Inscription: 25 Nov 2005, 00:46 Messages: 86858 Localisation: Fortress of Précarité
Baptiste a écrit:
Dommage que tu mettes pas de liste FF
Film Freak a écrit:
allez, si j'ai la foi, je le ferai.
Don't say I never did anything for you.
Dans 1917, Sam Mendes signe un film de guerre où la façon dont s'entrechoquent le réel et le cinéma créé une expérience symbolique. Le dispositif technique a beau singer le réel par son absence de coupes, il se met pour autant au service d'un script qui confère au récit une dimension tropologique, attribuant plusieurs anecdotes, vécues par différentes personnes et à différents moments, à un seul et même personnage et dans une unité de temps. C'est là que la réalité se mêle à la fiction, transcendant toute question de crédibilité pour aspirer à un caractère mythique. Je ne pouvais choisir un seul plan car le film entier n'en est qu'un (ou deux si on veut être plus exact) mais j'ai choisi d'isoler cette séquence qui résume bien l'exercice : cette course effrénée d'UN soldat au milieu de La Guerre, elle a lieu tout autour de lui mais lui ne suit que son objectif et ainsi le voit-on courir perpendiculairement à tous les autres avec cette incursion magique du réel dans l'emphase symbolique, lorsqu'il percute un soldat et tombe à terre. Mais il se relève et continue. A ce stade, la nature vériste du plan-séquence et des faits réels s'est définitivement muée en une forme expressionniste.
Une idée toute simple qui devient une idée de génie tant à elle seule elle dicte tout le déroulé logique de cette nouvelle version de L'Homme invisible : ici, l'homme invisible devient la manifestation (paradoxalement) "physique" du stress post-traumatique qui hante les victimes de pervers narcissiques et d'agressions conjugales. Par conséquent, Whannell choisit d'adopter le point de vue non pas de l'homme en question mais de son ex-compagne. La masculinité toxique est au coeur du film mais ce dernier joue habilement avec les codes du genre, et ce dès sa séquence d'ouverture, où le postulat de SF n'a pourtant pas encore fait son apparition. Leigh Whannell réussit carrément à faire peur avec littéralement rien. Un lent panoramique redirige le cadre vers un couloir, vide, et l'on projette inévitablement une présence, une menace. Et ce dispositif va revenir tout le long, nous plongeant dans la paranoïa et la psychose de la protagoniste. Sauf qu'il n'est pas question de psychose. Comme pour beaucoup de victimes.
J'ai failli choisir le plan qui vient juste avant, un travelling latéral qui épouse la course de l'héroïne, un mouvement à l'énergie inattendue pour une énième adaptation potentiellement naphtalinée d'un classique, mais j'ai préférée celui-ci, plus parlant dans l'illustration du parcours de ladite héroïne, défini ainsi d'entrée (c'est la fin de la toute première séquence du film), se frayant à toute allure un chemin à travers, à contre-courant même, de tous ces hommes, de dos, lents et aux vêtements sombres. Par ces choix d'écriture et de mise en scène, Les Filles du Docteur March de Greta Gerwig délaisse la tragédie vue et revue, lui préférant la colère et la vitalité. Et cette entrée en matière en témoigne.
Au-delà du fait qu'il a été peu vu, j'ai difficilement saisi le relatif rejet de Freaks par ceux qui ont fait l'effort de le voir. Cultivant savamment son mystère, ne révélant que de façon distillée son postulat, pour se concentrer sur les personnages et l'intime, le film développe alors par le biais du genre un propos sincère sur la différence mais surtout la parentalité. Et le premier exemple concret dans le film est ce moment où le père utilise son super-pouvoir pour protéger sa fille. Sur le coup, c'est un effort fonctionnel : je ralentis le temps pour empêcher ma fille de se faire percuter par une voiture, mais l'image du père portant sa fille dans ses bras dans une bulle protectrice dit tout. Et l'ultime révélation sur l'usage qui est fait de ce pouvoir dans le film est vertigineux.
Là aussi, film mésestimé alors que je le trouve plus simple mais plus fort que bien des Pixar plus cotés. On les accusera encore et toujours à tort de chantage à l'émotion mais face à une résolution comme celle-ci, d'une maturité que je ne pensais pas possible, où la leçon apprise surenchérit sur la frustration pour entériner le propos (non seulement le héros ne parle pas à son père après toute cette quête mais on reste dans son point de vue! Il regarde la scène de loin!), déso pas déso mais c'est du grand art. Jusque dans l'avachissement de la minuscule silhouette du frère au loin après la disparition. Sans pitié.
Aaron Sorkin affectionne particulièrement l'arène juridique. Nul hasard car nul endroit ne pourrait mieux convenir à la personnalité de Sorkin, amoureux du verbe et donc de son pouvoir. Mais quel pouvoir a le mot face à un mur de politique post-vérité? Cette quête de la vérité est au coeur des récits juridiques de Sorkin. Une fois de plus ici, Sorkin joue avec les témoignages et la temporalité. À la barre, un témoin clame une chose. À l'écran, un flashback montre ce qui s'est passé. L'image ne ment pas. Elle rétablit la vérité pour le spectateur. Et le moment le plus fort, c'est lors de ce flashback où la vérité accable le protagoniste, celui qui se pensait au-dessus du cirque, révélant l'échec des mots face à la violence. Une fois n'est pas coutume, j'ai donc choisi une séquence d eplusieurs plans pour illustrer ce propos, quand le leader propret des étudiants cède et que les gestes prennent le dessus sur les paroles : il appelle à la révolte, il s'éloigne du micro, on coupe l'enregistrement. Les mots ne suffisent plus.
A trop s'obséder à donner un sens à sa vie, on passe à côté. C'est la leçon en apparence simplette que l'artiste frustré doit apprendre mais une fois de plus, Docter a le don pour la distiller dans le langage le plus évocateur possible et nul moment n'est plus parlant que lorsque le protagoniste s'empare des "totems" accumulés au cours d'une folle journée pour en faire sa source d'inspiration, écartant les portées et les notes qu'il a dû apprendre à jouer pour composer la partition de sa vie. La partition de LA vie. Ces tout petits riens qui cachent des moments mémorables, comme l'illustrera la séquence qui suivra. En une image, Docter réconcilie l'aspiration artistique du personnage et l'essence de la vie qu'il prenait pour acquis. *chef's kiss*
Quand John Houseman, le producteur de Welles, reproche à Mankiewicz que son scénario ressemble à une collection d’anecdotes sautant à travers le temps, l’auteur lui répond "Bienvenue dans mon esprit ". Chez Fincher, l'enfermement physique n'est que l'illustration de l'isolation de ses protagonistes et le lieu dont il leur faudra s'extraire pour atteindre la rédemption ou la résurrection. Ainsi Mankiewicz doit-il s'évader des méandres de son cerveau. "Je suis le fils d'un auteur. J'ai regardé quelqu'un mettre une feuille de papier blanc dans une Underwood de 1928 et rester assis là pendant 45 minutes. Je sais à quel point c'est solitaire." Illustrant ses propos, c'est précisément ce que Fincher met en scène dans Mank, et notamment dans ce plan, lorsque le protagoniste réalise qu'il ne peut plus se contenter d'être le laquais grassement payé et cynique des studios, qu'il ne peut plus rester coincé dans son petit monde, dans sa petite personne satisfaite, dans son cerveau, et qu'il doit voir le monde qui l'entoure, la machination politique dont il est complice. La caméra part du noir de sa tête et s'en éloigne, révélant le faste de la fête donnée pour le résultat truqué des élections, ce monde de faux qui désormais l'entoure, l'écrase. Et qu'il ne peut plus ignorer.
Les derniers plans des films de Nolan continuent de me fasciner et celui-ci est sans doute le moins évident de tous et simultanément celui qui semble contenir tout le véritable propos du film. Un film qui avance masqué, ne se révèle que petit à petit, le film d'espionnage cédant la place à une parabole SF sur le déterminisme et le fatalisme. Le présent nous condamne-t-il autant que l'avenir en tient pour preuve? Il y a une réplique dans le film qui a été maintes fois raillé, quand Neil vient d'expliquer à Kat que si Sator arrive à ses fins alors tout le monde mourra et elle répond "Including my son". Que la réaction prête à rire est compréhensible tant l'égoïsme du personnage touche à l'absurde mais elle est non seulement révélatrice de ce que le film explicite plus tard ("chaque génération se bat pour sa propre survie") et que Nolan évoquait déjà dans Interstellar (quand le Dr Mann expliquait à Cooper que l'Homme n'avait pas encore dépassé cette notion fondamentale qui fait qu'il arrive plus facilement à se battre pour préserver la vie de ses proches que celle de l'Humanité), mais elle annonce aussi cette conclusion, ce point final inattendu à un gigantesque blockbuster brutaliste où James Bond remonte le temps, comme si tout n'avait été abattu que pour ça, les retrouvailles d'une mère et son fils, la survie de ce dernier, avec la voix off de Neil (qui pourrait bien être cet enfant devenu adulte selon la théorie la plus répandue, ce qui donne encore plus de sens à cette fin) qui nous dit "It's the bomb that didn't go off. The danger no one knew was real. That's the bomb with the real power to change the world." L'avenir n'est pas écrit et il appartient à nos enfants. Le père toxique est mort. La mère prend la main de son fils. Cut.
Presque 100 films, quelques belles découvertes (Yuan Qing, Jonas Trueba, Agostino Ferrente), des papys ricains en forme (Ferrara, Wiseman, Eastwood) et Sophie Letourneur a la carte.
Inscription: 04 Juil 2005, 15:21 Messages: 22923 Localisation: Paris
Vous faites chier avec vos photos et vidéos.
_________________ Que lire cet hiver ? Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander) La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)
Dommage que le Eastwood a fait un bide, surtout aux states. Rattrape le Art core. Pas un grand film de son auteur mais une oeuvre attachante.
Baptiste a écrit:
Oui j'avais bien aimé mais mon souvenir s'est affadi...
Du Eastwood de ces dernières années, je préfère ce genre de film modeste qui accomplit parfaitement ses ambitions que ses gros projets ratés (Coucou American sniper).
Il se passe quelque chose si vous cliquez sur les miennes.
Art Core a écrit:
Surpris par la popularité du Eastwood qui m'avait semblé être sorti dans une certaine indifférence.
Objectivement le film n'aurait pas été dans mon top 10 une année normale, première fois que je met un film à 4/6 dans mon top. Mais c'est tout de même, de ceux qu'il a fait et que j'ai vu ces 15 dernières années, celui que je préfère depuis Mémoires de nos pères.
Abyssin a écrit:
Dommage que le Eastwood a fait un bide, surtout aux states. Rattrape le Art core. Pas un grand film de son auteur mais une oeuvre attachante.
Inscription: 04 Juil 2005, 15:21 Messages: 22923 Localisation: Paris
Le lien sur tes photos fonctionne uniquement en mode affichage, en fait.
_________________ Que lire cet hiver ? Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander) La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)
Allez le premier message de l'année sur le forum est pour moi et mon top 2020! Seulement 13 films vus, j'avoue que j'avais moins la tête à aller en salles quand c'était possible même si j'ai pu bien enchaîner en septembre. Sentiment aussi d'une nouvelle ère avec trois films enchaînés sur Netflix en cette fin d'année.
Compte tenu de ce faible chiffre, année plutôt correcte car j'ai de quoi faire un top 8. Il faut dire aussi que j'ai davantage sélectionné les films que j'allais voir. Mais pas de chef d'oeuvre, les trois premiers films sont à 5/6.
1- 1917: le film qui m'a le plus impressionné cette année, un vrai tour de force formel qui nous plonge dans la guerre de manière inédite, magnifiquement conclu.
2- Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait: émouvant kaléidoscope amoureux et musical, qui place la parole au coeur du processus créatif et sentimental.
3- Je veux juste en finir: un de ces cauchemars faits films qui vont me hanter longtemps, même s'il est salutaire par son cri de désir amoureux.
4- Mank: petite surprise étant donné un certain bad buzz notamment ici, mais confirmation que Fincher m'a décidément bien conquis après sa première période que je déteste, ce film m'a beaucoup intéressé pour sa recréation de l'époque, tout en ménageant une pudique mélancolie grâce à la performance subtile de Gary Oldman.
5- Les 7 de Chicago: un bon film de procès doublé d'une belle étude de portraits sur la contestation de gauche, entre réformateurs et révolutionnaires.
6- Effacer l'historique: le délitement du scénario sur la fin n'empêche pas cette comédie de toucher juste par ses multiples répliques et mini-gags en forme de flèche contre une société numérique aliénante.
7- Drunk: le film a un peu dégonflé depuis sa vision à cause probablement d'un concept déroulé de manière trop évidente, mais il a cette qualité de ne pas se prendre trop au sérieux malgré des enjeux dramatiques finalement assez lourds.
8- The King of staten island: film très drôle et assez émouvant même si beaucoup trop long.
Pour ma part en 2020 pas vraiment de top mais j'avais trouvé intéressant "Echo" de Runar Runarsson vu juste avant le confinement Pour l'été je mettrai le Mouret et Un Pays qui se tient Sage mais vu peu de films, les distributeurs prenant peu de risque à Bruxelles vu le contexte.
_________________ Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ? - Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.
Inscription: 24 Nov 2007, 21:02 Messages: 28405 Localisation: In the Oniric Quest of the Unknown Kadath
Top 15, belle année malgré tout. Mon numéro 1 est un grand film fou. Le reste est de très haut niveau :
15. Soul de Pete Docter & Kemp Powers 14. Le sel des larmes de Philippe Garrel 13. Ema de Pablo Larrain 12. 1917 de Sam Mendes 11. Exit de Rasmus Kloster Bro 10. Le diable tout le temps d'Antonio Campos 9. The King of Staten Island de Judd Apatow 8. Uncut Gems de Benny & Joshua Safdie 7. Petite Fille de Sébastien Lifshitz 6. Eva en août de Jonas Trueba 5. Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait d'Emmanuel Mouret 4. The vast of Night de Andrew Patterson 3. Le Femme qui s'est enfuie de Hong Sang-soo 2. Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang 1. Je veux juste en finir de Charlie Kaufman
Joli top. Sur le Kaufman, j'aurais pu le mettre numéro 1 tellement c'est puissant et original, mais c'est tellement sombre, j'ai quand même bien souffert en le voyant, ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé et pour cette raison je n'ai pas voulu le mettre au sommet...
Je suis le seul à avoir physiquement été mal durant la partie centrale chez les parents?
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