Allez, on se motive.
Les Nus et les morts (The Naked and the Dead), donc, de Norman Mailer.
Me semble que c'est Cosmo, ici, qui adore Mailer, mais de mon côté, c'est ma première incursion dans sa biblio, avec ce qui est son premier roman, écrit à 24 ans, et fortement inspiré de son expérience dans le Pacifique lors de la seconde guerre mondiale.
Ce gros pavé de 700 pages en VO, qui sera d'ailleurs le plus gros succès de la carrière de son auteur, raconte le quotidien d'un escadron de reconnaissance sur un île fictive du Pacifique, Anopopei, allant du détail (les discussions entre soldats, les corvées) à la mission d'infiltration.
La principale qualité, et le principal défaut, aussi, du roman, c'est son ambition : c'est un roman de guerre, bien sûr, mais c'est aussi une réflexion sur le pouvoir, sur la fatalité, sur les rapports entre les classes, sur les divisions de la société américaine, et sur la fragilité de l'existence. Mailer mélange pêle-mêle tout ça, et la plupart du temps, étonnamment, ça fonctionne. Mais pas toujours : Mailer pressent avec acuité le recyclage du fascisme par les Etats-Unis sous une forme impérialiste après la guerre, mais il ne sait pas comment intégrer ça au récit autrement que par des longues discussions entre un général et son subordonné, et ces passages, bien que souvent passionnants, sont trop en décalage avec ce que le roman a de plus fort, c'est à dire la vie de la patrouille et les relations entre ses différents membres, quasiment tous issus de milieux populaires, aucun n'ayant de diplôme universitaire : les plus belles fulgurances du roman sont là, dans cette description des différentes composantes de cette Amérique qui travaille dans l'ombre, entre mécaniciens, commerçants, représentants, ouvriers, mineurs, etc.
Le roman contient également certaines des plus belles descriptions que j'aie lues de l'épuisement physique : une longue marche pour transporter des canons, l'épuisante escalade d'une montagne, l'éreintante traversée d'une jungle... J'ai rarement senti avec autant de force le poids qui pesait sur les épaules des personnages, leur longue plongée dans la fatigue, la perte totale de leur humanité pour ne laisser place plus qu'à des poupées désarticulées tentant tant bien que mal d'avancer. J'insiste, mais ces descriptions sont fabuleuses, dérangeantes, et jamais redondantes malgré leur répétition et leur longueur.
Récit riche, souvent trop, The Naked and the Dead est un excellent premier roman, peut-être désservi par un certain manque de maturité (besoin de théoriser ce qui la narration montre pourtant clairement, gimmicks de narration discutables, etc.), qui me donne très envie de lire tout Mailer. Je conseille.