American Tabloid de James Ellroy.
Je ne suis pas un lecteur de romans noirs du tout, pas non plus un lecteur de romans historiques ou à veine ultra-réaliste. Mais j'ai voulu m'attaquer au phénomène Ellroy.
La construction est impressionnante, la façon dont Ellroy lie d'un côté l'histoire de trois points de vue et de trois destins qui s'entrecoupent et de l'autre l'Histoire (avec une grande hache) a dû demander une patience et une rigueur incroyable. Surtout que le sens du détail, des anecdotes, le travail sur l'écriture, sont bien là.
Cependant, je dois quand même avouer que tout ceci ne me touche jamais. Que ce soit le style, les personnages présentés, etc. je ne suis jamais à fond. Je regrette même la complaisance dans la violence et dans la vulgarité qui s'affiche régulièrement sous couvert de réalisme. On n'est par exemple pas obligé de décrire en détail le découpage de cadavres avec tout ce que ça implique de jets de sucs gastriques et de moëlle épinière. On n'est pas obligé de faire parler le moindre des mafieux comme un charretier débile et dégueulasse. Je pense aux
Sopranos, série qui arrive à décrire la Mafia de manière drôle et crédible, avec des percées de sordide, sans toutefois tomber dans le vulgos. Mais c'est le style d'Ellroy et je comprends qu'on puisse accrocher.
Sur tout l'aspect roman noir, là aussi je vois bien pourquoi je n'en lis pas plus: toutes les histoires de contrat, de meurtres, d'extorsions, d'hommes de main, d'argent, de machinations, de cabarets miteux et de femmes aguicheuses, et toute la psychologie qui y est reliée, ont tendance à très vite m'ennuyer. J'ai lu sur le topic Ellroy beaucoup d'avis passionnés qui disaient que les livres d'Ellroy se dévoraient à une vitesse vertigineuse. Et bien moi, en dépit des phrases courtes, du style facile, de l'action permanente, j'ai mis presque un mois et demi pour finir ce pavé de 800 pages. Tout l'univers polar/roman noir n'est décidément pas pour moi, et je doute relire du Ellroy de sitôt.
Après, je ne serai pas ingrat, et je reconnaîtrai à
American Tabloid de m'avoir éclairé sur tout un pan de l'histoire; pas forcément d'ailleurs parce que les explications avancées sont réelles, car ce qui compte, c'est qu'Ellroy décrit brillamment la mécanique de l'histoire, du pouvoir et des mythes. Le meilleur exemple est le passage sur Marylin Monroe et JFK: dans le roman, cette relation est un mythe monté de toute pièce par l'un des personnages pour tromper Hoover. On sait que cette relation a été prouvée, étayée par de nombreux commentateurs et biographes. Mais Ellroy nous fait comprendre que l'art n'a pas vocation à se calquer sur la réalité mais à dire la vérité, ce qui souvent est mieux accompli par une invention crédible qui va intervertir les personnages, changer les détails, l'ordonnancement superficiel des choses, pour mieux nous montrer les imbrications générales. Le fait est que l'on retient que sur le coup, personne ne pouvait savoir si le mythe était corroboré par la réalité, et que ce qui a réellement existé et perduré pour les Américains, c'est le mythe officiel Monroe-JFK, tout simplement parce que la vérité n'est pas une caractéristique nécessaire à la réussite d'une idée quand celle-ci est formatée pour la masse de l'opinion publique. Pareil pour la CIA qui dans le bouquin vend de l'héroïne aux Noirs pour financer dans le secret l'invasion de Cuba; on ne sait pas si c'est vrai, mais on se rend compte d'à quel point l'Etat comme un tout est une illusion, d'à quel point la CIA, le FBI, la police locale et le gouvernement étaient séparés, parfois ennemis. Et c'est comme ça qu'on ressort du bouquin avec un sens plus aguisé, un oeil plus critique sur la politique et l'histoire. Personnellement, j'avais besoin d'être un peu déniaisé, et le livre réussit cette tâche de manière formidable.