plein milieu de plan lors de la poursuite avec la bête. Je ne peux m'empêcher d'y voir un raffistolage de rushes qui s'enchainent mal. Mais peut-être me trompe-je ?

Non, je pense qu'il y a peu de doutes sur le rafistolage. Et bien vu ! Au ralenti (je viens de vérifier), on voit effectivement deux rushes accolées, oui. Mais je pense que c'est aussi de l'ordre de la confiance extrême en la mise en scène, dont je parlais plus haut : Shyamalan a visiblement essayé un truc sans se couvrir (le plan séquence avec allers-retours, impliquant qu'on voit ce qui se passe -pas de pénombre, pas de hors-champ hormis le tout début-, avec du coup forcément un côté grand-guignolesque, qu'il faut gérer). Et il a dû mal doser, ca a cassé, ca a été trop grossier sur la partie du plan en question (d'où je suppose la coupe de la fin du premier des deux plans). Le ralenti de montage est sans doutes également là pour éviter la lisibilité de l'action qui devait être très molle, à ce qu'on en voit. C'est d'autant plus sensible que la scène est parsemée de plan d'arbres au vent un peu mous, qui ressemblent beaucoup au genre de plans de coupe qu'on place quand on manque de rushes sur une action (avec ici une vague justification, genre "c'est la forêt qui l'attaque", mais c'est boiteux). On a la même chose (le ralenti de montage foireux) dans La jeune fille de l'eau, à la première attaque de la bête, d'ailleurs.

Après c'est pas un souci, le film est aussi remarquable parce qu'il prend ces risques ; dans Le village, en l'occurrence, c'est je trouve à peu près la seule fois où ca se rétame réellement.


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MessagePosté: 12 Juin 2010, 00:16 
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Je trouve que Spielberg dans ses derniers films réussit beaucoup mieux que Shyamalan sur cette destruction de son propre classicisme, parce que lui n'a pas oublié que l'art ne se résume pas à faire des moments de montage et de cadrage, que le classicisme était surtout un art du récit, et qu'on ne peut pas faire de récit avec des formes évidées de leur contenu mondain (même si on peut en faire avec des formes vides). Spielberg intègre la signification de son propre geste à son art : c'est flagrant dans Munich, les 45 dernières minutes qui démontent la mécanique du début, la recompose en images mentales dans un temps altéré, et lui aussi va jusqu'à au grotesque, mais ce n'est pas un grotesque de cinéma, même si la forme est cinématographique. C'est le système étendu et généralisé, mais dont le principe même est de décomposer le systématisme pour en découvrir la vérité par-delà la structure. Le contrepoint nécessaire, c'est le monde, sinon tout est in-signifiant. Bref, maintenir la transcendance malgré l'évidence de l'échec de la transcendance, même si c'est pour découvrir à la fin l'individu démembré et abattu par le système.
C'est autre chose que de balancer du sperme sur des feuilles d'arbres qui tremblent parce que c'est super mélancolique in the end et que ca fait du cinéma intéressant.
Après, c'est évident, Spielberg est maintenant un cinéaste qui reste dans un geste moderne, et il se mange en pleine face, contre sa foi (double : classique/naïve), la capacité de révélation du geste en question (il faut intégrer la négation et la multiplicité, mais sans perdre l'âme, et on perd toujours à la fin), mais il est forcément supérieur aux médiocres amuseurs publics, les embrouilleurs du vide que sont les post-modernes Tarantino et dans une moindre mesure Shyamalan (qui aurait pu être un vrai moderne, qui a choisi de faire des daubes à la place). La question, c'est le reste : si chez Shyamalan il ne reste que des choix de découpage et un lyrisme fabriqué (à la manière post-moderne), chez Spielberg il reste la question du sens - films religieux aussi, qui n'esquivent pas la question de la parole, contrairement aux autres.

Et si la mise en scène de Tarantino est si "in-analysable" (j'en doute, les procédés de Inglorious Basterds sont souvent extrêmement simplistes (pour ne citer qu'un exemple, l'affreuse utilisation de la musique), mais passons), c'est parce qu'il a révélé au fil des films la vacuité fondamentale de son "art". Le texte que tu cites est révélateur (même si le "qui dit fantasme entend cinéma", ridicule, ouais on fantasme on "se fait des films") : il a raison de dire que c'est un art de détrousseur de cadavres et de fossoyeur, un art de mort, même de fétichisme de la mort, contrairement à ce que beaucoup ont voulu y voir. C'est probablement pour cela que Inglorious basterds me dégoûte, cette morbidité totale, qui a la bêtise du déterreur de cadavres, et qui plus ne l'assume pas. On peut filer la métaphore jusqu'à plus soif avec tout ce que de découpage et de couture de morceaux de cadavres, et pour sortir de la métaphore, de facticité (Tarantino fabrique tout le temps du faux, du faux formel et du faux langage, ca il l'assume bien). Et évidemment, il y a un moment où on arrive sur une tombe vide, qui pose question, et on a l'air con à faire son théâtre de bazar au dessus.

Après ce sont les deux cinéastes américains contemporains que, malgré leur évident talent technique (au sens noble), je déteste, tellement toutes leurs valeurs esthétiques me semblent insultantes comparé à ce que le talent en question devrait leur permettre de faire.

Bref.

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MessagePosté: 12 Juin 2010, 01:21 
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Rhaaaaa...
The Scythe-Meister a écrit:
C'est autre chose que de balancer du sperme sur des feuilles d'arbres qui tremblent parce que c'est super mélancolique in the end et que ca fait du cinéma intéressant.

Je comprend pas à qui tu fais allusion sur ce truc là. Malick ?

The Scythe-Meister a écrit:
Après, c'est évident, Spielberg est maintenant un cinéaste qui reste dans un geste moderne, et il se mange en pleine face, contre sa foi (double : classique/naïve), la capacité de révélation du geste en question (il faut intégrer la négation et la multiplicité, mais sans perdre l'âme, et on perd toujours à la fin), mais il est forcément supérieur aux médiocres amuseurs publics, les embrouilleurs du vide que sont les post-modernes Tarantino et dans une moindre mesure Shyamalan (qui aurait pu être un vrai moderne, qui a choisi de faire des daubes à la place). La question, c'est le reste : si chez Shyamalan il ne reste que des choix de découpage et un lyrisme fabriqué (à la manière post-moderne), chez Spielberg il reste la question du sens - films religieux aussi, qui n'esquivent pas la question de la parole, contrairement aux autres.

Ça fait beaucoup de choses là… Vais essayer de répondre sur quelques points.

En quoi chez Shyamalan il ne reste « que des choix de découpage » ? L’extrait que je donnais, où est la gratuité ? Où est le brassage de vide ? Ça me transmet tant de choses, une vision tellement généreuse de l'angoisse du lieu pris à son propre fantasme, et par-là même une vision poétique du monde que cet univers prolonge et métaphorise, que j’ai du mal à comprendre qu’on puisse le recevoir dans un bain de méfiance froide et y voir du bidouillage…

S’il y a un bien un film de Shyamalan qui dialogue avec le monde qui l’entoure (on a bien sûr souligné combien il était le fruit des phobies post-11 septembre, mais ça va au-delà), avec ses tentations personnelles, avec des choses intimes comme sa fascination pour la pureté et l’innocence, c’est bien celui-là ! Ça me semble complètement aléatoire d’arriver devant ça, et de déclarer que quand Shyamalan accouche un film de ses préoccupations personnelles, c’est du cirque "post-moderne"(terme qui consiste tout de même en un grand sac où on peut mettre tout et n’importe quoi) : on pourrait exactement dire la même chose de Spielberg quand il s’amuse à foutre une gamine dans le trou d’un pare-brise de voiture. A ce compte-là, n’importe quel cinéaste un peu formellement flamboyant est taxable de malhonnêteté intéressée ; or je trouve ça plutôt sain que, dans la mise en scène de ces cinéastes (et chez Spielberg aussi, qui convoque quand même le baroque Hithcockien et des « scènes-de-cinéma » toutes les trois secondes ; grand bien lui fasse, j'adore ça, mais voilà, il fait pas exception), il y ait aussi la conscience d’arriver après un certain nombre de choses, qu'il reste une trace de cette lucidité – avec ce que ça implique après pour chacun : jouissance chez Spielberg ou DePalma, angoisse chez Shyamalan, fascination chez Tarantino…

Shyamalan a la particularité de faire des films dont le sujet rentre en résonnance avec ce rapport qu’il a au cinéma passé, mais ce n’est pas pour autant que tout son cinéma doit se voir enfermé là-dedans, comme pris dans un espèce de gouffre analytique : l’angoisse de perte de la pureté, pour revenir au Village, est autant celle d’une forme cinématographique que celle de ses angoisses propres, des personnages, de l’univers dépeint, du pays qu’il image, etc. Je vois mal l’intérêt de dissocier tout ça, quand le film propose exactement l’inverse.




Tarantino, qu’on y voie de la pose et du trifouillage d’influences petit malin, je saisis déjà plus le raisonnement. Mais ca me semble être une vision faussée, car tout ce qui peut sonner comme de l’opportunisme (faire le beau sur la tombe, comme tu dis) tient d’une vision qui me semble extraire et isoler les multiples petites citations fétichistes, pour nier tout le projet de mise en scène qui les a fait poindre…

C’est un cinéaste dont le sujet-même est le cinéma, c’est comme ça : c’est de ça qu’il part, son imaginaire n’est issu que de ça (Inglorious Basterds est l’exemple parfait, caricaturé, d’une cartographie mentale forgée par l’imagerie cinématographique : on sait que l’actrice de Fassbinder portait telle robe rouge, mais on est plus bien sûr qu’Hitler ait été tué durant le conflit…). C’est cette histoire personnelle – sa cinéphilie – qui le rend excité ou triste, qui va provoquer les émotions qu’il va ensuite nous transmettre : on ne va pas juger de sa matière de base, ce serait absurde.

La manière dont Tarantino approche le patrimoine cinématographique est une manière comme une autre d’approcher le monde. Pour ma part, en tant que jeune homme n’ayant pas vécu la guerre – et qui ait pourtant, de par une partie de ma famille, été souvent confronté à des récits atroces de l’Holocauste –, j’ai rarement eu une impression aussi fulgurante et précise de l’horreur de l’époque qu’en la voyant filmée comme un western (dans cette première scène que je sais que tu déteste, mais tant pis…). On peut théoriquement trouver ce collage honteux si on veut, il reste que dans la forme du film, dans son exécution concrète, cette fusion s’avère totalement maîtrisée, et l’effet qu’elle produit, étrange et hybride, transmet la violence du contexte de façon mille fois plus saillante que beaucoup d’approches plus sévères et propres sur elles – le tout canalisé par les codes très fermes du genre, codes que Tarantino maîtrise en profondeur, je crois qu’on sera au moins d’accord là-dessus. Bon et bien voilà, je vois un cinéaste qui travaille certes la distance qu’il a avec ce cinéma-là, avec ses restes, mais ça ne rend pas pour autant son approche infertile : c’est juste l’outil qu’il utilise pour interagir avec le monde, comme avec les spectateurs.

Enfin, je trouve injuste de présenter la chose, en gros, façon "Tarantino profite du cadavre" : Tarantino il rappelle ce que c'est vraiment le cadavre, il souligne aussi en passant que c'est à l'état de cadavre, et que c'est pas une espèce de mélasse dans laquelle on se sert à l'improviste en prenant ici un chapeau de cow-boy ou là un petit combat aérien. Quitte à considérer le cinéma de Tarantino comme définitivement mortifère (ce qui n'est pas mon cas), on peut au moins lui reconnaître la capacité, en opérant confrontations et hybridations, en remettant sans cesse en perspective, à pointer ce qui fait l'essence du classicisme qu'il réveille, sa qualité et sa force profonde, bien au-delà de l'imagerie ; les milles et uns gadgets fétichistes qui se baladent autour, qui correspondent grosso-modo à ses pantoufles (le contexte dans lequel il se sent bien pour réaliser) doit pas effacer cet effort de mise en scène là...





Bref, pour finir, je voulais simplement dire que si on part du principe qu’un homme qui se pose des question de l’héritage de la forme, et plus précisément de ce qu’il peut ou pas (surtout pas) filmer (avoir conscience qu’on peut rarement faire semblant, justement : des Soderbergh ou des Haynes qui photocopient en faisant mine de croire que ca va marcher, je suis pas preneur), si on part de l’idée que cet homme est d’emblée un cinéaste stérile, on peut tout aussi bien arrêter en 1940, envoyer les modernes aux chiottes, voire même les premiers cinéastes baroques, et tous leurs suivants aussi… Je sais bien que c’est pas ce que tu veux dire, mais j’ai l’impression que tu te focalises chez Tarantino et Shyamalan sur la pellicule de surface (la présence affichée de l’héritage ciné dans les enjeux, une certaine insolence ou fierté exhibée à savoir les manier) pour envoyer valser le bébé avec l’eau du bain… A moins de déclarer le cinéma mort (mais bon, c'était y a 20 ans ça), il faut accepter le fait que des cinéastes aussi conscients et remplis de préoccupations cinéphiliques que Tarantino et Shyamalan, on en aura de plus en plus...



Bon, je crois que tu seras d’accord pour pas lancer non plus une discussion à 6 pages en reprenant nos réponses phrase par phrase : on a déjà eu cette conversation plusieurs fois, et il me semble qu’on comprend grosso-modo le point de vue de l’autre sur la question – après je sais que tu as en grippe ces deux cinéastes, je vois à peu près pourquoi, c’est déjà ça.


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MessagePosté: 12 Juin 2010, 02:24 
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Tom a écrit:
Je comprend pas à qui tu fais allusion sur ce truc là. Malick ?

Non, aux plans où Shyamalan filme des arbres dans Phénomènes, où à mon sens il faut vraiment se retourner le cerveau pour trouver ca autre chose que pitoyable.

Tom a écrit:
En quoi chez Shyamalan il ne reste « que des choix de découpage » ? L’extrait que je donnais, où est la gratuité ? Où est le brassage de vide ?

Non mais dans The Village il y a des restes, comme la scène que tu cites, c'est après que ca part complètement dans le néant.

Tom a écrit:
Shyamalan a la particularité de faire des films dont le sujet rentre en résonnance avec ce rapport qu’il a au cinéma passé, mais ce n’est pas pour autant que tout son cinéma doit se voir enfermé là-dedans, comme pris dans un espèce de gouffre analytique : l’angoisse de perte de la pureté, pour revenir au Village, est autant celle d’une forme cinématographique que celle de ses angoisses propres, des personnages, de l’univers dépeint, du pays qu’il image, etc. Je vois mal l’intérêt de dissocier tout ça, quand le film propose exactement l’inverse.

Si tu veux, mais ces préoccupations relèvent tellement de l'égo qu'on ne peut pas être surpris du délire narcissique de LITW. Ce qui caractérise ce cinéma sur ce plan là, c'est la fermeture : au niveau factuel, c'est assez évident dans The Village/LITW, mais aussi le rapport inauthentique à tout ce qui est extérieur, où tout est vécu sur le mode de l'angoisse et de la réclusion volontaire, y compris au plan esthétique. Il faut sortir de l'extérieur, ne pas l'intégrer, revenir vers soi, son passé, son histoire : c'est en cela que c'est "post-moderne", le monde est quelque chose de posé depuis soi, avec ses références et ses contenus, que l'on peut habiter autant que l'on veut, mais toujours dans la fausseté.
La manière dont il traite les thèmes fantastiques, en dépit de toute la culture fantastique existante, est un exemple assez frappant de cela.
Ca n'a rien à voir avec le baroque de la forme, ni même avec le fait que ca soit cohérent (ca peut être tout à fait cohérent, et même plus c'est cohérent plus c'est pourri).

Tom a écrit:
Tarantino, qu’on y voie de la pose et du trifouillage d’influences petit malin

Ah non, je vois pire que ça, si c'était juste du cinéma de petit malin ca serait anecdotique, et le pire c'est justement le "projet de mise en scène qui les a fait poindre".

Tom a écrit:
C’est un cinéaste dont le sujet-même est le cinéma, c’est comme ça

Et le fait que "ca soit comme ça" est un signe de l'état de putréfaction des choses.

Tom a écrit:
c’est de ça qu’il part, son imaginaire n’est issu que de ça (Inglorious Basterds est l’exemple parfait, caricaturé, d’une cartographie mentale forgée par l’imagerie cinématographique : on sait que l’actrice de Fassbinder portait telle robe rouge, mais on est plus bien sûr qu’Hitler ait été tué durant le conflit…). C’est cette histoire personnelle – sa cinéphilie – qui le rend excité ou triste, qui va provoquer les émotions qu’il va ensuite nous transmettre : on ne va pas juger de sa matière de base, ce serait absurde.

C'est pas une matière de base, c'est le geste esthétique.
Et tu rends compte d'un cercle vicieux : c'est un imaginaire qui fonde son contenu sur ce qu'il crée, et qui prétend constituer à partir de là des émotions... des émotions qui seraient... des émotions de cinéphile? Il y a un gros problème de compréhension de l'art là, et ca renvoie encore une fois à la question de la transcendance : si on ne transmet plus qu'un affect d'expérience esthétique, qu'est-ce que la génération suivante, qui aura reçu ces affects, aura à transmettre, si ce n'est des affects fondés sur de la facticité, qui vont se dégénérer de plus en plus? On ne peut pas construire l'art sur du deuxième degré de deuxième degré, sur un recul toujours reconduit face au phénomène – ou sur, ce qui revient au même, la réification de l'imaginaire narcissique. Et c'est déjà ce qui a lieu dans l'évolution de Tarantino, le repli narcissique, la fascination de soi et de son imaginaire, la mise en place de l'autarcie.
C'est un rapport complètement maladif à l'art, incestueux, que du reste on a pas manqué de remarquer dans le cas de la cinéphilie qui semble particulièrement atteinte de ce côté là (en plus ca sonne déjà comme un nom de maladie)...

Il faudrait aussi que ces cinéastes qui ont "pour sujet le cinéma" réfléchissent au fait qu'on ne peut pas écrire de la musique sur la musique.

Tom a écrit:
La manière dont Tarantino approche le patrimoine cinématographique est une manière comme une autre d’approcher le monde. Pour ma part, en tant que jeune homme n’ayant pas vécu la guerre – et qui ait pourtant, de par une partie de ma famille, été souvent confronté à des récits atroces de l’Holocauste –, j’ai rarement eu une impression aussi fulgurante et précise de l’horreur de l’époque qu’en la voyant filmée comme un western (dans cette première scène que je sais que tu déteste, mais tant pis…).

Je trouve ca complètement délirant (d'une manière générale, au-delà de ton exemple), que la compréhension ne soit plus possible (ou soit plus prégnante/immédiate/forte) que par le filtre de stéréotypes formels cinématographiques, que par des formes inauthentiques choisies précisément pour leur inauthenticité radicale (tirés de navets, de genre codifiés à l'extrême, fabriqués de bout en bout), c'est un état de dégénérescence totale d'un rapport au monde qui a été complètement dévoré par l'univers technico-individualo-capitaliste, par la culture éparpillée et informe, et qui en reproduit les structures. Ce n'est pas "une manière comme une autre", c'est un état rendu possible par un contexte esthétique et des transformations historiques.
Qu'on prétende retrouver l'authenticité en fonçant tête baissée dans l'autarcie fabriquée, pour moi c'est comme dire qu'on va se guérir d'une maladie en se tirant une balle dans la tête.

Et la conséquence c'est que la valeur esthétique principale devient la jouissance (qui est aussi celle du capitalisme individualiste moderne, mais bon...) : on le voit avec ton exemple, on a plus qu'un critère d'intensité, c'est l'intensité qui détermine la validité de l'oeuvre. Ca serait valable dans un autre contexte, mais pas pour valider "l'horreur de l'époque" : il est impossible de déterminer une quelconque vérité à partir de cette scène, surtout dans le contexte d'un film qui ment ouvertement, ce qu'on reçoit ce n'est que l'intensité du "filmé comme un western", du geste cinématographique (qui existe, on ne peut pas le nier), mais on a rien qui nous permet de dire que ce geste révèle plus qu'un autre la vérité de l'histoire, on reste dans le domaine "truc", et plus ca fonctionne sur le spectateur, plus c'est mensonger.

Tom a écrit:
le tout canalisé par les codes très fermes du genre qu’il maîtrise en profondeur, je crois qu’on sera au moins d’accord là-dessus.

C'est secondaire, mais je ne suis pas d'accord : sa maîtrise est superficielle, elle se limite trop souvent à singer les caractéristiques de navets sans chercher comprendre ce que peut être un genre, d'où il vient et pourquoi il existe. Les codes, c'est la face émergée d'un genre, c'est visible par n'importe quel crétin en fac de cinéma.

Tom a écrit:
Je sais bien que c’est pas ce que tu veux dire, mais j’ai l’impression que tu te focalises chez Tarantino et Shyamalan sur la pellicule de surface (la présence affichée de l’héritage ciné dans les enjeux, une certaine insolence ou fierté exhibée à savoir les manier) pour envoyer valser le bébé avec l’eau du bain…

Je ne vois pas où tout ce dont je parle s'arrête à la surface : tu réponds à côté de mes remarques, et du reste, je ne parlais pas de Shyamalan et de Tarantino, mais de Spielberg, qui réussit pour moi là où ces deux-là échouent pour les raisons décrites plus haut. Prends cet aspect là en considération avant de dire que je reste sur la pellicule de surface, d'autant que pour moi, c'est toi qui reste à la pellicule de surface quand tu parles de la "méthode Tarantino" en la ramenant à un outil et ou à "manière comme une autre", niant d'un revers de la main toute la provenance du geste, et toutes ses implications esthétiques, éthiques et politiques.

_________________
Nothing and no one can save you! Abandon hope now! Here's what you can do :
1. Admit you are a semi-evolved ape-thing mercifully ignorant of the sanity-blasting truths of the greater cosmos.
2. Die.
3. Rot.


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MessagePosté: 12 Juin 2010, 12:13 
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Quand je parlais de « transmettre la violence du contexte », ce n’était pas en terme d’intensité mais, comme je le disais, de précision.

Cela rejoint un désaccord qu’on a déjà eu, qui est l’idée selon laquelle partir (je te cite, qu'on soit d'accord) de "formes inauthentiques choisies précisément pour leur inauthenticité radicale", qui ont donc ce côté grossier et faux, on ne peut aboutir qu’à un résultat tout aussi grossier, inauthentique, et au final fermé ; bref, le résultat serait conditionné par l’origine du modèle. Je comprends bien que c’est le geste que tu accuses (celui de prendre racine directement là-dessus sans en passer par la case "monde alentours"), mais tu réduis, je trouve (c'est pas une attaque...), le cinéma de Tarantino, et l’intelligence de sa mise en scène, en le cantonnant à un travail mortifère et narcissique sur le modèle.

Si l’ouverture d’Inglorious Basterds me parle, c’est parce que ses référents faux et caricaturaux, par la manière dont ils sont associés (et ça n’a pas besoin d’être un mariage complexe, mais simplement juste), produisent une forme, et par la même une vision de l’époque, qui sont elles très précises, et oserai-je employer le mot, fines, malgré leur brutalité – c’est cette vision que je reçois en tant que spectateur, pas le travail qui lui précède. Tu dis que cela ne produit aucune vérité sur le monde, mais on en revient quoiqu’il arrive à la seconde guerre mondiale, d’une manière que tu peux considérer inconsciente, irresponsable et catastrophique, pourquoi pas, mais la scène se referme pas sur l’utilisation du western ou la mise en avant du collage. Par ce détour, et cette tentative de nous transmettre une idée intime (personnelle, nouvelle) de ce qu’a pu être la nature de l’horreur à ce moment de l’Histoire, Tarantino ne fait qu’amener sa pierre, s’ajoutant aux centaines de cinéastes qui ont eux aussi essayé de nous dire la façon dont ils comprenaient la violence de cette période – et qu’il le fasse en passant par le cinéma, je suis d’accord sur le fait que ce soit un jeu dangereux (et incestueux), mais ca ne peut pas constituer une fatalité.

Question rapport au monde, à son état politique et idéologique, on pourrait par exemple très bien se poser la question d’un film qui ramène sciemment (le western sert à ça) l’horreur primale de la situation au premier plan, avant le destin du peuple – la question juive n’étant affrontée que par détours, et volontairement. L’image qui parle, dans cette scène, c’est le gros plan de la jeune qui agit (qui fuit, qui court), qui est déjà marquée et condamnée (qui est pleine de sang), et qui malgré tout, sans en avoir le temps, pleure. C’est une image brutale mais précise (je persiste !) du monstre qu’a produit cette guerre (la mise en scène de l’accouchement d’une nouvelle génération, avec sortie par petite trappe, têtes sanglante et humide… je sais pas moi, je trouve ça terriblement triste et beau comme vision !). C’est d’ailleurs le plus cruel de la scène, ce nazi qui baisse son flingue, il n’a plus besoin de tirer : ce qu’il a laissé s’échapper saura très bien s’autodétruire tout seul. Enfin bref, j’ai du mal à comprendre comment on peut trouver ce type de cinéma, in fine, seulement intéressé par son nombril…

Je serai d’ailleurs curieux de savoir ce que tu as pensé de Shutter Island, si tu l’as vu, parce que la façon dont Scorsese filme la Shoah, en partant des représentations passées et de l’héritage visuel cauchemardesque (et donc poétisé) de cet évènement, est pas très différente, en un sens… Je ne vois pas en quoi il faut exclure ça : le nazisme, et surtout la trace qu’il a laissée, est aussi affaire de représentations ; celui qui en maîtrise les codes n’a pas moins de légitimité qu’un autre à utiliser ce chemin pour ré-atteindre l’origine.



Je pourrais objecter la même chose pour Shyamalan : la communauté qu’il enferme dans La jeune fille de l'eau, le monde extérieur qu’il supprime, c’est aussi une proposition, un cadre pour parler du monde. En sortant du factuel (en prenant Phénomènes par exemple, factuellement non fermé, mais tout en l’étant a priori sur ses modèles), on pourrait là encore se poser la question d’une mise en scène de la peur qui crée l’angoisse quand les gens se retrouvent ensemble, et qui se sent en sécurité lorsqu’ils s’isolent. Pour un film qui, d’une certaine façon, parle de dépression (ou du moins d’un malaise de ce genre dans la civilisation occidentale), je trouve que c’est là encore une vision qui, en en passant certes par une obsession cinéphile personnelle (« moi aussi je vais faire peur avec du rien », pour caricaturer) n’en propose pas moins un miroir terrifiant et lucide du monde alentours, se faisant écho réfléchi de ses angoisses…



Enfin sur la troisième génération qu’ils vont influencer : je ne pense pas qu’il y ait à s’inquiéter. Pour exemple (déprimant), il suffit de regarder Pulp Fiction, et les 1500 enfants têtes à claques qu’il a provoqué : les jeunes en retiennent un style (le résultat "fin"), pas le monstrueux – et, certes, un brin indigeste – travail sur le classicisme qui façonne ce style. Ca m’a d’ailleurs toujours frappé, dans les filiations les plus fortes (je sais pas, Ophüls-Kubrick par exemple) combien les héritiers prennent une part découpée presque arbitrairement, un aspect qui les intéresse, et qui dans leur propre cinéma va jusqu’à nier le geste cinématographique de leur idole.

Regarde, pour prendre l’exemple d’une chaîne parti d’un cinéaste travaillant ses modèle de façon obsessionnelle et un brin mortifère, le trajet Cinéma classique > Douglas Sirk > Fassbinder > Almodovar. On a là une chaîne d’influences très nettes qui, tout en conservant un petit reste de cinéma classique, ne fonctionne pas en jeu de miroir de plus en plus stérile.



Mmm, je m’étais dit que j’allais faire une réponse courte…


Dernière édition par Tom le 12 Juin 2010, 12:37, édité 1 fois.

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MessagePosté: 12 Juin 2010, 12:37 
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Interessante la partie que tu consacres aux fantômes, je m'étais fait la même reflexion, tout en ayant eu la flemme de la pousser bien loin: je trouve que ce qui représente le mieux ce que tu racontes, c'est le cinéma d'Antonioni. L'avventura en tête évidemment puisque tout le film est hanté et joue de ça, mais on retrouve la même désolation dans le Désert Rouge par exemple, ou d'autres films de cette période. Et je m'étais dit que Mystic River c'était un peu ça aussi: des gens qui parvenaient plus à communiquer entre eux, à se comprendre, parce que terrifiés par les fantômes de leur jeunesse. Et c'est vrai qu'en te lisant, on peut rapprocher ça de pas mal de films, mais pour moi c'était vraiment très clair avec le Eastwood (pour lequel je trouvais que ça fonctionnait pas tellement en fin de compte, mais bon, ça c'est autre chose..).


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