Je vais pas mettre ça dans théâtre vu que je n'ai pas vu la pièce jouée donc je mets ça ici.
Tout le monde ne le sait pas forcément mais Aaron Sorkin, l'illustre créateur des excellentes séries TV
Sports Night,
The West Wing et
Studio 60 on the Sunset Strip, également scénariste de
Des hommes d'honneur,
Malice,
Le Président et Miss Wade,
La Guerre selon Charlie Wilson et le prochain Fincher, a commencé comme dramaturge.
Le 29 avril 2004, il y a 6 ans presque jour pour jour, New Line achetait un scénario de Sorkin,
The Farnsworth Invention, pour le produire et le faire mettre en scène par Thomas Schlamme, fidèle collaborateur du scénariste dont il a réalisé plusieurs épisodes de ses séries.
Synopsis : "
L'histoire de Philo Farnsworth, un petit génie de Rigby dans l'Idaho qui, à 22 ans, inventa la télévision avant d'être impliqué dans une bataille contre David Sarnoff, le jeune président de la RCA et le premier magnat de la communication en Amérique."
Schlamme dérivit le film comme "
un conte classique américain du conflit entre un fermier Mormon et un immigré russe pour la propriété de l'invention la plus influente du XXe siècle."
Le film n'a donc jamais vu le jour mais un an plus tard, Sorkin décida de l'adapter sur scène, retournant à ses amours premières. Avec un petit coup de pouce de Steven Spielberg
himself, la pièce fut montée et se joua entre 2007 et 2008, d'abord en Californie puis à Broadway.
Je l'ai raté de peu à Los Angeles.
Mon seul recours, en tant qu'aficionado du bonhomme, était de chercher une version publiée de la pièce et j'ai réussi à la dégotter récemment, à la faire livrer chez ma cousine aux States qui me l'a envoyé ensuite.
Je suis un très mauvais lecteur.
J'ai du mal à me concentrer et très souvent, mes yeux vont continuer à lire une page tandis que mon cerveau dérivera ailleurs. Ca arrive à tout le monde, moi ça m'arrive tout le temps.
Mais celui-là, je l'ai dévoré.
J'étais évidemment déjà familier avec l'écriture de Sorkin mais je n'en connaissais que la version parfaite, interprétée par de bons acteurs, donc j'étais curieux de voir ce que donnerait la lecture d'un manuscrit du mec, comment ça passerait, est-ce que j'y verrais le même brio une fois les mots dénués de la performance d'un acteur?
Bien évidemment. C'est brillant.
Sorkin est un de ces mecs qui excelle à la fois dans le monologue et dans le dialogue.
Ses monologues s'apparentent à de grandes déclarations dont l'emphase parvient à transcender le rare didactisme qu'on pourra y trouver, des soliloques qui représentent le summum du discours "
uplifting", qui témoignent d'un idéalisme des plus séduisants.
Quant aux dialogues, ils se font par échanges rapides et parfois par répétition, créant non seulement une dynamique à la fois éprouvante et entraînante, mais un comique qui ne prend jamais le dessus sur le fond de la scène. Il parvient à insuffler une légèreté salutaire à des séquences très bavardes.
Du coup, on obtient une écriture évoluant habilement entre légèreté et gravitas, passant harmonieusement de l'un à l'autre, cocktail parfait pour ce genre de récit contant l'Histoire, grande ou petite.
Les mauvaises langues diront que Sorkin, poseur, se regarde écrire, que personne ne parle comme ça dans la vraie vie.
Moi ça ne me dérange pas. Au contraire, j'aime comme Sorkin prête à ses protagonistes, qu'ils travaillent à la Maison Blanche ou à la télévision, sa voix sans pareil. Ce n'est pas un hasard s'il choisit des personnages "intelligents". Ils sont avocats, criminels, Présidents, inventeurs, scénaristes...évidemment qu'ils vont parler de la sorte.
Dans
The Farnsworth Invention, on retrouve également certaines thématiques chères à l'auteur. On y voi tout son amour pour la télévision (dont il choisit ici non plus de visiter les coulisses des émissions mais les coulisses de sa création!), et l'idéal utopique qu'il s'en fait (Sarnoff qui veut démocratiser la radio pour distribuer information et divertissement au public mais qui a la pub en horreur, Farnsworth qui veut créer la télévision pour que le public puisse voir l'homme marcher sur la lune, Sarnoff qui pense que la télévision peut arrêter les guerres, etc.), traitant une fois de plus de questions politiques et revisitant l'Histoire (énorme séquence du 29 octobre 1929).
Ca aurait pu donner un très bon film (et je ne suis plus du tout étonné qu'il ait accepté de porter à l'écran les coulisses de la naissance de Facebook et les embrouilles financières entre jeunes créateurs et jeunes execs qui suivirent).
En l'état, la pièce est inventive. Sarnoff et Farnsworth, constamment sur scène, la narrent à tour de rôle, s'adressant au public comme un chœur grec, commentant les événements et concluant la pièce sur un face-à-face final qui n'eut jamais lieu dans le monde réel, fantasmé par Sorkin (un peu comme le témoignage de Lee Harvey Oswald durant le procès de Clay Shaw dans les scènes coupées de JFK) pour apporter une moralité à l'histoire.
Enfin bref, Sorkin ne cessera de me fasciner et je suis pas mécontent d'avoir complété ma connaissance du maître.