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MessagePosté: 31 Déc 2023, 15:16 
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Synopsis : Durant un ouragan, l'officier en second de l'USS Caine prend le contrôle du navire désobéissant ainsi à son commandant. Jugé pour mutinerie, il est défendu par un avocat qui le considère comme coupable.


J'avoue que ça m'a fait bizarre de regarder ce film d'un réalisateur qui a autant compté pour moi, en sachant que c'était le dernier. A l'exception d'Eyes Wide Shut, je ne sais pas si ça était déjà arrivé, et Kubrick avait déjà cette figure de compagnon pour mes aînés. J'ai été énormément ému et l'ai regardé deux fois de suite alors qu'il n'y a pas plus barbant et aride comme sujet. Et évidemment, ce n'est absolument pas le film à conseiller pour entrer dans son œuvre. Mais bon.

Mais j'ai ressenti une grande émotion en voyant que c'était véritablement un film de Friedkin, malgré la production de départ. En fait, c'est un retour aux sources autant qu'un bilan. Friedkin, qui a également écrit le script, reprend un classique hollywoodien adapté d'un roman à succès, dont l'écrivain a tiré aussi une pièce de théâtre. Sauf que Friedkin le passe au travers de son point de vue habituel, à savoir réévaluer la situation au sujet des faits, défendre l'indéfendable, en se demandant si l'incarnation du Mal agitée comme telle devant la Plèbe n'est au fond qu'un humain reflet de nos propres turpitudes.
Depuis l'événement fondateur de sa carrière avec The People Vs. Paul Crump, Friedkin s'interroge sur le doute raisonnable, sur la justice, sur la manière dont la société peut pointer du doigt et utiliser un bouc émissaire un individu pour masquer ses propres carences.
Autrement dit, avec le sujet, il est en terrain conquis.

On comprend aussi pourquoi à 87 ans, et avec un pied dans la tombe, il opte pour une mise en forme totalement anti-spectaculaire. Un lieu unique sur 99% du film : la salle de procès où trois tables entourent la chaise où se succèdent les témoins et l'accusé. Pas de jeu de lumière expressionniste, pas de cadrages alambiqués, pas de flashbacks traumatiques, pas d'acteurs connus en dehors de Kiefer Sutherland très sobre (on a droit à un faux Will Poulter, un faux Martin Freeman etc... et surtout le très bon et regretté Lance Reddick*) même pas de gueulante oscar-clip et de discours larmoyant (Jason Clarke, qui joue impeccablement l'avocat, emprunte pas mal de mimiques à Paul Newman dans Le Verdict).

*le film lui est dédié.

Mais ce n'est pas une mise en scène au repos, pour autant, ce vieux corps (et regard) bouge encore : chaque entretien est mis en scène d'une manière différente de façon à épouser les stratégies successives de la défense ou de l'accusation. Cette chaise qui se trouve au cœur du dispositif peut tour à tour apparaître comme un trône sur lequel un expert confiant peut frimer, ou bien des charbons ardents sur lesquels on fait griller un autre témoin. La direction d'acteur de Friedkin fait le reste : chaque regard est posé (voir ainsi comment l'avocat rappelle d'un geste à l'accusé de fixer les juges pendant qu'il s'explique), chaque geste est signifiant. Ainsi, l'expression passe autant par la parole que par les mains : que ce soit Kiefer Sutherland qui se tourne les pouces nerveusement, ou bien l'accusé qui arrive à mimer le bordel d'une fouille intensive du bateau tout en récitant son texte.
Précision du jeu mais aussi précision de la pose des corps dans le cadre : lors du deuxième passage de Sutherland sur le gril, on a une grande partie de vide qui donne sur une table floue. Quelques minutes plus tard, une preuve accablante proviendra de cette table. Précision du montage enfin, dans ce même interrogatoire, on a droit à l'un des rares recadrages sur un témoin en plein monologue. un effet sec et violent où on se rapproche du visage de Sutherland, ce qui accentue l'idée de la paranoïa qui grandit en lui et qui cause sa perte.

Bien sûr, j'aurais préféré retrouver Billy au grand air, là où il était le meilleur, à transformer le réel en un enfer urbain ou naturel dans lesquels les protagonistes se perdaient, mais il a pris en compte son âge et sa santé pour une fois de plus garder le contrôle. Le sous-texte avec ce choc générationnel parle aussi de ça : de sa carrière avec ses hauts et ses bas. De son enfance pauvre et du fait que la mise en scène lui a permis d'ouvrir ses yeux et les nôtres à tout un monde dont il n'imaginait même pas l'immensité, quand enfant il dormait aux côtés de ses parents dans la seule pièce de son appart de Chicago.

Le final (qui se tient dans le seul lieu autre que la salle de tribunal avec le couloir y conduisant) joue aussi sur cette ambiguïté, à mi-chemin entre La Corde et son propre Enfer du devoir :
le salaud du film n'est bien évidemment pas celui qu'on croit, et quand l'avocat jette son verre à la tête du petit con, auteur et manipulateur des événements, c'est aussi lui-même qu'il tance.

Il justifie également de belle manière tout ce qu'on aura vu précédemment, puisque le tribunal, au cours du procès, sera devenu une scène de spectacle où l'avocat-magicien aura su aussi bien travestir la réalité et manipuler son public qu'un réalisateur en pleine possession de ses moyens. Un jeu dans lequel Friedkin était passé maître autrefois et sur lequel il n'a jamais cessé de se questionner jusqu'à remanier des pans de ses films.

Et ce dernier plan, lui aussi sec et sans fioritures qui clôt une filmographie qui s'est développée sur sept décennies, et qui m'a fait le même effet que le "Fuck" d'Eyes Wide Shut et le "So long, you bastard," de Seven Women.

Et Billy, ce verre que tu as envoyé à la face du système, c'est à toi et à tous ceux qui ont aimé ton boulot que le lèverai ce soir pour la fin d'année.

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MessagePosté: 17 Jan 2024, 12:13 
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Maintenant dispo sur Paramount+ donc JulienLepers peut le rerevoir légalement.


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MessagePosté: 23 Mai 2024, 16:23 
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Inscription: 25 Nov 2005, 00:46
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Malgré tout, en dépit des déceptions et des errements qui ont jalonné la carrière de Friedkin et cette rétrospective, je plaçais pas mal d'espoir dans ce dernier film, un nouveau huis-clos, un nouveau thriller juridique, une sélection à Venise, un accueil critique plutôt favorable, et j'ai trouvé ça bien mais je ne suis pas complètement convaincu.

Je suis content de retrouver le cinéaste au découpage ciselé, défait de la caméra portée pas toujours persuasive de ses derniers films, qui sert sans effusions (et sans musique!) un dispositif radical - c'est l'adaptation d'une pièce qui se concentre exclusivement sur la partie "procès" d'un roman du même auteur - et dans lequel je me glisse comme dans un confortable édredon. Le défilement des témoins, les limites imposées par les règles juridiques dans l'interrogation, la démonstration par le verbe, quitte à tordre les propos, c'est vraiment ma came. Surtout que le film ne refait pas l'erreur de L'Enfer du devoir, ne montrant rien des faits et nous mettant à la place des jurés. Ce gros plan face caméra sur le capitaine, les témoignages que l'on ne coupe pas et ceux qui le sont, c'est vraiment savamment pensé. La caméra est toujours au bon endroit.

Mais il y a dès le début un détail un peu gênant : malgré le témoignage autoritaire du capitaine, on se doute bien que c'est l'accusé qui a raison. Et en même temps, on se doute bien qu'il doit y avoir un retournement inattendu quelque part. J'entends par là non pas un final twist renversant qui te fait réinterpréter toute ta perception du film et on n'est pas non plus dans un whodunit où les fausses pistes se succèdent avant la révélation du véritable coupable, mais tu te doutes que ça ne va pas être une démonstration linéaire et attendue de ce qu'avance l'accusé.

Et quand le dernier acte semble se résumer exactement à ça, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu désappointé. Alors il y a quelque chose de plus humain et tragique qui se joue dans le dernier témoignage du capitaine, et c'est là que Kiefer Sutherland surprend, loin de son registre de rage habituelle mais témoignant d'une vraie vulnérabilité, un peu comme un vieux sénile. Mais tu te demandes ce que le film cherche à raconter...

...arrive alors l'épilogue, avec des révélations tardives et un peu vulgos (et inutiles?)
qu'importe que l'instigateur de toute cette histoire soit le pote écrivain?
, et surtout une sorte de réflexion malhonnête sur la vertu de ceux qui servent leur patrie. Désolé mais après la démonstration faite justement dans les minutes qui précèdent (par un Jason Clarke en forme), comment donner tort à l'accusé?
Surtout mis en opposition avec ce "ah vous les jeunes qui cherchez juste à vous faire du pognon tandis que d'autres s'engagent!". Le capitaine n'était clairement plus apte, point barre. Peu importe qu'il ait 20 ans de bons et loyaux services.

Encore une fois, je vois l'ambivalence que vise l'auteur mais c'est exprimé de façon didactique au lieu d'être incarné dans le récit (un peu comme dans Rampage).

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