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MessagePosté: 10 Juin 2010, 18:12 
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Tom a écrit:
Je veux pas chercher d'excuse foireuse, mais est-ce que ce côté très "simple" des échanges, des thèmes, et donc des scènes d'échanges, n'est pas une part du style de ces films ? Qu'ils veulent gagner un côté franc et clair, un peu manichéen en fait, pour pouvoir aussi l'être formellement ? Je disais "films adolescents" tout à l'heure, c'est un peu ça : j'ai l'impression, notamment avec Spiderman (et peut-être aussi parce que le 11 septembre) que les réals veulent pouvoir s'accrocher à nouveau à des certitudes, à des sentiments simples, et donc à des sensations (j'en reviens au côté ivre/énergique dont je parlais).


Possible que la simplification des intrigues (et surtout des intrigues annexes, le gras qui était présent dans certains films des décennies précédentes, mais aussi parfois ce qui en faisait l'âme) participe parfois à un appauvrissement du storytelling. Je veux dire, un mec comme Billy Wilder, qui écrivait génialement ses histoires, se ferait chier à mourir en regardant ces films, alors qu'il était capable d'adorer aussi bien Presque Célèbre que Forrest Gump, qui sont des modèles de scénarios inventifs et personnels, ou Indiana Jones, qui avait résolu tous les problèmes qui aujourd'hui ont refait leur apparition au début des années 2000 !!!

Citation:
Ce que je veux dire, c'est que je sais pas si une mise en scène des dialogues essayant d'attirer notre attention sur une richesse souterraine des échanges ferait pas un peu tâche : ce serait un peu comme vouloir rendre Bollywood subtil, ca en gâcherait l'élan. Je comprends tout à fait ce que tu dis hein, mais pour moi justement, les champs / contre-champs de Singer et Raimi arrivent à faire ressortir autre chose, en focalisant sur les visages notamment (c'est particulièrement visible pour le duo Dunst/Maguire), qui fait que la question du cadre devient secondaire dans l'énergie de la scène...


Ah mais c'est au scénario qu'il faudrait effectuer les premiers changements, c'est certain. Singer et Raimi ne sont pas faibles de filmer comme ça, ils sont faibles de ne pas modifier le scénario et d'ainsi devoir se contenter d'une pauvreté de mise en images de tunnels de répliques.

Citation:
Si on prend cette scène par exemple :
http://www.youtube.com/watch?v=2DYodUX4 ... re=related
Y a un côté cash, très proche des visages, avec un jeu assez forcé (le surplus de Dunst, le côté endormi de Maguire), un truc très binaire, qui fait sans doute plus l'efficacité de la scène qu'un découpage plus complexe.


Mais ouais putain !!! Regarde cette scène effectivement ! Regarde bien les deux valeurs de plans ! Et maintenant imagine la caméra qui dézoome, tu te retrouves une fois les plans déserrés avec deux zozos collés à deux centimètres l'un de l'autre, plantés là sans se toucher, de façon complètement irréelle et artificielle, en train de livrer les clés de leurs sentiments !!! Je veux dire, même Dawson était réalisé avec plus de coeur et de réalisme, alors que c'était parfaitement surréaliste pour des adolescents !!!! Pour moi c'est le pire de ce que les américains peuvent nous vendre, sincèrement. Ça vaut au moins nos scènes françaises d'engueulade dans la cuisine où la femme se met inévitablement à crier à pleins poumons avant de s'écrouler sur le sol en prenant sa tête dans les mains à renforts de gros sanglots. C'est naze.

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MessagePosté: 10 Juin 2010, 18:21 
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Z a écrit:
Mais ouais putain !!! Regarde cette scène effectivement ! Regarde bien les deux valeurs de plans ! Et maintenant imagine la caméra qui dézoome, tu te retrouves une fois les plans déserrés avec deux zozos collés à deux centimètres l'un de l'autre, plantés là sans se toucher, de façon complètement irréelle et artificielle, en train de livrer les clés de leurs sentiments !!!

Je vois ce qui t'énerve... Mais pour résumer mon idée : je trouve aussi qu'il y a clairement un manque, mais je comprend également que le réal ait besoin ici d'une forme simple ou franche, que la forme reste cohérente avec le ton (ca me semble pas illogique, dans la façon dont fonctionne ces films, dans le trip après lequel ils courent, qu'on retrouve des personnages "livrer les clés de leur sentiments" par exemple, comme tu le notais) ; après, il aurait fallu développer de nouvelles façons de prendre en charge ces scènes, des découpages qui aient un côté cash sans se résumer à un simple champ-contrechamp, effectivement.


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MessagePosté: 10 Juin 2010, 18:35 
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Tom a écrit:
Je vois ce qui t'énerve... Mais pour résumer mon idée : je trouve aussi qu'il y a clairement un manque, mais je comprend également que le réal ait besoin ici d'une forme simple ou franche, que la forme reste cohérente avec le ton (ca me semble pas illogique, dans la façon dont fonctionne ces films, dans le trip après lequel ils courent, qu'on retrouve des personnages "livrer les clés de leur sentiments" par exemple, comme tu le notais) ; après, il aurait fallu développer de nouvelles façons de prendre en charge ces scènes, des découpages qui aient un côté cash sans se résumer à un simple champ-contrechamp, effectivement.


Pour moi ces scènes ne sont pas simples. Elles sont simplifiées au maximum, elles sont réduites à des répliques de spot de pub. Si tu débarques dans la salle de cinéma en ayant raté tout le reste du film, tu comprends à ce moment précis les enjeux et rien ne te manquera pour tout saisir du moment !!!!! Pourtant dans le premier Spider-Man il y avait bien cette scène où elle embrasse Parker alors qu'il a la tête à l'envers, qui était sympa... et encore, ce n'était qu'un détail... et c'était la seule.

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MessagePosté: 10 Juin 2010, 18:53 
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La scène que j'ai mis c'est un peu l'extrême quand même... Prenons celle-là :

http://www.youtube.com/watch?v=Xd-ufUUKqJA#t=7m48s

Effectivement, idem, on a les mêmes valeurs de plan et un montage qui va et vient, et une seule idée au milieu : foutre les deux personnages droite cadre pour les confondre (appuyer une dualité je suppose : montrer qu'ils sont les deux choix face à une même situation, qu'ils ont un même pouvoir mais qu'ils l'utilisent différement, etc.). Le reste est laissé à la lumière et au jeu d'acteur... Ok, c'est charal, ok, c'est pas subtil, mais je trouve que la simplicité de cette idée, posée là devant nous, a quelque chose de beau. J'ai clairement pas envie de voir Singer complexifier ça, cette façon directe et carrée de faire me plaît.


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MessagePosté: 10 Juin 2010, 18:57 
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Tom a écrit:
La scène que j'ai mis c'est un peu l'extrême quand même... Prenons celle-là :

http://www.youtube.com/watch?v=Xd-ufUUKqJA#t=7m48s

Effectivement, idem, on a les mêmes valeurs de plan et un montage qui va et vient, et une seule idée au milieu : foutre les deux personnages droite cadre pour les confondre (appuyer une dualité je suppose : montrer qu'ils sont les deux choix face à une même situation, qu'ils ont un même pouvoir mais qu'ils l'utilisent différement, etc.). Le reste est laissé à la lumière et au jeu d'acteur... Ok, c'est charal, ok, c'est pas subtil, mais je trouve que la simplicité de cette idée, posée là devant nous, a quelque chose de beau. J'ai clairement pas envie de voir Singer complexifier ça, cette façon directe et carrée de faire me plaît.


Mais elle est très bien celle-ci :D

C'est pas bêtement un champ / contre-champ. Il y a un parti pris dans la compo, dans la perspective, dans l'éclairage, et les deux comédiens ont quelque chose à jouer.

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MessagePosté: 10 Juin 2010, 19:09 
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Karloff a écrit:
d'ailleurs le plan de Titanic du début du topic renvoie directement à celui de Shining, non ?


Tout le film renvoie vachement à Shining.

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 10 Juin 2010, 20:13 
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Z a écrit:
Mais ouais putain !!! Regarde cette scène effectivement ! Regarde bien les deux valeurs de plans ! Et maintenant imagine la caméra qui dézoome, tu te retrouves une fois les plans déserrés avec deux zozos collés à deux centimètres l'un de l'autre, plantés là sans se toucher, de façon complètement irréelle et artificielle, en train de livrer les clés de leurs sentiments.

C'est quand même un peu bizarre de voir un plan pour ce qu'il ne montre pas ou de montrer un plan pour ce qu'on n'y voit pas...


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MessagePosté: 10 Juin 2010, 20:18 
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oncletom a écrit:
C'est quand même un peu bizarre de voir un plan pour ce qu'il ne montre pas ou de montrer un plan pour ce qu'on n'y voit pas...


C'est pourtant précisément la bizarrerie et la crétinerie de ces champ / contre-champ tels qu'ils sont régulièrement utilisés. Ils ne veulent rien dire d'autre que "ces deux personnes se parlent" sans pour autant être réalistes sur la façon dont les gens se parlent dans la vie !

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MessagePosté: 10 Juin 2010, 20:57 
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Oui, mais en l'occurrence c'est un loser amorphe qui s'est fait piqué par une araignée transgénique et est devenu un super héros qui charme une bombe sexuelle sensible intelligente. Y'a plus réaliste comme contexte !
Blague à part, comme Tom je situe à peu près ton mécontentement (je te rejoins sur plein de films, pas forcément contemporains d'ailleurs), m'enfin un cadre serré sur un couple qui parle, je vois pas l'intérêt de débuller la caméra ou de faire un plan subjectif pour chaque protagoniste ou encore de dézoomer en plein milieu d'une phrase. On est dans un procédé classique qui n'a, comme le disait Tom, raison d'être que parce qu'il n'y a rien à tirer de plus de ce dialogue que l'amour et la tendresse qui s'en dégagent, renforcés par le gros plan, cadrage de proximité reflétant bêtement mais efficacement la chaleur du contact. Raimi a l'occasion beaucoup plus propice, ludique et inventive de caser les têtes renversées plus tôt dans le film, il va pas le faire à chaque dialogue !
En fait n'as-tu pas envie de voir à chaque seconde et à chaque plan de l'invention ou du renouveau ? Je suis par ailleurs surpris que tu places il y a de cela plusieurs messages Avatar dans les têtes de gondole d'un renouveau cinématographique, parce que - qu'on aime ou pas le film - on peut dire qu'en terme de situations de dialogues et de mise en scène fonctionnelle, le film est un sommet actuel.


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MessagePosté: 10 Juin 2010, 21:09 
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oncletom a écrit:
Oui, mais en l'occurrence c'est un loser amorphe qui s'est fait piqué par une araignée transgénique et est devenu un super héros qui charme une bombe sexuelle sensible intelligente. Y'a plus réaliste comme contexte !
Blague à part, comme Tom je situe à peu près ton mécontentement (je te rejoins sur plein de films, pas forcément contemporains d'ailleurs), m'enfin un cadre serré sur un couple qui parle, je vois pas l'intérêt de débuller la caméra ou de faire un plan subjectif pour chaque protagoniste ou encore de dézoomer en plein milieu d'une phrase. On est dans un procédé classique qui n'a, comme le disait Tom, raison d'être que parce qu'il n'y a rien à tirer de plus de ce dialogue que l'amour et la tendresse qui s'en dégagent, renforcés par le gros plan, cadrage de proximité reflétant bêtement mais efficacement la chaleur du contact.


Oui, bien sûr... je ne demande pas à ce que le réal tourne à 360° autour du couple à la Body Double pour rien... Mais par exemple, Woody Allen, qui n'est pas forcément loué pour sa mise en scène, mais davantage pour son écriture, sait parfaitement filmer deux personnages qui discutent. Il a par exemple dynamisé, modernisé et revisité les couples au lit ou dans l'intimité, les discussions de la vie quotidienne bien avant Seinfeld, il sait également les placer lorsque les personnages marchent dans la rue, il sait filmer les scènes au restaurant, y compris entre plusieurs personnages. Quand Woody Allen propose un champ / contre-champ, ça VEUT DIRE quelque chose (exemple la drague de Match Point - ou la scène malaisante au musée lorsqu'il est debout face à Scarlett et qu'il lui demande son numéro de téléphone). Il ne renonce jamais et se montre assez performant à dynamiser les dialogues.

Citation:
Raimi a l'occasion beaucoup plus propice, ludique et inventive de caser les têtes renversées plus tôt dans le film, il va pas le faire à chaque dialogue !
En fait n'as-tu pas envie de voir à chaque seconde et à chaque plan de l'invention ou du renouveau ? Je suis par ailleurs surpris que tu places il y a de cela plusieurs messages Avatar dans les têtes de gondole d'un renouveau cinématographique, parce que - qu'on aime ou pas le film - on peut dire qu'en terme de situations de dialogues et de mise en scène fonctionnelle, le film est un sommet actuel.


Pour répondre à ta première question, oui, j'attends d'un metteur en scène qu'il traite chacune de ses scènes avec le même amour et un peu d'ambition. Et je ne crois pas l'entreprise impossible ou particulièrement remarquable, ou l'apanage des scènes d'action. Il y a 1000 façons d'être créatif ou personnel dans un face à face entre deux comédiens, sans pour autant en mettre un à 90° ou utiliser une grue. Même le format Scope est souvent largement oublié par exemple, ou le choix des amorces.. et la longue focale est un fléau parce qu'il offre une esthétisation facile sans pour autant dire quelque chose en rapport avec la scène. La télévision est bourrée de scènes aussi impersonnelles. Bon, après, ce n'est que mon avis. Mais c'est une gène qui perdure chez moi, et que je ne retrouve pas dans le cinéma pré-2000 avant autant d'automatisme et de renoncement.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 02:28 
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Z a écrit:
la longue focale est un fléau parce qu'il offre une esthétisation facile sans pour autant dire quelque chose en rapport avec la scène. La télévision est bourrée de scènes aussi impersonnelles.

Z a écrit:
C'est une gène qui perdure chez moi, et que je ne retrouve pas dans le cinéma pré-2000 avant autant d'automatisme et de renoncement.

Je suis à fond d'accord avec ces deux trucs-là, vraiment, et ça me manque aussi (pour tout dire, je suis ni très fan de Spiderman, ni de la vague de films de super-héros, tout en reconnaissant ce qu'il y a de passionnant dans leur projet). C'est juste que je me méfie beaucoup de l'appréciation négative du champ-contrechamp, car si c'est le BA-BA de l'académisme, c'est aussi la base d'un nombre infini de choix qui passe sous ce naturel : choisir de montrer celui qui parle au celui qui écoute, cadrer l'un avec amorce ou l'autre sans, être plus de face sur l'un et plus de côté sur l'autre, avoir des focales ou des échelles de plan différentes... Après, j'avoue, la scène de Spiderman en soi il semble y avoir rien de tout ça : je pense simplement que c'est la fin, l'arrivée attendue, et que la simplicité (simplement voir ces deux visages bien en face, enfin confrontés réellement) est le but premier - et je suis d'accord, Raimi aurait pu trouver mieux sans pour autant complexifier la scène. Mais voilà, faudrait aussi revoir la scène dans son contexte (on peut notamment remarquer qu'elle précède une scène finale grand huit qui a peut-être aussi besoin de calme avant pour être mise en valeur) : je me sens pas de décider d'emblée que sa simplicité extrême - ou son académisme si tu veux - à ce moment là du film, est pas un choix fait par le réal.

Mais on est d'accord, on est loin du découpage de Demme, pour revenir à un truc aussi ambigu et complexe...


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MessagePosté: 11 Juin 2010, 03:46 
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Le sensoriel : textures et rythmes

Image

Encore une tendance que j’ai pas l’impression d’avoir vraiment vu dans l’Histoire du cinéma avant cette décennie : pas avant les années 60 en tout cas, peut-être un peu dans les années 70, mais jamais à ce point là…

Toujours dans une logique s’éloignant du plan tel qu’il était pensé dans le cinéma classique ou moderne (un axe/angle/échelle décidé qui constitue un choix affiché, qui tape du poing sur la table), beaucoup de films semblent à présent fonctionner par ce qu’il advient à l’intérieur du plan, sûrement aussi parce que la technique a atteint un point hyper avancé dans la subtilité du rendu.


L’ouverture du Nouveau monde est pratique pour s’en rendre compte, car sa très courte durée permet de vraiment créer une narration qui se fait exclusivement par le biais des jeux de matières :

http://www.youtube.com/watch?v=U3zihDbgUPs
(désolé, c’est anamorphosé)

Le plan raconte l’histoire d’une unité première (plante/eau/ciel en une même image, reflet parfait et homogène) qui se décompose petit à petit (les gouttes donnent à voir l’eau, les remous troublent l’image des arbres…) par la force du courant, emportant et brisant l’apaisement originel dans son mouvement – dans cette progression, le bleu paisible du ciel se contraste pour devenir bleu profond, abysse qui fait écho à la divinité originelle dont parle la voix-off.
S’y adjoint le beau plan de prière : comme le maïs qui pousse (voix-off), l’humaine est bras levés vers la lumière, résultat de la création originelle.

Évidemment, l’axe du plan joue, c’est lui qui met en valeur toutes ces choses, mais c’est par la sensualité de l’image (les matières qui se mélangent, la lumière, le mouvement doux des bras qui semble voler au vent) que le plan raconte son histoire. La nouveauté, à mon sens, vient de là.



Il y a sûrement des précédents, évidemment…

Je vois des origines possibles dans les jeux visuels faits sur l’image (dans les clips, par exemple), ou encore dans des propositions plus radicales comme certains films de Péléchian (comme ici : http://www.youtube.com/watch?v=Y1bUEwjiklU ) ou peut-être chez Norstein (http://www.youtube.com/watch?v=iGjbs1WRFPI ), voire Brackhage (http://www.youtube.com/watch?v=XaGh0D2NXCA ).
Mais surtout, je me demande si les jeux de mise au point avec de très faibles profondeur de champ, issues de la mode des caméras à l’épaule et du style qui va avec (longues focales), est pas le déclenchement de cette nouvelle façon d’utiliser le plan :

Image

http://www.youtube.com/watch?v=Extpp6KXGF8#t=1m20s

On a ici un cadre laissé de côté (très gros plan ou décadrages, on ne sait pas trop ce que la caméra cherche à pointer sur Cassel…), et donc une mise au point qui cherche, qui tourne autour d’un élément (ici les lèvres, surtout pour Devos) dans un rapport un peu sensuel, mais qui veut surtout en faire ressortir la texture (l’humidité, la fragilité, le tremblement) : de la scène d’échange, on extrait ce qui intéresse le film, c'est-à-dire une scène d’amour.


Ce genre d’approche, quelques années plus tard (je dis pas que c’est Audiard qui a lancé ça, hein, c’est un exemple parmi d’autres) finit par contaminer des scènes entières, basées d’un bout à l’autre sur la capacité à attraper au vol une matière, et tirer une idée de la façon dont on l’approche :

Image

http://www.youtube.com/watch?v=T5U4qLuNUz0#t=0m40s

Ici, c’est en mettant en avant la pureté et la transparence de l’eau (rehaussée par le shampoing qui s’y répand, par exemple), en y plongeant des corps habillés aussi, qui donne un sentiment de pureté totale du lieu, de jardin originel.

Je vois surtout les recherches de ce genre de choses chez les asiatiques en fait : chez Kawase (Naissance et Maternité, La forêt de Mogari…), chez Wheerasetakhul (Syndromes and a century, surtout), dans les jeux de lumière mouvante et vivante de HHH (Café Lumière, justement).

Un exemple parlant qu’on pourrait prendre chez les asiatiques, est celui de Raya Martin, qui même au sein d’un film essayant d’imiter le cinéma premier, insère ce réflexe purement de son époque (rien de ce genre dans le cinéma muet), en jouant (comme pas mal d’autres ces derniers temps, il me semble), sur la surexposition :

Image

http://www.youtube.com/watch?v=aMK-eHOkjRY#t=0m48s

On a quelque chose qui n’est même plus métaphorique, mais dont on essaie de faire apprécier l’intrusion, de façon vraiment sensorielle là encore : comment ca perce le noir, comment ca se répand doucement, comment ca éblouit… Le plan ne raconte rien d’autre que ça (enfin si, un gosse qui ouvre la porte de l’église, mais c’est de l’ordre du récit strict), ce moment et ce plan existent seulement pour la façon dont cette lumière inonde le plan.


Ça envahit néanmoins aussi pas mal de mises en scène occidentales plus classiques, comme un ajout qui peut aider par moments, prenant le relais de la narration pour quelques plans. Par exemple dans Orgueil et préjugés :

Image

http://www.youtube.com/watch?v=iJrTL9Fume0#t=6m09s

On a un glissement : de la conversation « normale » on se focalise sur la flamme (soufflée dans un effet sonore démesuré) > on passe à un plan abstrait de pure lumière > qu’on recommence à justifier (plan sur les yeux) > pour revenir à un plan très iconiques, à nouveau « normal »... Là encore, ça passe par une sensation très prégnante (on nous fait clairement ressentir la chaleur/lumière du soleil à travers les paupières) : il faut en passer par cette sorte de béatitude pour que le personnage passe de sa scène d’angoisse à un repos relatif.

S’il faut des exemples plus fondus dans le film, on peut prendre Bright Star, où c’est la lumière qui joue ce rôle, notamment à travers ce plan très « engrosse-moi » (poésie…) :

Image

http://www.youtube.com/watch?v=IYok8VK0CDk#t=1m18s

La lumière/vent pénètre la chambre, soulève le rideau transparent, va sous la jupe… Et comme pour souligner la sensation (plus que la symbolique), la musique s’occupe moins à structurer qu’à accompagner au plus près cette montée en puissance (ici l’accord appuyé au violon).

Mais quand c’est à ce point fondu dans le film, on peut certes trouver des équivalents avant les années 2000 (je sais pas, le plan du tunnel dans Heat, par exemple, fonctionne exactement comme cela).



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Ce qui m’amène à un deuxième constat : celui que le droit d’entrée d’un plan dans le film ne se fait plus uniquement par le récit.

Évidemment, si on va prendre jusqu’aux storyboards d’Eiseinstein, on voit bien que déjà il pense ses plans en confrontations de formes géométriques, de rythme visuel, que sa mise en scène tient sur ça. Néanmoins, à part les expérimentaux (qui n’ont pas eu pour but, à cette époque, de faire émerger une narration de leurs films), le récit a toujours prévalu pour autoriser l’insert d’un plan. A moins d’une justification (flash-back, montage parallèle), un nouveau plan qui arrive dans la scène respecte l’unité de lieu, de temps, etc. Et seulement à partir de là, on peut se faire répondre des formes.

Le cinéma moderne a trouvé sa solution, mais c’est en dynamitant le récit : beaucoup de films modernes se le permettant (les Pollet, par exemple) sont ni des docs ni des fictions, mais des essais.


Ce que cette tendance sensorielle amène, c’est un dynamitage de cette règle concernant la fiction. Et je crois que ca vient avant tout des bandes-annonces…

Image Image Image

Je crois ne pas avoir été le seul à avoir été frappé par la qualité, mais surtout par la force narrative des bandes-annonces US à partir des années 2000. Il y a eu soudain la découverte, je crois, qu’on pouvait résumer un film bien plus efficacement non pas en le « résumant » (en condensant les séquences par des plans recréant un suivi linéaire du film, en conservant des liens de cause/conséquences scénaristique), mais en recréant au contraire une narration nouvelle en confrontant n’importe quel plan avec n’importe quel autre. Par exemple, le premier teaser de Matrix Reloaded :

http://www.youtube.com/watch?v=acmbihkmeVg

On voit, à partir de 0m47, combien le montage n’est plus que pure rythme visuel et sonore, qui ne fait que confronter les formes et ce qu’ils évoquent : un plan martial vertical vers le haut, un plan de chasse vers la profondeur, un plan de poursuite qui le prolonge… Ce magma de flux, reflux, tensions, relâchements, n’a plus besoin que d’une imagerie (une reconnaissance des états : la fatigue des yeux qui se ferment, levée de poings guerriers…) et d’un terreau scénaristique sommaire (nous nous souvenons grosso-modo de qui étaient ces personnages, et quel était leur but) pour déployer tout le potentiel narratif de son montage. Les plans se nourrissent les uns les autres et recréent une sorte de dramaturgie par la pure forme, par la chorégraphie.

Dans le trailer du même film, on retrouve encore le même principe :

Image Image Image Image

http://www.youtube.com/watch?v=HVrGMnk5E_M

Cette fois, pour arriver à cette acmé où le rythme formel peut se suffire à lui-même (vers 1m42, et encore plus fortement à partir de 2m00 environ), on pose les principes du récit via une première partie au montage suivi plus classique (même s’il y a déjà des percées) : on voit que le montage attendu dans la deuxième partie de la BA ne sait pas encore créer une véritable narration seul, il faut une béquille (cette première partie plus traditionnelle). Mais une fois ces bases posées, la machine peut démarrer à nouveau, et créer par le seul assemblage de plans hétérogènes une émotion, une idée, un lyrisme : c’est très con, mais quand le coup de poing se transforme en explosion (2m05), ou qu’un accident de voiture est relié à une liesse de foule puis à un saut dans le vide (2m08), je suis ému. Je ne sais pas l’idée qui passe, mais elle a une logique.


Tout ça pour en revenir au Nouveau Monde. Le film m’impressionne parce qu’il tente de fonctionner ainsi : il se permet d’entrelacer les espaces, les temporalités, sans aucune excuse fantastique (comme ça peut être le cas dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, par exemple, qui a besoin de cette béquille)… Bref, il autorise l’entrée du plan dans la scène même si celui-ci n’a rien avoir avec le récit en cours : l’énergie et l’imagerie qu’il apporte priment, s’ils sont à l’unisson de ce qui est alors à l’œuvre. On peut citer les plans de nature s’insérant partout, les plans de la mère, des scènes de marchandages commerçant où se callent des plans de romance, etc. Parfois c’est essoufflant, on a l’impression que les plans s’empilent sans construire, mais j’y vois en tout cas un essai passionnant, qui tente de creuser cette voie-là, plus longtemps que les deux minutes d’une bande-annonce (qui a de plus la sécurité de promettre un film entier et construit derrière elle).

C’est une des raisons, je crois, qui a poussé à tant déconstruire les scénarios ces dernières années (Innaritu, par exemple) : pouvoir se permettre d’avoir n’importe quel plan sous la main, quand on veut et où on veut, pour marier formes et sensations comme on l’entend, en toute liberté.


Et j'aurais encore pu parler de Noé, tiens, mais plus le temps là...


Dernière édition par Tom le 11 Juin 2010, 14:06, édité 1 fois.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 08:24 
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Antichrist
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C'est très intéressant tout ça, je te réserve déjà mon vote du meilleur nouveau revenu. :D


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MessagePosté: 11 Juin 2010, 13:30 
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Tom a écrit:
C'est juste que je me méfie beaucoup de l'appréciation négative du champ-contrechamp, car si c'est le BA-BA de l'académisme, c'est aussi la base d'un nombre infini de choix qui passe sous ce naturel : choisir de montrer celui qui parle au celui qui écoute, cadrer l'un avec amorce ou l'autre sans, être plus de face sur l'un et plus de côté sur l'autre, avoir des focales ou des échelles de plan différentes...


Je n'ai rien contre le champ / contre-champ, je trouve même que c'est admirable quand c'est utilisé avec justesse. Mais c'est la figure de proue de la télévision (gros plan & dialogues), donc plus difficile à placer avec pertinence.

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MessagePosté: 11 Juin 2010, 13:37 
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Je trouve aussi que depuis Matrix, on se tape comme au foot des ralentis très esthétiques, placés un peu n'importe comment et sous n'importe quel prétexte, pour peu que ce soit esthétisant. Ça décompose un geste, une action, et c'est censé donner justement plus d'impact, mais je sais pas... je trouve qu'il y a en très peu de réussis, et surtout que ce n'est pas l'intérêt majeur du ralenti, que c'est une perversion issue du sport (ou ce n'est pas non plus utile les 3/4 du temps). Ça ne fait que renforcer l'accent sur les SFX la plupart du temps.

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