Bon, allez, à défaut d'avoir des trucs à raconter sur le cinéma, on va parler un peu littérature.
La Leçon d'anatomie de Philip Roth (1983)
Troisième roman de la brillante trilogie Zuckerman, "La Leçon d'anatomie" est un bouquin féroce, qui raconte l'incapacité d'écrire d'un héros en proie à des douleurs chroniques, et qui, pour compenser, se noie dans la vengeance et le sexe, jusqu'à n'être plus qu'une caricature de lui-même. Drôle, absurde, méchant, et à l'os, ce roman est avant tout le récit d'une impuissance, celle d'un homme qui ne sait pas quoi faire face à une douleur qu'il ne comprend pas, et qui est prêt à tout pour s'en débarrasser, même à remettre en cause sa carrière d'écrivain (ce à quoi Roth donne, évidemment, une réponse finale sans équivoque et assez brillante), et c'est avec plaisir qu'on suit son cheminement jusqu'au bout de l'absurde, entre digressions et introspection. C'est de l'excellent Roth, et dans l'ensemble, je conseille fortement la trilogie, même si bien sûr, il ne faut pas avoir peur de se plonger dans une littérature qui se regarde beaucoup le nombril avant de réussir à péniblement en extraire une petite tranche d'universel.
L'orgie de Prague, de Philip Roth (1985)
Nouvelle qui vient conclure la trilogie, avec Zuckerman se rendant derrière le Rideau de fer pour essayer de ramener aux Etats-Unis les œuvres perdues d'un auteur tchèque. L'idée est belle, celle de confronter Zuckerman, sans cesse tourmenté par l'impossibilité artistique de créer, à l'impossibilité politique de créer, mais finalement, Roth ne fait pas grand chose de ce postulat, et se contente de parler de mondanités et de la chatte de son héroïne. Très oubliable, mais heureusement très court.
Tristana, de Benito Pérez Galdós (1892)
Bunuel aura adapté trois fois Galdos, et je comprends pourquoi, tant ce roman, le premier de l'auteur que je lis, est iconoclaste, irrévérencieux, et profondément critique de l'ordre établi. C'est écrit en 1892, mais c'est viscéralement féministe, avec une héroïne pleine de force et de morgue, d'abord naïve et facilement influençable, mais dont la volonté s'éveille tout à coup, et qui cherche à exister au milieu d'hommes versatiles et labiles. Avec ce roman satirique, qui s'essaie parfois à l'expérimentation (longs passages épistolaires qui ne m'ont pas forcément convaincus), Galdos dénonce l'ordre établi, mais surtout, peint avec nuance une galerie de personnages imparfaits, jamais blancs ni noirs, capables d'empathie autant que de manipulation. Ce court roman est une belle découverte, et ça me donne envie de me pencher sur l'auteur, et en particulier sur ce qui est censé être son chef-d'oeuvre, Fortunata et Jacinta.
Le Directeur de nuit, de John Le Carré (1993)
Mon premier Le Carré, auteur qui m'avait toujours intrigué tant il s'adapte bien au cinéma. Au final, j'en sors un peu déçu : pas que le roman soit désagréable, loin de là, mais j'ai été gêné par les nombreux tics d'écriture de Le Carré, et principalement par la lourdeur de ses caractérisations et la faiblesse des éléments qui servent à les construire. En d'autres termes, Le Carré semble avoir une certaine vision de ses personnages, mais il ne parvient pas, par la narration, à la rendre palpable : ses espions mélancoliques et tristes semblent alors mécaniques, ses personnages féminins purement utilitaires, et ses questionnements artificiels. Heureusement, le roman tient sur ses dialogues et la grande justesse de ses péripéties, tant au niveau des différentes étapes d'une infiltration que des intrigues politiques qui opposent les différentes bureaux des services d'espionnage. Pour autant, si je lirai sans doute également "A Perfect Spy", censé être son meilleur livre, je ne pense pas m'aventurer beaucoup plus dans cette bibliographie.
Il me reste à parler des 1000 pages de nouvelles d'Edith Wharton que je me suis englouties (et j'en redemande), mais ce sera pour un autre post.
_________________ "Je vois ce que tu veux dire, mais..." "Je me suis mal exprimé, pardon."
|