Mon premier John Le Carré. J'ai commencé à le lire par curiosité, car j'avais apprécié l'univers des Patriotes de Rochant, et en avait marre d'employer la rengaine maintes fois rabâchées "digne de John Le Carré" sans savoir. Sur un sujet a priori aussi peu sexy que la face cachée de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, c'est vraiment très bon et extrêmement intéressant politiquement. D'une part les calculs et susceptibilités nationales ne sont pas si éloignées de celles qui prévalent actuellement avec le Brexit. D'autre part Le Carré ajoute un élément légèrement dystopique avec l'émergence d'un leader de droite souverainiste et nationaliste qui parvient à récupérer à la fois la méfiance envers l'Europe de Bruxelles (déjà) et l'agitation liée au terrorisme d'extrême gauche, et cela donne lieu à une analyse très fine et très actuelle du populisme. On pourrait transposer une grande part de ce qu'il décrit en France avec Onfray. Le Carré est assez à gauche en fait, analyse tout en refoulement de la structure des classes sociales (et est assez critique à cet égard sur son propre pays), mais c'est finement exprimé.
Formellement c'est un peu limité (un enquêteur intervewe les collègues d'un espion de l'ambassade d'Angleterre à Bonn, que l'on devine réfugié juif en Angleterre pendant la guerre, qui a mystérieusement fait défection, en grimpant dans la hiérarchie à chaque chapitre) mais cette progression permet d'exercer avec un certain humour la critique de classe sociale (la même hypocrisie s'exprime différemment et se renouvelle) ,et est aussi une forme de jeu formel en raccord oblique avec les théories de l'époque sur le Nouveau Roman (les personnages agissent peu car ils se savent en train d'être écrits, mai existent vraiment, très beau personnage de Jenny Pargiter par exemple). C'est aussi un excellent dialoguiste.
Vraiment bien.