Je ne comprends pas Michael Bay.
"Weuh y a rien à comprendre heu heu" "Moi je comprends rien à ses scènes d'action mouarf pouet!"
[Si ce sont là vos réactions, vous pouvez vous arrêter de lire ce message dès maintenant. C'est le quatrième film de la franchise donc vous savez déjà si la saga vous intéresse et c'est le onzième film de son metteur en scène donc vous n'avez pas besoin de mon opinion pour vous faire un avis.]
Je ne comprends pas Michael Bay quand je vois Transformers : Age of Extinction tant le film paraît presque schizophrène dans le degré d'implication de son metteur en scène. J'ai déjà maintes fois évoqué comme ses films évoluent toujours entre un certain premier degré parfois outrancier dans son imagerie et le recul sur cette même imagerie, conscient de son caractère over the top. Michael Bay, c'est le mec capable de faire un film presque dénué de second degré et convaincu 100% du temps de son iconographie, comme The Rock, et un film qui se fout ouvertement de tout, en invitant le public à en faire de même pour les besoins du divertissement, tel que Bad Boys II.
Comme je l'avais déjà établi l'an dernier pour expliquer en quoi Pain & Gain était plus incarné, les Transformers ont plus que jamais été partagés entre les deux, avec un moins bon équilibre que sur un Armageddon par exemple. Le premier film est celui qui s'en approche le plus, la gouverne de Spielberg sans doute, le savoir-faire, pourtant limité, de Kurtzman & Orci aussi, et si Bay et ses scénaristes ont toujours pris le soin d'étendre de façon sérieuse l'univers avec chaque film (même si la mythologie des Transformers semble se rebooter à chaque film en mode bats-les-couilles...), il apparaissait de plus en plus évident que Bay n'était plus intéressé par des histoires mais par des segments, qu'il s'agisse de comédie en roue libre ou de set pieces d'action. Le troisième film est le point culminant de ce processus.
Avant chaque nouvel épisode, les réalisateurs promettent souvent avoir corrigé ce qui avait pu en agacer certains sur le précédent mais pour une fois, Bay ne fait pas mentir ses propos promo. Effectivement, les digressions, notamment en scènes comiques hors sujet, ont disparu. Il n'y a aucune scène ici qui soit comparable à celle du commissariat du 1, du campus avec la mère foncedé du 2, ou de Ken Jeong dans le 3. Le film a beau être le plus long de la série, j'ai moins senti les 2h45 ici que les 2h29 et 2h34 des deux derniers. D'un point de vue structurel donc, c'est mieux rythmé. En particulier durant la première heure, qui s'attarde sur ses nouveaux protagonistes (exit Shia LaBeouf, qui était devenu hystérique).
Pendant cette longue intro, je me suis surpris à trouver le film vraiment bien. On est toujours dans le cliché bayien - recyclant la dynamique père/fille/copain d'Armageddon - mais le bonhomme paraît plus investi. Peut-être est-ce dû à la nécessité de présenter un nouveau statu quo, de nouveaux personnages, je sais pas, mais on avait pas vu Bay impliqué de la sorte sur cette franchise depuis le premier film. Pendant cette première heure, je me suis dit "Mufti avait raison" et "je vais dire au Cow-boy d'y aller" tant je trouvais ça efficace. On retourne à quelque chose de plus simple et terre-à-terre (en mode Americana à fond, à base de couchers de soleil constants et d'une bannière étoilée tous les deux plans) avec cette cellule familiale et même si le conflit père/fille pue le réchauffé, on s'attache plutôt au personnage de Wahlberg (tant est qu'on fasse le saut de foi de le voir en INVENTEUR). Même les échanges de vannes entre lui et son pote/employé sont plaisants parce que l'humour s'intègre plus organiquement dans le récit.
Puis surtout, il y a quelques belles idées, comme le fait que Wahlberg trouve l'épave d'Optimus dans un vieux cinéma abandonné. Bay transcende un détail qui n'a pas grand sens (les Autobots, pourchassés, se cachent alors je veux bien que personne ne vienne chercher un camion dans un cinéma mais bon) en lui conférant un sens sous-textuel classe (le vieux héros de fiction que l'on vient chercher dans un cinéma pour le ressusciter). C'est le genre de rares moments où la fabrique d'icônes Bay fonctionne encore. Surtout que dans ce film, Optimus, comme les autres Autobots, est un vétéran de guerre abandonné alors qu'il s'est battu pour cette patrie. En gros, Optimus est le général Hummel de The Rock.
L'armée est complètement absente du film, et c'est rafraîchissant, mais la figure du soldat sacrifié qui obsède tant Bay est toujours là. Je ne vais pas m'aventurer à situer une idéologie pour le film même si les deux méchants humains sont une sorte de George W. Bush (le personnage de Kelsey Grammar, mec de la CIA qui dit globalement qu'il faut renvoyer les immigrés clandestins chez eux et que "si vous êtes pas avec nous, vous êtes contre nous") et un ersatz assumé de Steve Jobs (Stanley Tucci qui exploite les cadavres de Transformers pour avoir la main-mise technologique sur le monde avant d'avoir un cas de conscience quand il découvre que les nouveaux robots qu'il construit sont incontrôlables et cherchent un McGuffin qui n'est autre qu'une bombe H version Cybertron). À ce titre, ces antagonistes humains sont une nette amélioration par rapport à Patrick Dempsey dans le précédent et bénéficient d'une histoire moins alambiquée dans un premier temps : l'insertion de Galvatron, nouvelle forme de Megatron, dans l'intrigue est complètement torchée, comme son perso, qui remplace pourtant le Decepticon plus charismatique de la première heure, le chasseur de primes Lockdown, qui disparaît alors pendant une heure avant de revenir pour le combat final, laissant Galvatron faire de la figuration hors champ. De toute façon, les autres robots sont comme d'hab très secondaires. Ils sont tous nouveaux à part Optimus et Bumblebee mais ce dernier souffre de l'absence de LaBeouf et les autres correspondent aux mêmes archétypes que leurs prédécesseurs (Hound/Ironhide le gros bourrin, Crosshairs/Jazz le jeune chaud, Drift/Ratchet le sage). Toutefois, j'aime assez comme la saga continue de favoriser l'iconisme au réalisme, avec ces robots de plus en plus anthropomorphes (Hound a une barbe et une cartouche en guise de cigare, Drift a un look de samouraï et un accent japonais et Crosshairs a comme des pans de manteaux qui volent au vent façon Chow Yun-Fat dans Le Syndicat du crime). La logique de Bay s'infuse jusque dans le design.
C'est par la suite que ça se gâte.
Que l'intrigue laisse à désirer une fois l'exposition passée, cela n'est guère étonnant pour un Transformers (c'est la quatrième fois que le climax consiste à semer les méchants dans une ville pour pas qu'ils choppe le McGuffin), mais là où le film déçoit, c'est dans la pauvreté de l'action. Bay a donc corrigé les erreurs qui handicapaient les deux derniers volets mais perd bizarrement le seul élément qui avait évolué en bien à chaque tome : les morceaux de bravoure. C'est simple, il y en a moins et ils sont moins bons. Même la 3D est moins bien exploitée. De tête, je ne retiens véritablement que deux séquences un tant soit peu créatives : - la course-poursuite en vaisseaux avec Crosshairs qui fait du John Woo et Bumblebee qui harponne un bateau pour bloquer ses poursuivants - le vaisseau-mère qui aspire les véhicules pour les jeter sur les gentils en voiture Ce sont les seules qui témoignent de ce que Bay réussit généralement le mieux : une écriture et une mise en scène inventives de l'action. Il faut dire que ce sont quasiment les deux seules séquences construites. Le reste du temps, il y a évidemment des plans qui tuent parsemés ça et là (quand il ne s'auto-pompe pas) mais voilà, ils sont perdus dans un montage qui ne les rattache souvent à rien.
Bay continue d'essayer de proposer quelque chose de différent à chaque film et à chaque scène, changeant de décors ou cherchant toujours une valeur ajoutée. Il est évident qu'il allait être de plus en plus difficile de se surpasser tant les films ont donné dans la surenchère dès le second chapitre. Ici, on a donc droit aux Dinobots...mais ils sont à peu près aussi bien exploités que le gigantesque Devastator du 2. Ils apparaissent à la fin, ne restent pas très longtemps et ne font pas grand chose de fou. Encore une fois, quelques images marquent la rétine, quelques instants où on retrouve le Bay qui veut en donner au spectateur pour son argent.
Mais quand je vois ses scènes d'action faiblardes, je ne peux m'empêcher de penser que Bay n'en a plus grand chose à foutre ici, qu'il réalise presque le film par-dessus la jambe, juste pour remplir sa promesse à Paramount en échange du financement de son arlésienne fétiche Pain & Gain. Difficile de ne pas le penser cynique face à un film où l'on voit davantage à l'écran l'argent économisé que l'argent dépensé : climax à Hong Kong parce que le financement est en partie chinois et placements de produits plus abusés que jamais (la palme va au "je suis sponsorisé par Red Bull" avec canette brandie soudainement en mode Wayne's World et au gros plan INUTILE sur les bouteilles de Bud Light renversées durant une scène d'action...à l'issue de laquelle Wahlberg en décapsule une sur la caisse d'un mec qui l'enquiquine, boit une gorgée et jette la bière sur la bagnole). Hé, moi ça m'a jamais vraiment dérangé et ça permet au film d'être le moins cher depuis le premier mais maintenant je comprends l'absence de money shots dans les bandes-annonces du film : il n'y en avait pas tellement plus dans le film.
Donc je comprends pas. Pourquoi s'investir dans le premier acte "histoire" pour ne pas s'investir dans ce qui est pourtant son fond de commerce, aka l'action? Dans le précédent volet, un personnage tournait en dérision une réplique romantique en disant "comme dans un mauvais film de SF". Ici, le vieux proprio du cinéma abandonné se plaint que "les gens ne veulent plus que des suites et des reboots aujourd'hui". La première fois, ça montrait que Bay assumait son film décomplexé, mais là, on dirait qu'il désavoue son propre film. Comme s'il disait "j'étais obligé". Peut-être est-ce le signe que Michael Bay en a marre, qu'après Pain & Gain, il n'a plus envie de réaliser juste des set-pieces, qu'il n'a plus envie de faire des Transformers. En tout cas, je l'espère. Parce que là ça peut plus durer.
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