Un riche magnat de l'immobilier dublinois est persuadé d'être harcelé par un doppelgänger.
Un thriller basé sur le double maléfique, l'occasion pour Boorman, à nouveau scénariste, de jouer avec un suspens hitchcockien.
Occasion ratée.
Tristesse de voir un réal complètement vidée de ses capacités formelles. Malgré une volonté palpable de faire du cinéma, après un In My Country sans ambition de ce côté.
La première scène dans un embouteillage, oscillante entre humour cynique et tension, avec le toujours excellent Gleeson, est pleine de promesses qui seront déçues au fur et à mesure de ce qui se révèle être aussi efficace qu'une série d'Europe du nord pour arte.
Le Boorman de Point Blank en aurait fait un chef d'oeuvre.
Ou David Fincher.
Histoire du double oblige, des interrogations sur l'identité personnelle, bien plus fragile qu'on ne le croit. Et sur les parcours, le destin. Boorman s'en sort plutôt bien sur ce point de l'intrigue.
Au-delà de ce prétexte vu et revu, il y a surtout un sous-texte sur l'Irlande contemporaine hyper intéressant. Une Irlande prospère (truc inédit au cinéma quoi) mais en surface. Devant toujours faire face aux démons du passé (qui s'habillent en curé) et fermant les yeux sur la misère moderne.
Autre excellent point pour le Boorman scénariste, visionnaire, sachant que le film sort 2 ans avant la crise de 2008 et que l'Eire est un des pays européens qui en souffrira le plus, laissant des maisons à moitié construite ici et là sur les landes.
Ya de vrais échos à Leo the Last.
Pour l'urbain. Les questions de classes. Pour le mélange de gravité et d'humour. Sur le questionnement des perceptions, déformées par ses convictions, ses habitudes ou des substances.
Développant un portrait de la famille basée sur les mensonges, les incompréhensions et interrogations.
Malheureusement on sent que l'énergie de Leo the Last n'y est plus. L'emballage est terne donnant un tigre sans queue, sans rayure et sans dent.
Pas une once de tension. Un mystère de moins en moins crédible à mesure qu'avance l'histoire. Et un humour sarcastique d'indulgence.
Alors on peut penser que le budget est ridicule mais ça n'excuse pas tout quand on a tant de métier derrière. Le cumul de l'âge et la perte d'un standard de travail sans doute. Parce qu'à 73 ans, se retrouver à la tête d'une production irlando-britannique, c'est plus la même qu'à Hollywood.
Déjà le cas avec In My Country, production irlando-britannico-sudafricaine.
Mais Boorman l'avait pourtant déjà brillamment fait avec The General...
On a quand même de bon têtes-à-têtes de Gleeson avec sa mère et sa sœur.
Avec Hinds en prêtre (de retour après Excalibur) mais trop courts pour qu'on s'y accroche. Chouette réplique soulignant que plus on construit, plus il y a de SDF.
La relation père/fils laissait la place à un Where the Heart Is grave. Qui pourrait faire vieux con sauf qu'on se met avec l'ado du film qui se rêve communiste. Et à qui le film ne donne pas tort sur ce point, tout du moins embrasse la critique du capitalisme, mais c'est trop caricatural et le reste de son histoire, survolée, celle d'amour, paraît plus pathétique que Boorman devait bien le vouloir.
Comme pour la relation avec la mère, la femme, le frère, les collaborateurs, trop de choses ne passent que dans des dialogues pas extraordinaires...
Les acteurs sont au moins excellents. Sauf en ce qui concerne la femme de Liam, beaucoup trop en mode comédie, pas dans le même film.
Frustrant de voir le Londonien ayant réalisé deux films sur la forme de sa ville d'origine ne pas appliquer un dixième de la même force d'évocation pour la capitale de son pays d'adoption.
Le propos à l'originalité de ne pas montrer de jolis paysages irlandais (on a droit à un passage dans les Wicklow... mais de nuit!), Boorman est désespérant à rater son filmage de Dublin, malgré l'idée omniprésente de montrer la ville moderne, dont une scène de décadence hebdomadaire (à la Leo mais en réaliste), faisant le parallèle d'un monde et d'un Liam aux convictions chaotiques.
Assez de matières donc pour faire du résultat une énorme frustration. Et des intentions vraiment présentes pour un grand film.
Elles aident alors à le rendre intéressant mais la pauvreté de la mise en scène est trop rédhibitoire pour qu'il soit juste bon.
Pour la curiosité et le plaisir d'entendre l'accent irlandais dans un cadre rarement présenté, peut-être que The Tiger's Tail gagnera avec le temps une certaine valeur documentaire sur l'Irlande en son temps de Tigre celtique mais artistiquement parlant, c'est terne.