On parlait récemment de Gerard Reve à propos de Verhoeven, dont un ami m'a confirmé que c'était un bon écrivain, peu traduit en français (il m'a déconseillé son livre le plus connu, "les Soirées"/"de Avonden").
En littérature néerlandaise, je suis intrigué par Jacob Israël de Haan. Il correspond à peu près à la génération de Paul Valéry (un peu plus jeune). Il était juif orthodoxe (converti après un début de vie plutôt socialiste) et gay. Sioniste mais sensible à la situation des Arabes et critique sur certains aspects du mouvement, il gênait et s'est fait assassiner peu avant la seconde guerre mondiale par un militant de la Hagannah. On dit que c'est le premier assassinat politique en Israël. C'est assez compliqué mais on sent qu'il s'apercevait de l'intérieur que la laïcité initiale du mouvement pouvait renforcer de manière irréfléchie l'agressivité de sa doctrine nationaliste. Il fallait les extrêmes pour exprimer un équilibre impossible, qui pouvait être paradoxal et se transformer en secret.
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jacob_I ... Bl_de_HaanOn trouve peu de textes de lui, même en néerlandais (mais il y a bien des francophones qui ricanent quand on leur mentionne l'existence de Léon Werth ou Rachel Bespaloff et qui posent à l'intellectuel) mais j'ai trouvé sur le site du projet Gutenberg "Jerusalem", un recueil de chroniques, centrées sur la vie et la culture populaire des Juifs non pas sefarades mais de la péninsule arabe, très différentes de sa communauté d'origine et dont il sent qu'elles vont disparaître avec les changements politiques.
J'ai lu avec un peu de difficulté la première d'entre elles qui est superbement écrite, une langue très moderne : concise, factuelle et sensuelle. Cela fait penser à Kateb Yacine par le souffle de la langue, et à Giorgio Bassani sur le regard sur la communauté (qui touche au politique et au social dans sa part la plus nostalgique, après avoir pointé l'impuissance du désir) . Il y a une dimension rimbaldienne, en même temps qu'une grande précision dans l'observation sociale. Ce serait difficile de préserver cela dans une traduction française (langue faussement simple, qui vieillit bien à cause de cela). Mais c'est assurément un écrivain très intéressant, négligé car il provient d'une langue un peu périphérique dans la littérature européenne.
On trouve une phrase decrivant ainsi une danse d'hommes pendant un mariage
Wonderlijke windingen en wendingen van de machtelooze lijven.
En français cela donnerait : "Merveilleux tours et rebondissement des corps impuissants". C'est déjà pas mal mais on perd la musicalité de la langue et le jeu sur la répétition d'un mot à une lettre près. C'est un travail simultané de la langue et de la réalité du niveau de Beckett, dans un texte par ailleurs très précis, ironique mais respectueux envers le groupe qu'il décrit, ayant ainsi presque un intérêt anthropologique.