Livre de philosophie politique très important pour les années 80, qui contribue encore à définir un horizon progressiste actuel.
Cependant j'éprouve rapidement, indépendamment du fond du propos, une certaine réticence à admettre la situation décrite : elle repose sur l'idée que Jacotot possédait à la fois une idée de l'homme et une pratique qui lui a permis d'enseigner le français à des étudiants avec lesquels il n'avait aucune langue commune, ce qui est présenté presque comme un miroir et la révélation quasi-miraculeuse d'une puissance de savoir jusque-là insoupçonnée en l'homme, par nature égalitariste.
Or cela se passe à Louvain, peu après l'occupation napoléonienne, une ville universitaire qui est à peu près située sur la frontière linguistique belge, et les étudiants, même néerlandophones, pouvaient provenir d'un milieu où le français avait pu pénétrer depuis longtemps, même si c'est de façon secondaire.
Rancière ne discute jamais cette réalité sociale et culturelle (qui est aussi politique...), comme si Jacotot était parti d'une
tabula rasa historique (comme dans
la Dispute de Marivaux, qui formule sur le plan de la sexualité ce que Rancière transfère finalement sur le plan du savoir ), ce qui renforce artificiellement le radicalisme politique de son propos. Il me semble, que dans une ambition politique et une vision de la connaissance finalement proches de ceux de Rancière, la méthode plus historiographique et méthodique de Carlo Ginzburg quand il s'intéresse à Menocchio et son entourage dans
Le formage est les Vers, est beaucoup plus rigoureuse et productive politiquement