il y a un panneau signé par louis malle au début du film pour informer - prévenir - le spectateur que le film n'a aucune logique, qu'il faut se laisser porter : "comme un rêve", c'est précisé. je me suis demandé si c'était une concession contrainte devant des premières réactions, inévitablement what the fuckées, ou si c'était une expression de la marque profonde de sa personnalité : un provocateur poli. je fais un film qui ne ressemble à rien et va larguer tout le monde, certes, mais je préviens gentiment avant.
c'est donc un film conceptuel et expérimental : un rêve filmé. l'histoire, pour ainsi dire : une jeune fille roule dans la campagne, elle tombe sur des pelotons d'exécutions, elle se retrouve dans une maison bizarre où une vieille dame est en train de mourir puis meurt et ressuscite quand on lui fait un truc bizarre, où des enfants nus courent après des cochons, où un homme bizarre et sa soeur font des trucs bizarres, il y a une licorne qui fuit et qui parle. ça n'a aucun sens, ça cherche justement à reproduire l'absence de sens des rêves.
c'est une démarche humaine passionnante - se rappeler de ses rêves, les écrire, confronter sa rationalité réveillé et l'absence de rationalité des rêves. et ça semble une démarche artistique évidente - mais au final je ne connais pas de film à part celui là qui essaye vraiment ?
comme dans un rêve, il se passe des choses, qui peuvent s'enchainer mais n'ont pas de sens - des éléments normaux sont réinterprétés de manière anormale (elle boit quand elle a soif, mais c'est un verre de lait aux proportions absurdes et qu'elle a du mal à atteindre, tout au bout de la table) - les niveaux de conscience se confrontent (le réveil qui sonne et interrompt le récit, mais il y a 10 réveils différents qu'elle va chercher partout dans la pièce), les éléments de la journée qui sont régurgités dans un truc non-sensique, les obsessions érotiques personnelles exacerbées...
je ne connais aucun autre film comme ça, je ne connais aucun autre cinéaste que lui pour faire ça à ce stade de sa carrière, c'est une expérience inédite et passionnante, c'est au final triste que personne n'ait pris le relais pour faire son propre
black moon, une fois tous les dix ans, par des cinéastes différents, pour poursuivre l’expérience intime et artistique de plonger dans ses rêves et son cerveau pour partager ça. raconter ses rêves ne donne rien, se faire raconter un rêve par un proche ne donne rien, louis propose ce qu'il peut y avoir de plus convainquant pour toucher aux rêves des autres. à travers le meilleure - seul ? - art susceptible de vaguement aider à y parvenir.
pour tout passionnant qu'il est, le film est loin d'être parfait : le fait que quasi tout se déroule dans la maison bride un peu l'imagination, et surtout c'est vraiment immonde visuellement. la photo, les couleurs, la météo, tout jusqu'à la maison elle même et son jardin qui sont pas cinématographiques du tout, tout est dégueu, c'est vraiment pénible à regarder. la choix de ne pas avoir de son direct, tout est bruité et post-synchronisé (de manière très aléatoire, pour renforcer la bizarrerie) montre qu'il pouvait vraiment encore plus, encore mieux explorer la forme cinématographique. au lieu de ça, c'est vraiment dégueu et il n'a jamais fait des plans à couper le souffle, mais là c'est limite balek - et se souvenir de ses expérimentations formelles sur
zazie dans le métro dégoute un peu en pensant au potentiel raté.
sinon je me demande si cette dizaine de gamins, désormais vieux, se souviennent amusés de cette semaine improbable à courir tout nus dans un jardin à poursuivre un énorme cochon pour un film de louis malle et le montrent amusés à leur mari / femme comme on montre une participation à l
'école des fans, ou s'ils ont engueulé leur parents en mode "what the fuck were you thinking ?!" et les parents n'arrivaient pas à répondre autre chose que "mais tu sais, dans les années 70...".
(en reprise restaurée en ce moment)